Thaïs (Chapitre 78)

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Ergey marche devant nous de son pas aérien. Cela fait des jours que nous le suivons ainsi sans savoir où il nous mène. Mais le paysage a énormément changé et je prends petit à petit conscience du fait que nous ne connaissons vraiment presque rien de cette planète. Nous ne devons même pas pouvoir imaginer l'équivalent d'un pays de chez nous.

Il fait moins chaud maintenant et je commence à frissonner dans ma veste légère. J'ai donné mon pull à Sandra. Georges court derrière notre guide et lui demande :

-On fait une pause ?

Il a vite compris que c'est à lui qu'il faut demander ça plutôt qu'à nous. Ergey hésite, se retourne, puis finit par hocher la tête après nous avoir tous observés. Je me laisse tomber avec un soupir de soulagement sur le petit espace de mousse entre deux pierres à quelques mètres et Aevin ne tarde pas à me rejoindre.

Eric est en train de rire avec Sandra et Cigarette tandis que Georges discute avec le mystérieux indigène que je n'ai toujours pas l'impression de bien connaître.

-Je me demande si nous avons bien fait de partir...

Aevin arrête de sortir quelques vivres du sac que nous a remit Ergey et lève la tête vers moi avec un léger sourire.

-Thaïs, ils ont les moyens de nous faire rentrer chez nous...

-C'est ce qu'il a dit. Mais on ne sait toujours pas quelle est leur fameuse épreuve...

Mon adorable mari se penche vers moi et souffle dans mes cheveux avec toujours son petit sourire amusé. Je ne rentre pas dans son jeu mais me déride un peu. Il énonce calmement :

-De toute façon, on verra bien n'est-ce pas ? Alors autant ne pas s'inquiéter d'avance...

-Et si c'était dangereux ?

Son sourire s'agrandit.

-Nous serions très heureux de ne pas nous être fait du mauvais sang avant. Voyons Thaïs ! Essaie d'être pour une fois un peu moins inquiète...

-Qui doit être moins inquiète ?

Eric vient d'arriver et se laisse tomber en face de nous. Cigarette fonce alors que le sandwich que tenait Aevin dans les mains et, quelques minutes plus tard, celui-ci essaie de rattraper son dragon par la queue. Peine perdue évidemment. Mais Sandra rit aux éclats et bat des mains tandis que Georges accourt vers nous pour nous rejoindre.

Je lève alors la tête vers Ergey et croise son regard pâle posé sur moi. Il est le seul qui puisse répondre à mes interrogations... J'hésite un instant puis me lève brusquement avant de m'éloigner pour le rejoindre. Il est assis contre le tronc d'un curieux arbuste et je me laisse tomber à ses côtés.

Il ne fait aucun effort pour entamer la conversation et se contente de boire une longue rasade d'eau fraîche à ce qui ressemble à une gourde. Je romps alors le silence et demande :

-Ergey... Que fais tu chez toi ?

Sa peau pâle, bleue, m'intrigue toujours autant mais je n'ose l'interroger là-dessus. Il doit me trouver aussi étonnante.

Mais il fronce les sourcils et me répond.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je me mords les lèvres en cherchant mes mots avant de compléter ma pensée :

-Chez nous, nous avons un métier, une spécialité en quelque sorte...

Il semble comprendre et esquisse l'ombre d'un sourire avant de reprendre la parole.

-Je suis guide. Je conduis ceux qui le désire à la flèche. Ou la tour que nous venons de quitter si tu préfères...

Je murmure pour moi-même :

-La tour Courage...

J'hésite puis me tourne de nouveau vers lui.

-Où habites-tu ? Dans le même genre de ville que celle où nous avons été ?

Il acquiesce mais précise :

-C'est similaire oui... Mais le paysage au dessus de la ville n'est pas du tout le même.

-À quoi cela ressemble alors ?

-De la glace. Il n'y a pas de forêt tant c'est froid... Il y a de la neige aussi. Mais aucune terre cultivable.

Rien que l'idée m'arrache un frisson. C'est alors que je le regarde avec plus d'attention. Sa peau et ses vêtements assortis bleus pâles... Je n'ai pas le temps de poser ma question qu'il reprend la parole en suivant mon regard :

-Oui, ça doit être l'évolution je suppose. Nous avons toujours vécu sur des plaines glacées. Notre peau est un parfait camouflage.

Je repense au drôle d'animal qui m'avait attaqué la première fois. Je n'ai pas très envie tout à coup de demander en quoi c'est une bonne idée d'être peu visible... Je me reconcentre pour tenter d'oublier ces pensées désagréables et demande d'une voix plus décidée :

-Comment comptez-vous nous aider à partir ?

Il éclate alors tout à coup d'un joli rire joyeux sans que je m'y attende et je sens un sourire me monter aux lèvres.

-Qu'ai-je dit de si drôle ?

-C'est surtout que tu n'abandonnes jamais tes questions ! Bon, ok, je te donne quelques explications mais après on en reparle pas, d'accord ?

J'hésite avant d'accepter et il le devine. Son sourire s'agrandit encore tandis qu'il lâche :

-Sinon je ne dis rien, c'est plus simple.

Je m'empresse alors de répondre :

-Non ! D'accord je ne poserai plus de question... pendant un certain temps !

Il ne relève pas mais reprend la parole, son regard se posant sur Aevin, Eric et mes deux enfants quelques mètres plus loin.

-Connais tu l'existence des portails tridimensionnels ?

Je secoue la tête négativement. Il réfléchit quelques secondes pour chercher comment m'expliquer puis résume :

-Nous pouvons ouvrir des portails de dématérialisation. Nous pouvons envoyer à peu près n'importe qui n'importe où...

S'il dit vrai, leur technologie est supérieure à la notre. Il me faut quelques secondes pour enregistrer le concept. Mais une question franchit aussitôt mes lèvres avant même que j'ai réfléchi :

-Mais pourquoi ne jamais l'avoir fait alors ?

-Nos lois nous l'interdisent.

Je garde de nouveau pendant quelques secondes le silence, dubitative. Je me décide ensuite à demander :

-Et tu ne peux réellement pas m'en dire plus sur cette épreuve ?

Je le vois hésiter. Il lâche enfin :

-À vrai dire, je n'étais pas d'accord avec le conseil des anciens pour qu'il vous cache cela. Mais je ne sais pas si...

Je ne réponds rien, sentant que si je l'interroge encore, il gardera le silence. Il me demande alors :

-Si je te le dis, tu pourrais le garder pour toi ?

J'acquiesce une nouvelle fois sans réfléchir. Il pose alors ses yeux extraordinairement pâles dans les miens et laisse tomber quelques mots qui me font tressaillir :

-Nous voulons que l'un d'entre vous accepte de rester ici. L'une de nos prophéties l'ordonne...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant