Intemporel T5 & 6

Azylis (Chapitre 86)

Satan plonge vers la plateforme et je m'agrippe un peu plus aux écailles de l'animal. Christian, même s'il déteste ma bestiole, sait monter à dos de dragon et retrouve ses vieux réflexes. Je me prépare pour l'atterrissage mais lorsque Satan veut atterrir sur la surface dure, il se passe quelque chose d'imprévu.

Il me semble apercevoir un faible rayonnement bleuté et je veux hurler pour le prévenir mais n'en ait pas le temps que nous sommes déjà projeté en arrière. Mon dragon, à plusieurs centaines de mètres du sol, commence alors à tomber en chute libre et je m'agrippe de toutes mes forces à son cou puisant. Cette fois-ci, je ne prononce pas un mot lorsque Christian me saisit par la taille. S'il était devant moi, je ferais la même chose...

Nos deux cris se confondent mais je réussis, lorsque l'aile de Satan heurte violemment une tour et que nous nous trouvons projeté sur le côté, à me concentrer suffisamment pour connecter nos esprits.

-Satan, reprend-toi ! Bon sang, si tu ne te bouge pas un peu, je...

Il y a ma fille là-haut... Enfin, si nous continuons de dégringoler comme ça, je n'aurai bientôt plus à m'en soucier... Satan ouvre alors ses ailes et nous ralentissons brusquement. Le sol est maintenant si près que je préfère ne pas regarder. Christian hurle toujours alors que je préfère me taire pour me concentrer. Je recontacte Satan et reprends la "parole".

-Merveilleux...! L'idéal maintenant ce serait que tu... remontes !

Une voix exaspérée hurle alors dans ma tête et je résiste de justesse à l'envie inutile de plaquer mes mains sur mes oreilles. Je n'ai clairement pas l'équilibre de Christian et ce serait la chute inévitable...

-C'est ce que j'essaye de faire ! Mais tu n'as pas la moindre idée du mal que m'a fait ce foutu bouclier !...

Il donne néanmoins à ce moment précis un fort battement d'aile et nous reprenons un peu d'altitude. Lorsque mon cœur cesse de faire des bonds dans ma poitrine et que Satan retrouve son vol régulier et calme, je me décrispe légèrement et prends alors conscience de la sirène qui retentit dans tout le palais.

Christian est de nouveau agrippé aux écailles mais il se penche vers moi et crie à mon oreille pour se faire entendre :

-Qu'est-ce qu'on peut faire maintenant ? Si Satan a eu aussi mal en heurtant le bouclier avec sa carcasse de dragon, on ne s'en sortira jamais vivants si on tente de la traverser.

Il doit lire dans mes pensées... Mais il a hélas parfaitement raison. Je tente de réfléchir pour trouver une solution mais n'en voit aucune. Je pousse un léger soupir tandis que Satan vire sur le côté pour voler entre deux tours. Un regard à ma montre suffit à me serrer un peu plus le cœur : dans à peine deux ou trois heures, l'aube sera là et il faudra alors que je reprenne le commandement de mon armée contre tout espoir...

Mais la voix de Satan me tire alors de mes pensées en résonnant dans mon esprit et il suggère :

-On ne peut pas passer. La seule chose qu'on peut faire c'est rester aux alentours en espérant qu'elle arrive à sortir sur l'une des plateformes...

Mes mains se crispent aussitôt aux écailles du dragon et les jointures de mes doigts blanchissent. Christian se penche de nouveau vers moi et demande calmement :

-Qu'est-ce qu'il t'a dit Azylis ?

-Simplement que notre seule chance était d'attendre ici en espérant qu'ils arrivent à sortir... Mais on ne peut pas rester inactifs...!

Je veux me retourner vers mon lieutenant mais Satan prend brusquement de nouveau de l'altitude et je manque perdre l'équilibre. Mais Christian me répond déjà.

-Il y a une chance Azylis... À ton avis, pourquoi est-ce que les sirènes retentissent toujours ? Si le problème avait été résolu, on ne les entendrait plus...

Mes joues retrouvent un peu de couleur tandis que j'exprime à haute voix mes conclusions.

-Tu veux dire qu'Ysaïne n'a peut-être pas encore été prise ?

Je jurerai qu'il acquiesce même s'il est derrière moi et mon cœur se remet à battre un peu trop fort dans ma poitrine tandis que je serre les lèvres.

-Ok Satan. On reste dans les parages jusqu'au lever du jour... On va essayer d'être discrets.

Un grondement sourd d'agacement me répond mais je devine que le dragon est malgré lui touché. À moins que ce soit encore mes espoirs de m'en faire un ami ?

La nuit nous environne, presque trop calme par rapport aux tours du palais qui se détachent chacune de la toile sombre en étant toutes illuminées. Le vol de Satan se fait plus régulier, calme, et je me surprends à me laisser aller contre Christian qui pose sa main sur mon épaule.

Il me semble à cet instant qu'il murmure alors qu'il doit parler fort pour couvrir le bruit de l'air frais sur nos figures lorsqu'il se penche de nouveau vers moi.

-Les Astra ne se laissent jamais abattre pas vrai Azylis ? Et je crois qu'Ysaïne est tout à fait inscrite dans la tradition familiale. Elle s'en sortira...

Je réussis alors à tourner mon visage vers lui et il me semble un instant le frôler tant nous sommes proches. Je réponds doucement :

-Crois-tu qu'un jour elle m'acceptera ? Et qu'elle assumera son rôle de princesse ?

Le vent me décoiffe même si Satan continue de voler à un rythme de croisière. Christian replace l'une de mes mèches de cheveux blonds derrière mon oreille et je ne le repousse pas pour une fois. La nuit me semble presque magique, à la fois terriblement dangereuse et fascinante. Comme si elle allait tout changer... Christian me répond en posant son regard brillant sur une tour devant nous.

-Ça serait vraiment important pour toi Azylis, qu'elle soit princesse ? C'est peut-être ça qui vous sépare. Juste ça. Elle n'est pas idiote tu sais. Elle doit l'avoir deviné depuis longtemps, inconsciemment ou non, que tu la pousserais toujours dans cette direction...

Je fronce les sourcils et me laisse quelques secondes bercer par le vent. Presque contre Christian, je laisse échapper :

-Tu as sans doute raison. Je voudrais que toute cette bataille ne soit pas vaine... Et...

Je me tais quelques secondes et Christian répond alors d'une voix soudain triste :

-Et ce ne serait pas tout à fait la fille de Gabriel si elle refusait sa position n'est-ce pas ? Tu veux le voir revivre en elle, l'éduquer comme il l'aurait fait... Tu penseras toujours à lui.

Sa dernière phrase est plus une constatation qu'autre chose mais je ne peux manquer de voir son ton blessé. Je ne réplique rien et m'éloigne alors doucement de lui. Il a raison.

Il y aura toujours l'ombre de Gabriel entre nous.