Christian (Chapitre 97)

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Je me plaque contre le mur de la tour derrière moi et Sarah fait instinctivement la même chose un pas sur ma droite. Une pluie de verre brisé et de poussière s'abat devant nous et je crispe mes mâchoires, essayant de respirer le moins possible pour ne pas m'étouffer.

Les canons des vaisseaux ne sont toujours pas hors d'usage... et continuent de tirer sur nos positions. Je me redresse pourtant au moment même où je peux avoir pendant quelques instants une vue dégagée d'ensemble et hurle à mes hommes :

-Courez, avancez le plus vite possible !

Les tirs résonnent autour de nous et je m'apprête à me mettre moi aussi à courir lorsque Sarah me retient contre le mur d'un mouvement brusque.

-Christian, on n'a aucune chance de s'en sortir, on ne peut pas...

Je dégage mon bras et rétorque sans la regarder :

-Bien sûr que si... Reste là si tu veux mais moi j'y vais !

Une brève lueur d'incertitude traverse ses yeux sombres avant que sa voix se raffermisse et qu'elle lance :

-Très bien je te suis !... Mais je te rappelle quand même au passage qu'on détestait la monarchie et que je vais me faire trouer la peau pour ça !

Les gardes noirs en face de nous occupent toute la largeur de la rue et s'abritent derrière les amoncellements de gravats. Je me mets alors à courir droit devant moi sans vérifier qu'elle me suit, avant de me laisser tomber au sol, au moment même où quelques balles sifflent à mon oreille, derrière un endroit du même genre à côté de deux de mes hommes et serre violemment les dents lorsqu'un tir des vaisseaux passe à deux centimètres de notre mince abri.

Sarah me rejoint quelques secondes plus tard. Sa combinaison est tachée de poussière et quelques gouttes de sang perlent au coin de ses lèvres. Ses cheveux échevelés et son regard farouche retiennent également l'attention mais je songe fugitivement que je dois avoir à peu de chose près la même figure.

Les deux gardes tirent en tentant d'atteindre les gardes, et je fais de même, mais Sarah me murmure à l'oreille d'une voix précipitée :

-Si on attend encore dix secondes, on va mourir sous le tir d'un canon des vaisseaux. Notre seule chance c'est de tenter une sortie...

Je relève des yeux hagards vers elle en arrêtant un instant de tirer et répond d'une voix basse :

-Tu es complètement folle...

Elle essuie d'un geste mécanique la sueur qui lui coule du front et répond d'une voix lassée dans une tentative dérisoire d'oublier la situation :

-Et c'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ?

Je me soulève très légèrement pour voir au dessus de notre abri. Derrière la rangée de gardes noires brille l'un des deux générateur du bouclier magnétique... c'est la dernière limite. Mon cœur me fait mal tant il bat vite dans ma poitrine. Les deux gardes se sont immobilisés, sentant l'un comme l'autre qu'il y a une décision à prendre. Finalement le plus proche de moi demande d'un ton pressant :

-Commandant... Qu'est-ce qu'on fait ?

Commandant... comme cet homme des camps d'Edilyn que j'aurai suivi jusqu'au bout du monde en pensant renverser la monarchie. Mais je n'étais qu'un pion parmi tant d'autre... J'avale ma salive puis soulève mon poignet de façon à l'avoir à quelques centimètres de ma bouche.

Alors, répondant ainsi aux yeux farouches de Sarah posés sur moi et à la question du soldat, je lance dans mon micro en tâchant d'ignorer le bruit des balles et des explosions autour de moi :

-Appel à tous mes hommes. À trois, on lance l'offensive...

Je ferme quelques secondes les yeux en ayant l'impression de voir ma vie défiler devant mes paupières fermées. Je me relève de nouveau, comme un automate, et tous font de même comme je peux le voir d'ici.

-Un... Deux...

Une très brève hésitation s'empare de moi. Je croise alors le regard résolu à tout de Sarah et elle murmure :

-Si je survis à tout ça, je veux une médaille !

Si l'instant n'était si crucial, je crois bien qu'elle m'arracherai un sourire. Mais à la place je hurle dans mon micro même si je sais parfaitement que ce n'est pas nécessaire pour que tous m'entendent.

-Trois...!

Et je me précipite en avant sans attendre. Un même cri jaillit de nos bouches, sans que j'ai même eu à réfléchir, et je ne m'arrête même pas en voyant des formes floues tomber à mes côtés sous l'impact des balles. Ma seule chance, notre seule chance, est de continuer coûte que coûte...

-Pour Astra !...

J'ai franchis la ligne la plus dangereuse. Je ne sais pas combien d'entre nous y sont parvenus mais nous sommes derrière les positions ennemies... Arme au poing, je ne songe qu'à rester en vie tout en cherchant à continuer d'avancer. Mais d'où viennent tous ces gardes noirs ? Ils me semblent qu'ils sont des milliers à courir vers nous... Mais la porte du régénérateur n'est plus qu'à quelques mètres...

Un cri plus fort que les autres retentit tout à coup derrière moi et je me sens projeté au sol.

-Non !...

Ma tête heurte violemment la surface dure mais l'instant d'après je suis déjà de nouveau debout, serrant ma main autour de celle de Sarah.

Nous n'avons pas le temps pour les mots mais je lui lance un bref regard, à la fois de remerciement et de soulagement de la voir encore en vie...

Une fumée noire envahit l'espace à cause de nombreux débuts d'incendie dû aux tirs des vaisseaux et je songe soudain que cette "brume" va peut-être nous permettre de prendre l'avantage...

Je me dirige sur ma gauche en courant, recherchant de nouveau le faible abri du mur et me plaque aussitôt contre celui-ci dès que je l'ai atteint avant de dire à Sarah qui m'a suivie d'une voix précipitée :

-Couvre-moi, il faut absolument que je recontacte Azylis...

-Vas-y, et dis lui de ma part qu'elle a intérêt à nous sortir de là !

Je vérifie rapidement que ma radio écran fonctionne toujours et lève ma main au niveau de mes lèvres.

-Ici Christian, Azylis tu m'entends ?

-... Oui, mais très mal. C... Comment ça va de votre côté ?

J'entends alors à travers le micro un grognement puissant et une angoisse sourde s'empare de moi. Mais je n'ai pas le temps de m'inquiéter pour ses jolis yeux bleus...

-Azylis, il faut absolument que les dragons réussissent à détruire les deux vaisseaux stationnés au dessus du générateur ! Qu'ils se concentrent sur eux plutôt que sur le reste d'accord ? On peut y arriver, vraiment...

La voix d'Azylis semble venir de très loin lorsqu'elle me répond. Est-ce le bruit ambiant de mon côté ou du sien ? Mon cœur se serre un peu plus et mon souffle se raréfie dans ma poitrine. Je porte mon poignet avec l'écran à mon oreille pour mieux distinguer ses paroles.

-Ordre transmis... Les dragons vont se concentrer sur les vaisseaux des deux générateurs mais je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée de laisser le reste de l'armée sans défense mais... crrr... pas d'autre solution... crrr... proposer... crrr

Et puis plus rien.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant