Ysaïne (Chapitre 155)

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-Maman ! Maman !

Je tambourine de toute mes forces à la porte, oubliant presque dans mon désarroi qu'il me suffit de passer mon bras gauche sous le scanner.

Qu'importe, Azylis m'ouvre déjà la porte. Je ne m'arrête pas à sa tenue élégante aujourd'hui -tunique verte assortie à un pantalon blanc- mais demande précipitamment :

-Où se trouve Christian ? J'ai besoin de lui parler !

C'est vrai. À la fin du message sur mon mur auquel je ne veux surtout pas penser sinon je vais exploser, c'est à lui avant tout que j'ai pensé. C'est lui que je veux voir, à qui je veux demander conseil.

Mais ma mère ne réagit pas du tout comme je m'y attendais. Elle pâlit et demande :

-Qui te l'as dit ?

Mais la voix de Maly résonne derrière elle dans l'appartement en lançant :

-Elle ne sait pas Azylis ! Sinon elle ne t'aurais pas dit bonjour comme ça !

Je murmure mécaniquement sans réfléchir :

-Ah oui, pardon, bonjour...

Mais ma mère s'écarte pour me laisser entrer après avoir lâché avec un regard clair :

-Il y a quelque chose que tu dois savoir Ysaïne... Je ne voulais pas te gâcher ta journée d'hier mais...

Quelques minutes plus tard, encore totalement désorientée, je suis assise dans l'un des fauteuils à suspenseurs du salon d'Azylis. Maly arrive de la pièce voisine avec une théière et un sourire triomphant. Elle m'en propose une tasse et je fais mine de refuser mais Azylis me dit avec un sourire :

-À ta place j'accepterai... C'est le lobby du moment de Maly... pas de robots ménagers mais la cuisine à la main.

Je me détends très légèrement. Tant que je ne pense pas, ça va. J'esquisse même un sourire en lâchant :

-Vous déteignez sur elle quoi. Elle revient aux temps archaïques...

Je prends néanmoins la tasse de café brulante entre mes doigts. À ma grande surprise, l'arôme qui s'en dégage est absolument divin.

Maly sert ensuite Azylis, se mettant sur la pointe des pieds dans une attitude si risible que j'esquisse un nouveau sourire. On dirait vraiment une adorable petite fille ayant vraiment envie de faire la fierté de ses parents... Sauf que celle-ci peut se montrer particulièrement diabolique lorsqu'elle le veut.

Mais ma mère me regarde gravement et j'avale rapidement une grande gorgée de thé en déglutissant un peu trop bruyamment. Je me décide ensuite enfin à demander :

-Alors ? Une mauvaise nouvelle ?

-Christian est parti.

Un bruit de tasse qui se brise. Un liquide chaud qui coule sur mes pieds, me faisant atrocement mal l'espace d'un instant. Mais le choc est plus fort que la douleur et je m'exclame en me relevant rapidement :

-Parti ? Quand reviendra-t-il ?

Mais je ne suis pas stupide. S'il devait revenir, Azylis n'aurait pas pris tant de précautions pour me l'annoncer. Je me tourne vers Maly qui hoche simplement la tête.

Mes problèmes de cœur me paraissent tout à coup presque insignifiants. Il faut dire que je suis comme ça : c'est toujours le dernier problème -où la dernière tristesse- à me tomber dessus qui occupe le plus mes pensées.

Je murmure d'une voix entre tristesse et colère :

-Pourquoi n'est-il pas venu me voir ? Me dire au revoir ?

Azylis me jette un regard désolé. Elle s'approche de moi d'un pas rapide et vient s'assoir à mes côtés. Elle m'entoure de ses mains les épaules et je reste parfaitement immobile, me contentant d'inspirer un peu plus fortement que d'habitude une fois de nouveau assise.

Ma mère répond enfin dans un murmure :

-Je crois qu'il hésitait depuis longtemps. Il a brusquement pris sa décision mais s'il était venu te voir... Il serait resté. Et il le savait. C'est pour cela à mon avis qu'il... qu'il est parti.

L'émotion de ma mère est visible. Maly nous jette un coup d'œil à toutes les deux plein d'affection, et je la vois mettre de force une nouvelle tasse dans ma main. Elle ajoute dans le même instant :

-Le thé est souverain pour chasser les ennuis...

Cela arrache un léger sourire à Azylis qui se détache de moi pour dire en regardant son inséparable robot :

-Maly, depuis quand parles-tu comme ça toi ?

-Depuis que dans notre duo c'est moi qui suis obligée de prendre le rôle de la sérieuse.

Et elles éclatent toutes deux d'un rire amusé. Je me lève d'un geste vif avant de m'immobiliser. Penser à Christian et douloureux. Penser à Idwin l'est aussi. Et je n'ose même pas fixer mes cogitations sur Esteban. Alors ? Il me reste mes questions...

-Maman ?

Azylis répond calmement mais sur ses gardes, devinant à mon ton que je suis très sérieuse.

-Oui ?

Je ferme les yeux quelques secondes.

-Y a-t-il une loi m'interdisant de me marier avec un prince régnant étranger ?

Elle me répond avec sa franchise coutumière et désarmante :

-Je ne le sais pas Ysaïne. Mais pourquoi ?

Elle guette ma réponse mais avant que j'ai ouvert la bouche, Maly explique d'un ton docte :

-Oui. Cette loi existe... Et elle se comprend d'ailleurs. Être reine inclut des responsabilités, dont celle de ne pas vendre son pays à un autre.

Je sens le rouge de la colère me monter aux joues. Décidément, ne pas avoir dormi de la nuit me met d'une humeur exécrable. À moins que ce ne soit ce message programmé qui me retourne le cœur ?

-Mais ce prince et cette princesse... Il pourrait juste y avoir une alliance des deux pays. Rien de plus.

Le silence se fait dans la pièce et je me décide à me retourner. Azylis échange un coup d'œil indéfinissable avec Maly. Triste ? Mais la petite créature reprend d'une voix intransigeante :

-Tu dois bien comprendre que c'est impossible... Ysa ? À qui, à quoi penses-tu ?

Azylis murmure :

-Tu n'aurais pas dû revoir Idwin...

Je déteste que l'on devine mes sentiments. Mais je déteste encore plus avoir l'impression d'être enfermée. Mes joues sont maintenant cramoisies, brûlantes. Je baisse les yeux sur mes poings serrés et me force à inspirer fortement pour me détendre un peu.

-Je n'aime pas l'idée de toutes ces limites...

Les yeux d'Azylis brillent un bref instant. Elle ne sourie plus lorsqu'elle me fixe et énonce :

-Etre reine, c'est aussi des sacrifices. Tu les a accepté.

Bien sûr. Si seulement il n'y avait pas le souvenir de ce baiser brûlant...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant