Intemporel T5 & 6

Edilyn (Chapitre 192)

À l'arrivée sur Sagan.

Je pose à terre la valise qu'ils m'ont laissée emporter et reste un instant debout en silence dans la petite pièce exiguë.

Je suis seule... dans ma nouvelle maison, Eric parti après m'avoir laissé devant la porte coulissante.

L'habitat numéro quatre comme ils l'appellent ici est de forme ronde, comme un étrange igloo, aux murs de verre bleutés et opaques, constitués de pièces de même formes circulaires reliées entre elles par de fins couloirs.

Il paraît que la construction de cet endroit vient d'être achevée... Quelque chose me serre pourtant durement la gorge tandis que je regarde autour de moi, frissonnante, et que mon dragon se dirige déjà vers la salle en face de la porte fermée dans mon dos qui semble être le séjour.

Il furète partout, poussant de petits cris de joie à chaque nouvelle découverte tandis que pour ma part je ne peux me résigner à avancer.

Je finis pourtant par le faire, un pas après l'autre, les jambes raides. Je n'ai pas vu Gaëtan... Je ne l'ai pas vu !

Je viens tomber dans le premier fauteuil blanc sur mon chemin et me recroqueville sur moi-même avec un soupir douloureux.

Alors c'est ici mon nouveau palais ? Cet endroit à l'écart de tout, pratiquement en pleine forêt ?

Il y a quelques heures cette perspective me faisait peur mais ne me faisait pas voir tout en noir comme maintenant... mais c'était avant que je cherche du regard Gaëtan partout sans le trouver...

Il me manque plus cruellement que jamais, parce que je le sais proche de moi et pourtant inateignable... qui pouvait m'inventer meilleur supplice ?

-Sobibor ? Ici !

Le dragon rejoint ma main et vient frotter ses écailles contre mes doigts tendus. Je lui adresse un pâle sourire avant de relever les yeux.

Ne voulais-je pas le pouvoir de Sagan avant mon départ d'Astra ? Je peux peut-être tenter de l'obtenir si je ne peux espérer l'amour de Gaëtan...

Mais l'un ne va pas sans l'autre. N'est-il pas le gouverneur ?

Mes yeux commencent alors lentement à faire le tour de la pièce ronde. Il n'y a que quelques meubles, visiblement pas assez pour garnir l'espace, mais tout est propre et paraît à première vue confortable.

Pourtant ce qui attire mon regard c'est une photo posée sur la table dans un cadre. Mes doigts saisissent l'objet, et mon cœur rate un battement dans ma poitrine.

Je suis soudain certaine que c'est une pensée de Gaëtan... pour quelle raison est-ce encore si douloureux de voir leurs visages ? Eslimea et Saldya... mais je suis en même temps particulièrement heureuse et reconnaissante de retrouver le reflet de leurs sourires ici dans cet endroit inconnu...

***

-Eric... Je veux voir Gaëtan !

Je ne cache plus les pensées qui m'assaillent, je n'essaie plus de me montrer glaciale et froide comme auparavant... j'ai compris que ce n'était pas la bonne méthode et de toute façon j'en suis incapable.

Pour l'heure, je marche aux côtés de mon protégé d'hier entre quelques arbres que l'on a pas encore arraché de la zone des nouvelles constructions. Je ressens toujours au fond de moi la même amitié pour Eric... mais ce n'est pas suffisant face à l'amour.

Il relève ses yeux vers les miens, avec un sourire aux reflets doux, avant de me répondre.

-Ce n'est pas possible Edy... Tu ne comprends pas, il est très occupé, il...

Je ne peux m'empêcher de répliquer d'un ton accusateur :

-Tu m'avais dit qu'il ne m'avait jamais abandonnée !

-Mais justement... te protéger n'est pas une mince affaire comme faire accepter ta présence. Il s'y emploie pourtant et tu n'as été dérangée par personne, non ?

En effet. Par personne. Mais si tout continue ainsi je risque bien de n'avoir pour toute compagnie qu'Eric, et pour toujours.

Les gens m'évitent, par peur, par colère, et je sens la tristesse grandir dans mon âme. Il suffirait d'un mot, d'un seul ! Que je croise Gaëtan ! Un instant, un court instant !

C'est ce qu'il me semble et mon esprit tourmenté ne songe qu'à ça fiévreusement. Alors que je sais pourtant que j'en voudrais toujours plus, que j'ai besoin d'être à ses côtés...

Je suis prête à renoncer à l'amour quand j'ai tout, quand je suis reine, quand je suis puissante, mais pas ainsi.

Pas lorsque c'est la dernière chose qu'il me reste.

Je m'immobilise alors en levant la tête et en regardant devant moi vers ma gauche. Un attroupement s'est formé près des remparts du fort dont on devine les contours facilement malgré les habitats en construction devant les hauts murs... Je demande :

-Qu'est-ce là ?

Eric a pâlit et pose la main sur mon bras avec le regard plein de douceur de l'enfant de naguère, tout en me répondant :

-Viens, partons.

-Pour quelle raison si je suis en sécurité ?

-Parce que j'en ai reçu l'ordre... Tu ne comprends pas que c'est Gaëtan qui est là-bas ?

Je dégage mon bras d'une secousse, les joues soudain brûlantes et les yeux trop brillants. Je lâche dans un murmure :

-Alors j'y vais... je t'ai dit que je voulais le voir.

Eric baisse un instant la tête avant de relever ses yeux pour les poser sur moi. Sa voix est basse lorsqu'il reprend la parole d'un ton désolé.

-Mais lui ne le veut pas Edilyn... Il t'aurais déjà vue sinon.

Je refusais de l'imaginer, de le concevoir. Mais la dure vérité assénée par Eric se fraye un chemin jusqu'à mon cœur et je ne peux plus me voiler la face.

Ma fierté, cette fierté aveugle et sauvage qui m'a toujours guidée prend alors le dessus et je tourne le dos au groupe que j'aperçois au loin là-bas pour reprendre le chemin de mon habitat sans mot dire, le cœur battant la chamade et une tristesse m'envahissant que je tente sans y parvenir de juguler.

Eric reste un instant immobile avant de courir derrière moi :

-Non ! Edy, où vas-tu ?

-Chez moi ! Et je ne veux voir personne, pas même toi !

Oh non, jamais. Je les déteste tous... Pour quelle raison ne voudrait-il pas me voir ? Il y en a tant... Toutes les possibilités que j'avais évoquées en moi-même ressurgissent lorsque je pose ma main sur le détecteur et que la porte coulisse lorsque je m'arrête un très bref instant de respirer.

Si vraiment il a tellement peur de me voir... ne serait-ce pas la preuve qu'il m'aime toujours ?