Ysa (Chapitre 65)

374 67 72
                                    

-Mince, mince, mince !...

Je pousse un épouvantable juron en fixant des yeux le miroir de la salle de bain et Camille passe une tête curieuse par la porte :

-Dis donc, tu ne m'as pas l'air de bonne humeur toi aujourd'hui !

Je maudis une dernière fois mon reflet avant de me tourner avec un sourire plus calme vers ma colocataire.

-Disons que cette première journée s'annonce très mal !

Camille éclate de rire tandis que je jette un énième coup d'œil à l'écran mural. Huit heures trente du matin... Parfait. Et je suis censée être à mon nouveau poste dans moins de trois minutes.

Je pousse un nouveau juron qui arrache encore un sourire à Camille, la bouscule légèrement en me précipitant vers mon sac à dos dans la chambre en désordre, boucle en un tour de main mon ceinturon sur ma tunique et mets en place mon pistolet dans l'étui réservé à cet usage.

Plus sérieuse, ma colocataire demande tandis que je me dirige déjà vers la porte du petit deux pièces :

-Qu'est-ce qui va gâcher toute ta journée ?

Je réponds sans réfléchir d'une traite, ce qui ne m'empêche pas de me maudire ensuite.

-Je n'ai pas pris mon colorant pour mes cheveux... On commence à voir mes racines.

Mais alors que je m'apprête à inventer je ne sais quoi pour me justifier, elle éclate de rire une énième fois et suggère :

-Ce n'est que ça ton problème monstrueux ! Bah, essaie de passer à l'espèce de quincaillerie de l'étage numéro 102. Ils proposent pas mal de trucs... Mais ils contrôlent ce qu'ils donnent. Enfin, de la nourriture je comprends les rations alimentaires mais de la lotion capillaire... Ça ne doit pas être trop demandé !

Sa malice perce sur les derniers mots mais je sors de l'appartement sans attendre, en lançant au passage :

-Merci Camille ! Ça peut toujours être utile...

Je suis sérieuse. Mais passer à ce fameux étage va me mettre encore plus en retard... Je lâche un nouveau juron en enviant Camille qui ne doit que rejoindre les salles d'entraînement aujourd'hui et me maudis une nouvelle fois pour m'être fait remarquer. La tour est heureusement bien équipée et je m'engouffre rapidement dans l'une des petites salles de transfert sans réfléchir.

La voix musicale de la pièce demande :

-A quel étage souhaitez-vous aller ?

-102...

-La quincaillerie. Vous y êtes.

Ça a duré moins d'une minute et les portes de la petite salle se rouvrent déjà. Je me précipite dehors en agrippant la lanière de mon sac à dos et jette un vague "merci" avant de me remettre à courir. Mais je dois bien m'immobiliser lorsque j'arrive devant une espèce de tourniquet où deux hommes armés contrôlent les entrées.

Une queue s'est formé mais avance vite et il ne reste bientôt que quelques personnes devant moi. Un jeune homme à l'allure banale demande :

-Un paquet de cigarette, c'est possible ?

L'un des deux gardes lui demande :

-Tend ta main...

Le garçon obtempère et j'aperçois alors ce qui ressemble de loin à de nombreux tatouages. Mais ce n'est en fait que la marque indélébile de tampons destinés à savoir ce que l'on est déjà venu chercher... Simple, mais efficace.

Le garde grogne et envoie balader le garçon en disant :

-Désolé mon vieux mais là, tu repasseras dans quelques temps...

Il essaie bien de négocier mais les gardes l'écarte rapidement avant de se tourner vers moi. Ma demande me paraît à moi-même ridicule lorsque l'un d'eux prend la parole à mon intention :

-Qu'est-ce que tu veux ?

-Vous n'auriez pas... Du colorant noir pour cheveux ?

Éclat de rire général. Je crispe mes poings et me retiens de hurler. Mais le souvenir du regard d'Esteban que je ne comprenais pas, et des deux princesses qui avaient découvert ce soir là où j'avais laissé à mes cheveux leur teinte naturelle quelque chose qui m'échappe toujours me pousse à tenir bon. Devant les deux hommes hilares, je redemande froidement :

-En avez-vous ?

Le premier s'énerve et rétorque :

-On n'est pas dans un salon de coiffure ici...

Mais le second hausse les épaules et je m'autorise quelques secondes d'espoir.

-Après tout... Je vais voir dans notre bazar mais j'ai un doute.

Il s'éloigne dans la pièce éclairée mais ne tarde pas à revenir quelques minutes plus tard les mains vides. Je murmure :

-Pas grave, merci beaucoup...

Alors que je tourne déjà précipitamment les talons, je n'ose même plus imaginer à quel point je suis en retard maintenant, quelqu'un plaisante derrière moi :

-Dis donc tu te les teints combien de fois les cheveux ? Les racines bleues c'est vrai que ce n'est pas génial...

Super. C'est visible... Je peste pour moi-même en regagnant l'une des salle de transfert :

-Franchement, je pourrais être un minimum plus prévoyante...

-Quoi ?

Je relève la tête vers le plafond et réponds rapidement :

-Non rien désolé. Excusez-moi, je veux aller au huit-centième étage.

-Pas de problème.

Les portes se rouvrent déjà et je me mets une fois de plus à courir avant de m'immobiliser tout à coup. Je suis dans une petite pièce de quelques mètres sur quelques mètres et à part la salle de transfert que je viens d'emprunter, il n'y a qu'une porte gardée par un homme et une femme, à l'air aussi peu commode l'un que l'autre. Le premier demande tandis que je fais un pas en avant :

-Ton nom ?

-Ysa Estona.

Aucun d'eux ne réagit et je crois bon d'ajouter :

-J'avais reçu l'ordre de venir ici...

Même silence. Je me retiens de laisser échapper une parole que je pourrai bien regretter et ajoute :

-Il se peut que je sois légèrement en retard...

La femme rétorque alors durement tandis que son compagnon se décide à sortir son écran pour m'annoncer je le suppose aux autres :

-C'est la première et dernière fois que tu es en retard...

Je me retiens de nouveau de répliquer vertement et me contente d'un hochement de tête poli.

L'homme murmure alors quelques mots que je n'entends pas et ils s'écartent tous deux de la porte d'un même mouvement. Le battant ne tarde pas à s'ouvrir et j'entends une voix à la fois curieusement triste et rieuse lancer quelques mots :

-Alors Christian, tu me la présentes ta tête brûlée ?...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant