Edilyn (Chapitre 70)

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-Vite ! Contactez moi de toute urgence le maire d'Ivy !...

Je relève les yeux vers l'écran géant de la salle de communication du palais mais il reste désespérément noir pour la troisième fois de suite. La secrétaire répond d'une voix angoissée :

-Altesse, il... il n'est toujours pas joignable...

La sueur coule le long de mon front. Je donne un coup de poing sur la table de la femme avant d'ordonner :

-Recommencez ! Recommencez jusqu'à ce qu'il soit en ligne !...

Je me tourne ensuite vers un autre secrétaire devant un écran similaire. Il m'adresse le même regard apeuré.

-Majesté, nous n'arrivons pas non plus à joindre votre lieutenant...

Bien sûr. Un détail de nos préparatifs me revient alors à l'esprit. Ni Esteban ni Fagon ne devaient être joignables sur écran. Qu'on ne puisse pas les espionner et les repérer ainsi...

Je laisse échapper devant tous les employés présent :

-Non... Non ! Ça ne peut pas... Je me trompe forcément... C'est mon imagination !

Mais ma tension monte d'un cran et je me tourne de nouveau vers la première secrétaire.

-Contactez d'urgence mon pilote habituel. Qu'il soit avec un aéronef présent dans moins de deux minutes sur la plateforme de décollage de mon appartement.

La secrétaire hoche la tête et je la vois pianoter sur son écran. Chaque minute qui s'écoule est une véritable torture et je me force à tenter de garder un visage aussi impassible que possible. Je me trompe forcément... Ce message sur la porte. Ce n'était qu'une stupide plaisanterie.

Mais l'homme à qui je viens de parler m'interpelle :

-Majesté...

-Il répond ?

L'espoir doit percer dans ma voix car l'homme pâlit en répondant :

-Non. Mais on vous demande d'urgence à l'étage quatre... Au sujet d'un robot si je comprends bien.

Je détourne les yeux vers l'écran de mon autre secrétaire et réponds avec colère :

-Ça m'est égal ! Vous entendez tous ? Ça m'est égal !

Jamais je n'ai été aussi en colère. Un silence tétanisé fait suite à mes paroles bientôt troublée par ma secrétaire tremblante de la tête aux pieds :

-Majesté... Votre pilote sera là dans deux minutes.

Je n'attendais que cette certitude. Je ne réponds pas un mot, sentant que ce serait de toute façon un cri, et sors de la pièce presque en courant ce qui n'est pas dans mes habitudes.

Quelques minutes plus tard, je suis dans mes appartements. Je prends sur mon bureau mon écran portatif et le pose sur mon bras auquel il s'attache automatiquement avant de rapidement sortir sur la plateforme. Mon pilote m'attend effectivement et je monte sans un mot dans l'aéronef dont il m'ouvre la porte.

Quelques secondes plus tard, il est devant ses commandes et demande :

-Où va-t-on ?

La voix blanche, sentant mon cœur battre trop fort dans ma poitrine, je lance :

-Gare du nord. Le plus vite possible.

Mon pilote sait très bien qu'il faut se taire quand je suis dans un pareil état. Il ne pose aucune question et l'aéronef décolle rapidement du sol. Si seulement je pouvais être certaine qu'il ne se passera rien...

Tout mon corps me semble en feu tandis que je lutte contre l'idée grandissante que je suis en train de tenter de gagner une course contre la montre.

Pas mes enfants. Tout mais pas elles...

***

J'ai oublié toute prudence en venant ici. Je n'ai qu'un garde de protection... Mais cela m'est soudainement égal. Je marche d'un pas vif dans les grandes salles de la gare, bondées, et les traverse le plus vite possible sans trop me faire remarquer. J'entends bien des cris de surprise mais je ne m'attarde pas.

Pourtant, dans l'avant-dernière salle, les cris se font plus violents et je ne tarde pas à être pratiquement encerclée malgré les efforts de mon garde pour me dégager de là.

-La reine ! Vous avez vu ? C'est la reine...

-Celle qui a tué Gabriel... Elle a tué ses parents aussi...

-La régicide...

Plus personne ne bouge. Le train qui attend dans la salle ne se remplit plus et mille visages tous plus fermés les uns que les autres me fixent. Je prends la parole avec colère :

-Laissez-moi passer !

Et je sors le pistolet que j'ai toujours sur moi de ma ceinture. Mais une femme grogne sur ma gauche :

-Va-t-elle encore tuer quelqu'un ?

Et les cris redoublent. Mais une dizaine de gardes noirs jaillit tout à coup de la dernière salle et les personnes s'écartent précipitamment à la vue des armes. Je me contente de dire au premier de mes hommes suffisamment haut pour que tout le monde entende :

-Prends en deux pour l'exemple.

Puis je me précipite de nouveau en avant, laissant mes gardes face à la foule qui recommence à hurler de peur et de colère mêlée.

Mais je n'ai même pas le temps d'avoir peur. Je ne pense qu'à mes filles.

Je pénètre dans la dernière salle et m'arrête en poussant un cri :

-Esteban !

Le maire d'Ivy est debout, immobile dans la salle déserte. Il ne répond rien. Mon cœur se remet à bondir dans ma poitrine et j'accours vers lui. Lorsque je suis face au jeune homme, je le découvre pâle, les dents serrées, et les yeux fous.

-Esteban ! Je vous ordonne de...

-Je viens d'apprendre par un message anonyme que plusieurs personnes savaient que vos filles allaient partir aujourd'hui.

Je garde le silence quelques secondes, juste le temps de réussir à trouver la force de dire :

-J'ai reçu le même message il y a une demi-heure. Je ne pouvais pas vous contacter. Mais... Les fourgons sont blindés et...

Je m'accroche à tout l'espoir qu'il me reste. Esteban redresse la tête et énonce d'une voix trop calme :

-Je viens d'appeler nos services de la prochaine étape du train. Ils ont l'ordre de l'arrêter et de récupérer la princesse à n'importe quel prix. L'ordre a été donné pour Eslimea également...

Je murmure :

-Les deux... Bien sûr ! Mais vous allez les sauver, vous allez...

Il serre alors un peu plus les poings et lève les yeux vers un écran géant. Le trajet du train s'affiche et je suis des yeux la petite ligne de pointillés rouges du chemin déjà parcouru et ce qu'il reste avant la prochaine étape.

Esteban résume d'un ton qui achève de me détruire le cœur :

-Pourvu qu'elles tiennent... Pourvu qu'il ne se passe rien. Jusqu'à la prochaine étape. Il faut juste qu'elles arrivent jusque là...

Les pointillés rouges me paraissent maintenant presque menaçants...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant