Ysaïne (Chapitre 89)

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Elle hausse les épaules dans le noir en m'adressant un regard effronté et prend rapidement de nouveau la parole dans un léger chuchotement.

-Évidemment ! On dirait que je vais encore devoir te sauver la vie...! On repart à l'intérieur, vite, avant que les plateformes ne soient de nouveau bloquées...

Mahaut -le prénom est inscrit sur un badge, heureusement pour moi car je ne m'en souvenais plus- tourne déjà les talons pour repartir en coup de vent mais je la retiens vivement par l'épaule.

-Une minute ! Tu veux me faire rentrer à l'intérieur ? Alors que j'ai eu autant de mal pour sortir ?

Elle me lance un coup d'œil narquois avant de lâcher :

-Reste-là si tu veux... Mais tu comptes t'enfuir comment ?

Je m'apprête à répondre que j'espère bien continuer ma descente le long de la façade lorsque je jette un coup d'œil à mes pieds. Vu la hauteur, elle n'a peut-être pas tord... J'avale ma salive avec une moue dépitée et m'apprête à acquiescer lorsque qu'elle pousse un grand cri :

-Attention !...

Il se passe alors deux choses simultanées : l'unique projecteur du palais en activité se braque vers nous et quelque chose me saisit brusquement par la taille.

Je me sens soulevée du sol et un début de panique m'envahit avant que je n'entende une voix crier au dessus de moi pour couvrir le bruit de la pluie :

-Ne bouge pas Ysaïne ! On s'en va !...

Azylis... Je lève alors les yeux vers le ciel et manque de laisser échapper un nouveau hoquet de stupeur. Le grand dragon bleu nous tient toutes les deux dans ses griffes, Mahaut et moi, et je me prends à soudain espérer. Si tout va bien normalement... Non ! C'est un mot à bannir de mon langage...

Nous sommes maintenant à deux mètres de la plateforme et nous éloignons déjà lorsque les balles se mettent à siffler autour de nous. Je tente de me faire la plus petite possible -l'ennui c'est qu'avec un dragon au-dessus de ma tête je représente la meilleure des cibles- et ne me détends tout à fait que lorsque nous dépassons la tour de la ville la plus proche du palais.

Mais il est difficile d'être tout à fait tranquille lorsque vous êtes pendue au bout de la griffe d'un dragon... Surtout lorsque celui-ci est un combattant du nom de Satan.

Je fronce les sourcils pour éviter de penser à ma situation et tente d'ignorer les cris de joie à mes côtés de Mahaut. Le robot ne semble pas avoir intégré le principe de discrétion...

Les tours défilent très vite devant nous et je ne tarde pas à reconnaître les environs. Dans quelques minutes, nous serons au quartier général... Je n'arrive toujours pas à intégrer le fait que je sois encore en vie et au moins provisoirement en sécurité...

***
Un peu plus tard.

Je suis assise dans un fauteuil au dernier étage du quartier général et entourée d'une couverture qui ne parvient pas à me réchauffer. Des gouttes d'eau tombent régulièrement sur le plancher derrière moi comme une drôle de musique et je me force à ne pas baisser la tête devant toutes les personnes qui m'observent en silence depuis quelques minutes en attendant que je prenne la parole.

Christian -l'homme responsable en partie de la mort de mon père, ce que je n'oublierai plus jamais-, Sarah, Azylis et le robot...

Ma mère semble tiraillée entre deux émotions : me presser de parler et ne s'occuper que de moi ou se tourner vers Mahaut jusque là elle aussi restée silencieuse. Comment peut-elle aimer autant un assemblage de métal ?

Mais Sarah est sans doute la moins patiente et elle est la première à demander :

-Alors ? Tu as l'arme ?

Évidemment. Elle va droit au but et ne semble pas ressentir la même émotion que moi à l'idée que je sois vivante... Mais la question m'arrache une grimace et je me surprends à hésiter avant de trouver mes mots :

-Je... Je n'ai pas... Esteban et...

Ça ne veut rien dire ce que je raconte. Alors que je m'apprête à résumer, déçue de moi-même, le robot prend la parole brusquement et sa voix grave résonne dans la pièce :

-Elle est dans la sacoche.

Ce n'est pas possible... Mais je me souviens brusquement du sac de toile à l'intérieur et du poids trop lourd. Je me penche fébrilement sur ma gauche où j'ai laissé tomber la sacoche et plonge mes doigts à l'intérieur. J'en retire rapidement l'objet entouré de grosse toile et le garde devant moi sans le déballer pendant quelques secondes.

Puis, le cœur battant, je laisse mes doigts déballer l'arme et ne tarde pas à sortir du sac une curieuse sphère noire entourée d'un anneau qui ne semble pas fixé mais qui ne bouge pourtant pas. Un grand silence tombe de nouveau sur la pièce, même Sarah ne peut quitter l'objet des yeux, avant d'être de nouveau rompu par Mahaut.

-Vous vous êtes donné beaucoup de mal pour rien. Le maire d'Ivy l'avait désarmée avec l'aide de ses constructeurs qui regrettaient leur invention... Si tout c'était passé comme prévu, la reine aurait simplement cru que l'appareil ne fonctionnait plus. Mais il a bien sûr fallu que vous veniez tout mettre par terre... D'ailleurs, si elle n'était pas désactivée, elle t'aurait détruite dès que tes doigts l'ont touchée Ysaïne...

Je suis la première à lui répondre, doublant Azylis de quelques secondes :

-Esteban est de quel côté à la fin ? Pour quelle raison reste-t-il auprès d'Edilyn ?

Je me suis levée sans en avoir conscience et la couverture tombe à mes pieds. Je n'arrive plus à savoir ce que je pense. Toute cette histoire aurait été inutile ? Et je ne m'étais pas rendue compte auparavant de l'importance que j'accordais au maire d'Ivy. Je découvre maintenant à travers ma colère que je lui en veux d'être aussi peu clair...

Le robot m'affronte du regard et rétorque :

-Il déteste le camp de Gabriel. Sa sœur est morte dans votre manifestation d'il y a douze ans... Il ne l'a jamais oublié. Mais il ne pouvait pas non plus laisser Edilyn détruire tout Astra... Ou toi.

Azylis se lève alors sans un mot et évite mon regard, n'étant pas certaine de ma réaction de toute évidence. Elle préfère se tourner vers le robot et demande d'une voix que je ne lui connais pas, débordante d'émotion, se détournant totalement de l'arme dans ma main :

-De quoi te souviens-tu Maly ?

Le robot fronce les sourcils.

-Je m'appelle Mahaut.

Azylis ne paraît pas déstabilisée pour autant et hausse les épaules avant de dire :

-Et ton autre personnalité ?

Allons bon... C'est moi ou la question est légèrement étrange ? Mais le robot semble comprendre et ses yeux s'agrandissent. Elle murmure précipitamment :

-L'autre personnalité... Nous nous entendions avant ?

Azylis s'immobilise et rétorque d'une voix chargée d'inquiétude :

-Ce n'est plus le cas ?

-Non. Lorsque j'ai repris conscience dans la salle d'oubli, j'ai entendu quelqu'un penser dans ma tête... J'ai eu peur ! Très vite, nous avons commencé à nous affronter... C'était atroce. Je me battais contre moi-même... Mais je crois que je l'ai emporté. Un jour, je me suis réveillée sans rien ressentir d'autre que mes propres pensées...

Mais elle ne semble pas heureuse et sa voix se fait désespérée lorsqu'elle demande :

-Ne me dites pas que nous étions vraiment amies ! C'est... C'était le cas ?

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant