Edilyn (Chapitre 29)

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Jamais je n'ai été aussi en colère de ma vie. Je me précipite sans réfléchir vers Idwin qui recule jusqu'à être dos au mur. D'une voix sifflante, je lâche entre mes dents :

-C'est la proposition la plus stupide et la plus ridicule que j'ai jamais entendue !

Ma main se pose une nouvelle fois automatiquement sur mon bras comme pour saisir le serpent de métal qui devrait s'y trouver. J'ai tout oublié. L'Eveland, Gabriel... Tout.

Je laisse seulement la colère me submerger. Parce que je ne veux plus jamais entendre parler de mariage, de famille, de parents, d'enfants... Et d'amour.

Mais Idwin réagit d'une manière inattendue : il se défend.

Il cherche à m'attraper le bras pour m'immobiliser et cela achève de me rendre folle de rage.

-Là vous êtes allé trop loin ! Vous ne ressortirez pas vivant de ce palais !

Le prince veut reculer de nouveau mais se cogne le coude au mur. Il prend sur lui-même pour hausser les épaules et grimacer entre ses dents :

-Alors vous non plus vous ne sortirez pas d'ici.

Et sans que je m'y attende, il sort d'un geste vif une arme de sa poche. Un fin pistolet blanc. Je retiens un juron qui menace de m'échapper. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Le laisser entrer sans le fouiller alors que je le savais dangereux ?

Mais à la veine qui palpite sur son front et à ses yeux fous -ne nous ressemblons nous pas au fond ?- je devine par instinct que la menace est sérieuse.

C'est à mon tour de lentement reculer. Idwin se contente d'avancer d'un pas pour mettre de la distance entre le mur et lui. Il grimace un affreux sourire bien que sa main tremble légèrement sur le moment avant qu'il n'achève de se reprendre.

-Et maintenant Altesse ? Qui de nous deux ne sortira pas vivant d'ici ?

Je redresse le menton. Mes yeux viennent de croiser la petite danseuse. Et quelque chose que je croyais avoir réussi à étouffer se réveille en moi : l'envie de tout abandonner, y compris moi-même. Les yeux tristes, mais le maintien ferme, je murmure :

-Vous feriez bien de tirer... Sinon vous n'avez aucune chance.

Il me fixe et une goutte de sueur perle de son front. Je murmure de nouveau sans même sourire :

-Ne me dites pas qu'avec l'éducation que vous avez reçue de votre père, vous avez peur d'avoir un mort sur la conscience ?

Il faut que je me reprenne. Il faut que j'arrête de chercher la mort. J'inspire profondément mais Idwin semble se crisper un peu plus en devinant mon changement d'émotion. Il prend la parole d'une voix rauque, mais sa main qui tient l'arme reste ferme.

-Je n'ai pas peur de vous tuer. Mais je veux m'en sortir vivant.

Un sourire sans joie affleure à mes lèvres.

-Vraiment ? Vous n'avez pas d'idéal ? Ma mort et la votre servirait votre pays...

Je vois Idwin froncer les sourcils, furieux d'être remis devant les premières minutes de notre conversation. Il rétorque :

-Je vous ai dit moi-même que je n'étais pas un exemple.

Il va tirer. Il vient de s'y résigner, je le vois à la drôle d'étincelle soudain allumée dans ses yeux. Eslimea. Saldya. Je ferme les yeux et plonge vers le sol en poussant un cri :

-Non...!

La balle passe à trois centimètres de mon épaule. Je me redresse rapidement, appréciant le fait d'avoir mis des bottes et une jupe courte avant de me demander de nouveau si je tiens tellement à la vie.

Je suis debout. Et Idwin braque toujours son arme vers moi. Mais il hésite à tirer encore, comme s'il regrettait déjà son acte précédent, et jette des coups d'œil fréquents aux portes. Ce qu'il ne peut savoir, c'est que mes gardes ont cessé depuis bien longtemps déjà de se poser des questions en entendant des armes à feu ou à fusée dans mes appartements.

Je suis pâle. Mes cheveux se sont légèrement défaits et je lève une main dans un geste automatique pour les replacer dans mon dos. Idwin se crispe encore un peu plus en me vouant bouger. Je ferme les yeux. Je n'en peux plus. Mais il y a mes deux filles... Mon dernier lien à la vie. Mais le plus solide d'entre tous.

Comment aurai-je pu deviner il y a déjà bien des années ce que Gabriel représentait pour moi ?

Une larme roule sur ma joue. Je relève les yeux et affronte le regard d'Idwin.

-Si vous avez osé une fois, pourquoi ne pas recommencer ?

Le faire parler, même en le provoquant, car pendant ce temps il n'appuie pas sur la détente. Après tout est-ce-que je tiens à la vie ? C'est la troisième fois que la question franchit mes barrières mentales pour atteindre mon esprit malgré moi. Je ne dois plus me poser la question. Juste penser que je vis pour mes filles.

-Altesse, vous feriez mieux d'être prudente. Donnez moi votre parole écrite que vous ne chercherez pas à me tuer et...

Une flamme embase soudainement mon cœur et s'empare de moi. Ma vieille colère qui ne s'éteint jamais m'oblige à dire d'une voix froide :

-Vous savez... Ma promesse ne vaut pas grand-chose.

J'esquisse un très léger sourire glacé avant d'ajouter :

-À peu près autant que la votre, je suppose.

Je guette sa réaction du coin de l'œil. Je ne m'étais pas trompée. Le voilà à son tour de nouveau fou de colère, et il va essayer de me démontrer qu'il est meilleur que moi...

Quelque chose me refroidit le cœur de l'intérieur et mon bref enthousiasme retombe aussi vite.

Idwin s'avance alors d'un pas vers moi. Nos yeux ne se quittent plus comme si nous pouvions voir chez l'autre l'ombre de la mort. Le jeune prince se décide soudain à dire d'un ton tout autre :

-Je crois que mon père avait tord de penser que vous seriez facile à gérer.

Je fixe la danseuse immobile sur ma cheminée. Pour toujours évidemment. La voix lointaine, je murmure :

-Il me semble même que c'était une erreur grossière.

Mais, alors que je me retourne vers lui, tout bascule en un instant. La porte de mon appartement s'ouvre et Idwin tire sans réfléchir. Je me décale brusquement dans un réflexe sur la gauche et la balle va s'écraser dans le mur derrière moi.

Mais, à mon immense surprise, une deuxième détonation retentit presque simultanément. Je m'attends à m'écrouler sur le sol mais ne ressens strictement aucune douleur.

Mais mon cœur se serre dans ma poitrine lorsque je penche la tête vers Idwin. Il reste debout quelques secondes avant de s'écrouler sur le sol, les mains crispées sur son ventre. Une tâche rouge s'y agrandit.

Je relève des yeux sans expression. Une petite fille aux cheveux blonds et au regard d'ange me fixe, un pistolet à la main. Son regard me semble fou.

Eslimea.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant