Edilyn (Chapitre 175)

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Je déteste cette sensation d'enfermement... Je déteste cet endroit, je déteste tout ce qui m'éloigne d'Astra...

Je ferme les yeux, tente une nouvelle fois de me raisonner. Peine perdue.

Dans le petit habitacle de quelques mètres sur quelques mètres, je n'ai pas énormément de place... J'ai droit à deux ou trois sorties dans le wagon dans la journée, toujours sous surveillance d'un garde minimum.

Je ne suis pas la seule terrienne à gagner Sagan... Plusieurs centaines de personnes ont eu envie de tenter l'aventure planétaire... Qu'ils sont étranges !

Je baisse les yeux vers le sol et mon regard se pose sur le dragon. Dynah... Malgré les sangles qui m'attachent à mon siège, -elles se sont révélées utiles plusieurs fois lorsque le vaisseau a dévié brusquement de sa trajectoire devant des obstacles imprévus notamment, trois fois déjà dans le trajet-, je me penche et parviens à prendre la bestiole écailleuse dans mes bras.

J'aime la puissance. Et assurément ce dragon le sera une fois adulte... Mais bien que je m'en défende, j'éprouve pour l'animal plus qu'une simple admiration. Une amitié solide, et le souvenirs d'Ysaïne acceptant de me l'offrir... même si j'ai eu finalement celui d'Azylis, c'est à sa fille que je le dois.

Le dragon pose ses prunelles de reptile sur les miennes, sifflant, et je murmure alors plus pour moi-même :

-Ça te dérangerait si je changeais ton nom ? Dynah n'a rien de... royal.

Le dragon ne bronche pas mais se contente de réclamer des caresses par de fréquents petits coups de tête dans mon estomac. Je laisse alors mes doigts courir sur ses écailles, le gratouillant au passage entre les oreilles, avant d'ajouter dans un murmure :

-Trop petit pour comprendre, hein ? Que dirais-tu de Sobibor ? Comme la révolte ?

Il se contente de laisser échapper un léger sifflement. Je le repose à terre, le regarde fureter une énième fois dans le petit espace à la recherche d'un quelconque changement inexistant, avant de répondre, continuant ainsi mon monologue :

-Va pour Sobibor.

Je me désintéresse ensuite du dragon pour me tourner vers l'écran face à moi auquel je suis connectée, malgré ma gorge serrée.

Décompte : 2 mois, 4 jours, 12 heures 25 minutes et 48 secondes.

Avant d'arriver à Sagan. Sagan. Le mot sonne si étrangement dans ma bouche... Il me semble que c'est hier que je lisais un vague rapport sur ma table programmable, m'informant que l'on pouvait désormais établir une liaison avec une planète viable...

La prison idéale. Jamais je n'aurais envisagé de m'y rendre.

Une voix résonne alors dans l'habitacle, dépourvu de toute tonalité :

-Votre anxiété augmente. Souhaitez-vous un calmant ?

Je refuse d'un clic sur l'écran, esquissant au passage une grimace d'agacement. Si je n'avais pas cette tristesse au fond de moi que j'ai tant envie d'oublier...

La voix de l'appareil n'est pas intelligente. Elles ont toutes reçues un corps grâce à Azylis et ma nièce. Idée étrange... Une fille du passé a réussi à entièrement modifier le futur.

Que se serait-il passé si j'avais tenté d'aider Gabriel ? D'adoucir sa peine de prison ? Peut-être qu'il ne l'aurait jamais rencontrée... À quoi ressemblerait Astra alors ?

Je secoue la tête. Je déteste Azylis. Ma gorge se serre un peu plus et je regrette de m'être laissée aller une fois de plus à de si sombres pensées.

Nouveau coup d'œil à l'écran.

Encore 2 mois 4 jours 12 heures 17 minutes 25 secondes.

Je détourne la tête. Je demande alors à haute voix d'un ton monocorde :

-Couchette horizontale...

-Bien. Injection d'un somnifère ?

-Non.

Mon siège commence déjà à changer de forme et à se pencher en arrière. Quelques secondes plus tard, je suis allongée, et l'écran lui-même a pivoté pour me permettre de l'avoir devant moi.

La voix totalement dépourvu de chaleur humaine ajoute :

-Souhaitez-vous un contenu cinématographique ? Un livre ?

Je jette un coup d'œil aux propositions qui défilent. En numéro un du top des demandes figure une revisitation d'une histoire au moins aussi vieille que le monde... un truc de sorciers dans une drôle d'école.

Je secoue la tête avant de laisser mon doigt courir sur la surface de verre, affichant plusieurs milliers de livres. Mais tous, d'une manière ou d'une autre, me rappellent Astra. Alors je continue de faire défiler les listes...

Mon doigt se fige soudain sur une œuvre classée "historique". Sur la couverture figure un grand portrait de mon frère, Gabriel Astra, et mon sang se met à battre plus vite dans mes veines tandis que je retiens un cri.

Est-il déjà "historique" ? Que savent-ils vraiment de ce qu'il était pour oser écrire un livre sur lui ?

Je referme rageusement la fenêtre, ordonne à l'écran de reprendre sa position initiale, pour ne plus l'avoir sous les yeux, et ferme mes paupières pour tenter de dormir.

J'aurais dû accepter l'injection de somnifère. Un vieux réflexe de reine haïe de tous... Comment être certaine de me réveiller ?

Mais Ysaïne ne m'abattrait pas en traître ainsi. Elle est loyale. Noble. Toutes qualités que je n'ai pas vraiment.

Je rouvre brusquement les yeux. Je regrette d'avoir écarté l'écran de la portée de mon regard. Là, tout de suite, j'aimerais voir une fois de plus le décompte et les chiffres.

C'est à la fois terrifiant et apaisant de voir les secondes s'égrener une à une...

Sobibor saute d'un bond sur ma couchette, me distrayant un instant de mes pensées. Ma main s'approche automatiquement, le caresse, tandis qu'il se pelotonne contre moi et laisse échapper un grand bâillement. Deux minutes plus tard, il dort. Je devrais vraiment essayer de faire de même.

Ainsi, lorsque je me réveillerai, il y aura peut-être dix heures d'écoulées. Je ne sais plus si je le désire ou le crains. Tout s'embrouille dans ma tête.

Gaëtan. Mon cœur accélère sa course et mon âme s'agite un peu plus en moi. Je ne sais si c'est une violente passion qui reste dans mon cœur... C'est en tout cas un regret vif, sans que je sache exactement de quoi, une envie irraisonnée de le revoir alors même qu'il n'éveille plus en moi ces sentiments dévorants d'hier. Mais je le sais déjà...

Ce n'est plus une passion aveugle. Simplement le plus fou des amours...

Me contrôler. Encore. Mais son visage danse devant mes yeux fermés...

Je murmure enfin :

-Mode nuit. Injection de somnifère.

Une très légère pression sur mon bras droit, et un liquide froid s'écoule dans mon corps par la seringue qui y est fichée depuis le début du voyage.

Alors je sombre dans un sommeil sans rêve, enfin en paix avec moi-même pour quelques heures.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant