Intemporel T5 & 6

Azylis (Chapitre 40)

-Sarah ?

Pragmatique, j'entends sa voix dans mon oreillette :

-C'est le moment des touchants adieux non ?

J'aurai aimé qu'on puisse s'apprécier un jour. Mais ce ne sera jamais le cas d'autant que je sais maintenant ce qui nous sépare tout en nous rapprochant : Christian.

La voix de Sarah demande alors :

-Que dois-je dire aux hommes ?

Je ne réfléchis pas et lance, frondeuse, les yeux toujours fixés sur les vaisseaux en approche.

-Que nous allons leur montrer à tous comment meurt un homme libre ! Et que je serais avec eux jusqu'au bout...

-Tu pourrais t'enfuir.

-Mais je ne le ferai pas. Pas sans vous.

S'ensuit un silence angoissant tandis que j'entends le grondement de plus en plus proche des vaisseaux.

Sarah finit par dire :

-Il y a des gens qui ont du cran. Ça me rend folle de te dire ça mais tu méritais d'être reine...

Et avant que je puisse répondre quoi que ce soit elle coupe la communication. Je ne peux m'attarder à rien mais je sens qu'elle m'a touchée. Je règle mon oreillette et la voix de Christian résonne bientôt :

-Azylis ? Je suis blessé. Complètement immobilisé... J'ai ordonné à mes hommes d'essayer de reculer et de m'abandonner. Quoi qu'il arrive... Je... Je te fais confiance.

Que puis-je répondre ? La voix brisée par la tristesse et la peur je me décide pourtant à user pour la première fois de mon privilège de chef sur lui : donner des ordres.

-Christian, tu as dit toi-même que vous étiez piégés. J'ordonne à tes hommes de se battre jusqu'au bout et avec toi. Edilyn ne nous permettra pas de nous rendre... Mourrons debout. Laisse leur le choix. Et tu verras, ils te suivront...

Je coupe la communication, sûre soudain qu'il m'obéira,  puis contacte Satan :

-Pas de nouvelles de Rebelle ?

-Je sais ce que tu espères. Mais non, tout est bien fini. Que fait-on ?

Les yeux soudain secs et le nez levé vers le ciel, je rétorque :

-On participe à la scène finale...

Puis, j'ajoute en esprit :

-Ce vaisseau, partant pour le détruire ?

Mais je sens soudain mon gigantesque dragon hésiter. Quelque chose se fige en moi et je me décide à dire :

-C'est vrai que toi, tu n'en as rien à faire de cette guerre.

-Non, c'est faux. Je voulais nos droits. Mais je crois que nous n'y arriverons plus.

Je plisse les yeux avant de me forcer à posément rétorquer :

-Alors va vers le vaisseau. Dépose-moi et ensuite va-t-en. Tu n'es pas obligé de te sacrifier.

Je sens Satan prêt à ajouter quelque chose mais je lui coupe la parole pour dire :

-Tu réaliseras bien une dernière volonté ? Quand je serais... morte, continue de chercher ma fille. Et un jour, si vous la retrouvez, vous lui direz que je l'ai aimée jusqu'au bout...

-Nous le ferons petite humaine. Tu as ma parole de sang.

Et sans ajouter un mot ni même m'expliquer sa dernière parole, il plonge vers le vaisseau près de la faille créée. Mes doigts effleurent avec une angoisse croissante le pistolet à ma ceinture.

Je ne pourrai plus me défiler. Je vais devoir tirer... Lorsque Satan se pose près de la crevasse dans l'armature du vaisseau, je saute en tâchant de viser le bon endroit. Par un quelconque et miraculeux hasard je réussis à rester debout et me tourne vers Satan. Il esquisse une dernière pirouette autour du vaisseau sans tenter de me contacter.

Je murmure :

-Adieu...

Et je saute dans le petit espace ouvert entre les tôles. J'arrive dans une petite salle de contrôle. Je n'ai pas vraiment le temps d'observer autour de moi car je ne vois qu'une chose : une femme, debout devant moi, arme à la main.

Ou est mon pistolet ? Il m'a échappé dans ma chute...

La femme esquisse un sourire froid en me faisant violemment signe de me lever de la tête. J'obtempère devant la menace de l'arme en me maudissant pour la perte de mon seul moyen d'attaque.

Une fois face à face, la femme ne peut s'empêcher de me regarder avec curiosité. Elle finit par demander après quelques minutes de silence :

-Mais qu'espériez-vous ? Les caméras de bord vous ont tout de suite repérée sur le toit... Vous nous avez fait peur avec votre dragon. Mais ensuite vous arrivez ici sans arme ?

Et elle éclate de rire comme si l'idée était trop ridicule. Je suis plutôt d'accord avec elle et je me maudis silencieusement. Mais je peux peut-être  tenter quelque chose...

Mais je-ne-sais quoi dans mon attitude doit le dénoncer, à moins que ce soit le hasard, car elle resserre soudain sa poigne sur son arme et se déplace par rapport à l'ouverture en me faisant signe de m'engager dans le petit couloir.

Je n'ai pas le choix. Je m'avance lentement et me retrouve bientôt à marcher dans le petit espace, le canon froid de l'arme pointé sur mon cou.

Je pousse une porte au bout du couloir et entre dans une salle ronde à l'avant du vaisseau. Il y a bien cinq ordinateurs en cercle parfait et un homme ou une femme devant chaque.

Je me mords violemment les lèvres. Chacun de ces écrans commande un canon... Qui tue à chaque instant un peu plus des miens.

La femme derrière moi referme la porte et lance à ses camarades :

-Voilà notre invitée ! La femme de Gabriel...

Les gens relèvent la tête. Enfin deux d'entre eux pour être plus précis. Les autres continuent de tirer... Les écrans des ordinateurs couvrent les murs entièrement et je croirait presque qu'il s'agit de gigantesques fenêtres... ce qui n'est évidemment pas le cas puisque le vaisseau est entièrement en métal.

Un homme m'adresse un salut ironique avant de dire avec un petit rire :

-À votre avis, la reine lui fera subir le sort des traîtres ?

La femme derrière moi paraît trouver l'idée drôle.

-L'exécution publique tu veux dire ?

Je m'apprête à tenter le tout pour le tout, c'est à dire tenter de détruire l'un des écrans au moins, et ne réagis pratiquement pas à ce que j'entends.

Mais sur l'écran devant moi quelque chose attire soudainement mon attention. Un point dans le lointain qui grandit rapidement. Et puis un autre. Le ciel est bientôt envahit d'une multitude de points indéfinissables.

Mon cœur se met à cogner trop fort dans ma poitrine tandis que l'un des hommes lance :

-Bon sang ! C'est quoi ça ?

Les dragons. Rebelle a réussi...