Edilyn (Chapitre 6)

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Je repose violemment sur la table l'appareil qui me permet de contrôler Yves.

-Thaïs... Encore et toujours toi...

Je regrette d'avoir parlé à haute voix. Je ne devrais pas perdre mon temps. Et pourquoi est-ce-que je ne suis toujours pas capable de regarder en face Gaëtan ?

Je jette un coup d'œil à la glace et prends quelques minutes pour rendre mon visage parfaitement neutre. Une fois que mon attitude paraît impassible, je me décide à faire quelques pas et à me diriger vers la porte de la pièce.

Je sors de mes appartements et un garde noir me suit aussitôt, surveillant chaque personne que je croise dans le couloir. Je gagne avec mon ombre la salle de transfert de l'étage et ne tarde pas à ressortir d'une pièce similaire à l'étage des conseillers.

Je gagne la grande salle, toujours suivie de mon garde, et entre. Tout le monde se lève aussitôt en silence. Les vingt-cinq membres du conseil -nouvellement reconstitué- me regardent passer jusqu'à gagner ma place en bout de table.

Je m'assois et attends quelques secondes avant d'autoriser les autres à faire de même. Deux de mes gardes restent debout derrière moi.

-Je suppose que vous allez vouloir discuter de l'Eveland ?

La tension monte de plusieurs degrés dans la pièce. Un homme aux cheveux bruns et au physique banal se décide à prendre la parole après un coup d'œil nerveux à la ronde.

-Majesté... Ils vont nous attaquer.

-C'est certain.

Tout le monde paraît étonné de ma réponse. Légèrement rassuré, l'homme reprend timidement la parole :

-Mais ils ne seront pas seuls.

-Non ?

Je hausse un sourcil, feignant une surprise que je n'éprouve évidemment pas. Azylis. Les rebelles... Mes yeux lancent un éclair et l'homme déglutit bruyamment avant de se rassoir au fond de son siège.

Mais une vieille femme aux joues ridées se lève alors et brandit un doigt frêle dans ma direction.

-Je n'ai pas peur de vous ! Les rebelles vont entraîner avec eux tous les hommes et femmes loyaux de ce pays...

Je me lève d'un bond et un garde s'empare de la vieille pour la forcer à faire le tour de la table et l'amener devant moi. Malgré son courage, elle ne peut s'empêcher de blêmir. D'une voix glacée, je demande à toute l'assistance :

-Les hommes et femmes loyaux ? Mais n'est-ce-pas à moi qu'ils doivent leurs loyauté ?

La vieille me regarde avec haine et mon garde resserre ses doigts sur son bras. Elle murmure de sa voix rauque :

-Je venais dans ce conseil pour tenter d'améliorer les choses à Astra. Mais tant que vous règnerez, il n'y aura aucune chance...

Je m'approche d'elle. Personne ne perd une miette du spectacle mais pas un membre de le réunion ne fait le geste d'intervenir et de se lever.

-Je ne serais pas toujours là. Et mes filles, vieille femme, représentent l'avenir... Que peux t'apporter Azylis Astra ?

Les yeux de la femme semblent se rétrécir à la manière d'un serpent. Elle me toise de haut en bas et veut s'avancer mais le garde l'en empêche avec brutalité. Alors, d'une voix basse elle me répond avec un léger sourire :

-Personne ne veut de vos filles Altesse. Elles sont prisonnières de vos tours de verre. Jamais elles ne pourront sortir de ce palais. Elles mourront lorsque la terreur que vous exercez s'éteindra avec vous...

Les mots font mal. Comme des dizaines de flèches qui s'engouffrent dans les brèches de ma forteresse intérieure.

-Vieille femme, ce sont tes derniers mots.

Elle redresse alors la tête, ne craignant déjà plus rien, et demande :

-Qu'en penseraient vos filles ?

Dans la salle, tout le monde retient son souffle. Personne n'est jamais resté en vie assez longtemps pour me provoquer jusque là. Je la toise avant de répondre malgré moi dans un souffle :

-Qu'importe. Vous les tueriez de vos mains.

La vieille femme penche la tête légèrement de côté et semble m'observer en silence quelques secondes. Un homme recule dans son siège et un autre se racle la gorge. Ce sont les seuls bruits que l'on entend. Mes gardes n'attendent que mon ordre pour mettre un point définitif à la vie de celle qui ose me braver.

-Princesse...

Je me crispe en entendant l'affront. Elle ne me considère pas comme la reine et a l'audace de m'en faire l'injure devant tous... Mais une force invisible doublée de curiosité m'empêche de l'interrompre et j'attends la suite de sa phrase qui ne tarde pas à venir.

-... Vos enfants seront tuées et vous ne pourrez jamais éviter cela. Mais moi, je ne porterai pas la main sur deux gamines encore innocentes. Vous ne me connaissez pas.

Un long silence s'ensuit. Tout le monde attend, avec crainte. Que je fasse un signe à un garde et qu'une détonation retentisse ou que j'appuie sur les yeux d'émeraudes de mon serpent que tous appellent déjà "le démon".

Mais je ne fais rien. Cette femme n'a fait que dire la vérité et j'en ai douloureusement conscience. Je sais que si elle voyait mes filles en danger, elle tenterait de les aider par soucis de justice. Le garde qui lui tient le bras gauche lève les yeux vers moi. Je réponds froidement à son interrogation muette.

-Non. Laissez-là partir. Que personne ne touche à un seul cheveux de sa tête. Quant à toi vieille femme, remercie le ciel et va-t-en. Je suis rarement clémente.

Elle ne répond pas et s'éloigne déjà de sa démarche claudiquante vers la porte de la salle. Avant de la franchir, elle se retourne pourtant vers moi et il me semble apercevoir de la tristesse au fond de son regard.

-Vous êtes condamnée princesse. Peut-être qu'il reste une chance pour vos enfants. Je le souhaite.

Et elle sort de la pièce. Un profond silence s'est abattu sur la petite assemblée et je réussi à garder une attitude impassible. Alors qu'à l'intérieur de moi-même, je me sens sur le point de m'écrouler. Les larmes débordent de mes yeux mais je les ravale, gardant la tête haute pour tous ceux qui n'attendent que de me voir craquer pour précipiter ma chute... et celle de mes filles.

Mais juste au moment où j'inspire fortement, la porte se rouvre en grand et je retiens de justesse un hoquet de stupeur.

-Eslimea ! Que fais-tu là ?

Les mots jaillissent de ma bouche sans que je réfléchisse. Je suis pâle, je le sens, et mes doigts s'agrippent à la surface de la table comme si cela pouvait m'aider à tenir et à ne pas tomber. Par quel hasard arrive-y-elle précisément juste après les paroles si terribles de la vieille ? Mais ma fille, elle aussi pâle comme un linge ce que je ne remarque que maintenant, laisse tomber quelques mots dans la pièce qui sonnent pour moi comme un coup de tonnerre qui détruit tout dans mon cœur.

-Maman ! Saldya est partie...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant