Thaïs (Chapitre 14)

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Comme chaque fois qu'il y a une importante annonce à faire, la plus grande cours de la place forte a été transformée en salle de réunion à ciel ouvert et une gigantesque estrade a été dressée contre l'un des murs avec de grands écrans derrière et des micros un peu partout.

Je serre la main de Sandra et Aevin tient celle de Georges. Nous sommes contre le mur extérieur et nous n'attendons plus que le discours commence et que l'attention générale soit détournée. Comme l'avait dit si justement Gaëtan, c'est le moment où jamais...

La nuit tombe et déjà il commence à faire plus sombre. Les gardes noirs se sont mêlés à la petite foule et plusieurs personnes montent sur l'estrade à ce moment précis.

Gaëtan, le professeur Panem, Yves et deux gardes aux visages masqués. Un frisson me parcourt l'échine tandis que je serre violemment les dents. Sur un signe de Yves, sec, il doit encore être sous contrôle, Gaëtan s'avance en direction du micro et le silence se fait rapidement. Sa voix charismatique résonne alors à mes oreilles.

-Avant de commencer tout discours qui vous endormirait tous, sachez que j'ai fais avec le professeur Panem une stupéfiante découverte. La plupart d'entre nous ne vieilliront jamais...

Les gens devant nous poussent des cris étouffés mais je devine que cette nouvelle stupéfiante ne fait que renforcer un soupçon dont la plupart, consciemment ou non, avaient déjà une vague idée. Une femme anonyme hurle :

-Alors nous sommes immortels ?...

Je n'écoute pas la réponse de Yves qui s'avance déjà pour remplacer Gaëtan devant les micros. La foule s'agite, choquée de ce qu'elle vient d'entendre et grondante. Tôt ou tard une révolte éclatera, et nous ne sommes pas en force... Aevin se penche vers moi et murmure :

-Thaïs, il faut qu'on y aille...

Je serre la main sur mon sac que je porte en bandoulière sur l'épaule et blêmit légèrement.

-Non, attends. Eric ne devrait pas tarder à nous donner sa réponse.

Aevin pousse un léger soupir pour évacuer la tension et ne me répond pas. Heureusement, à peine deux minutes plus tard, Georges pousse un petit cri joyeux et je me tourne dans la direction qu'il désigne. Eric se faufile dans l'ombre des murs un passage vers nous. Le soulagement se peint immédiatement sur mon visage et je me précipite vers lui.

-Eric...

-Thaïs...

Je le serre un instant dans mes bras avant de reculer et de demander d'une voix blanche :

-Tu as décidé de rester n'est-ce-pas ?

Il incline la tête. Maintenant qu'il a grandi, c'est moi qui suis obligée de lever les yeux vers lui. Je tente de cacher les larmes qui menacent de m'échapper et acquiesce :

-C'est ton choix. Alors adieu Eric... Si tu revoies un jour Lydie, tu lui diras que j'ai beaucoup pensé à elle, ok ?

Il esquisse un sourire aux reflets tristes. Je sais que l'heure tourne même si Aevin à la délicatesse de ne pas s'approcher mais je ne peux me résoudre à tourner les talons. Eric murmure :

-Au revoir, pas adieu. On y arrivera un jour Thaïs, j'en suis certain.

-A quoi ?

-A enfin être réunis en famille... C'est ce que tu voulais dire, non ?

Je repense un instant à ma sœur toujours sur Terre aux côtés d'Azylis dans le corps d'un robot. Et à mon frère que j'aurai tant voulu protéger.

-Tu as raison. C'est ce que je voulais dire.

Je détourne la tête et m'éloigne brusquement sans un mot de plus. Eric ne fait pas un geste pour me retenir et Aevin se contente de m'entraîner en avant le long du mur en me serrant très fort la main. Un sourire me monte aux lèvres en jetant un coup d'œil à mes deux enfants. Ce sont eux, l'avenir.

***

Nous sommes sur l'un des remparts. Je sais que Gaëtan nous a promis un minimum de trente minutes de tranquillité. Je me penche vers le vide et réprime un frisson en sortant de mon sac la longue corde très fine métallique.

Aevin se tourne vers moi et murmure :

-Je m'occupe de Georges et toi de Sandra, ok ?

J'acquiesce tandis que Georges demande avec de grands yeux :

-Maman, qu'est-ce-qu'on fait ?

-On s'en va.

-Pourquoi ?

-Parce que je ne compte pas passer ma vie en prison.

Il se tait et je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire amusé lorsque je le vois se pencher un peu comme moi deux minutes plus tôt pour fixer le mur immense qui s'enfonce dans une végétation luxuriante. Il relève la tête et prend de nouveau la parole :

-On va descendre comment ?

Je lui fais signe de regarder ce que fait Aevin. Celui-ci a déjà fixé le bout de son filin métallique au rempart et lance le reste de la corde par dessus les créneaux. Le fil qui paraît minuscule se met alors à se balancer doucement au grès du vent et le bout disparaît de nos yeux dans la verdure. Mon mari se tourne vers Georges avec un petit sourire en coin.

-Ce n'est pas toi qui m'a dit hier que tu aimais bien avoir peur ?

Georges ne paraît pas convaincu. Mais il inspire très fort -on dirait qu'il m'imite, c'est plutôt adorable- et acquiesce.

-On y va Papa ?

Aevin hoche la tête et vérifie silencieusement que le filin est bien fixé. Le bout adhère parfaitement à la pierre et il n'y a aucun risque de ce côté là. Je fixe alors le mien de la même façon et positionne la corde de manière à ce qu'elle retombe de l'autre côté. J'inspire fortement -avec un léger sourire en pensant à Georges quelques minutes plus tôt-, prends Sandra qui reste terriblement silencieuse et l'attache à mon dos à l'aide de sangles prises dans mon sac. Elle se contente de murmurer :

-Maman...?

-Tout va bien chérie.

Je lance ensuite un regard à Aevin. Il vient de terminer d'attacher Georges de la même façon. Je jette alors un coup d'œil à ma montre intégrée. Il ne nous reste plus que quelques minutes... Est-ce que nous avons raison de faire tout cela ? Je vais perdre mon frère, des amis, pour plonger dans l'inconnu...

Trop tard pour hésiter. Nous nous avançons d'un même pas, Aevin et moi, avec nos deux enfants, et, quelques minutes plus tard, je passe de l'autre côté du rempart...

Sandra pèse dans mon dos un poids dangereusement lourd et mes doigts s'agrippent de toutes leurs forces au fil métallique. Des gouttes de sueur perlent dans mon cou et je jette de fréquents coup d'œil en hauteur tandis que je descends lentement.

La muraille fait bien cinquante mètres de hauteur... Combien de temps nous reste-t-il avant que l'on ne remarque notre absence ? Aevin descend un peu plus vite car Georges l'aide en s'agrippant lui aussi au filin. Mais je ferme les yeux en tentant de calculer combien de temps il me reste avant de toucher le sol sans y parvenir.

Je ne suis qu'à la moitié de la muraille et un temps qui me semble presque infini s'est déjà écoulé...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant