Gaëtan (Chapitre 51)

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Je suis debout sur une table, le poing levé, et j'hurle dans la salle :

-On ne peut plus se laisser faire ! Il n'y a pas de raisons que les gardes noirs fassent la loi !... Êtes vous prêts à me suivre ?

Un cri unanime jaillit de toutes les bouches. La cantine était le meilleur point pour rassembler tout le monde... J'en ai assez de courber la tête, d'obéir. La fuite de Thaïs, d'Aevin et d'Eric est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et a mis le feu aux poudres. L'événement qui nous a donné envie de nous battre.

Je ferme les yeux pendant quelques secondes en attendant que la foule se calme devant moi puis lance d'une voix forte :

-Ils ne s'y attendent pas. Vous avez bien les pistolets paralyseurs ? Nous ne sommes pas des assassins ! Et je veux que personne ne l'oublie aujourd'hui...

Un lourd silence tombe dans la pièce lorsque j'arrête de parler. Un homme paraît sur le point de me contredire mais se ravise. Je l'apostrophe d'une voix dure :

-Tu penses qu'on devrait les tuer ?

Le silence est presque palpable et deux gouttes de sueur coulent dans mon dos. L'homme se décide enfin à dire :

-Gaëtan, tu as vu ce qu'ils sont prêts à nous faire...

D'une voix radoucie parce que je l'ai reconnu, c'est celui qui s'est pris la semaine dernière une séance de coups pour n'avoir pas obéi à un ordre, je rétorque pourtant :

-Je sais. Mais justement si on veut être du bon côté, on doit être différent.

Je me tourne ensuite de façon à faire face à toute la salle. Les gardes noirs ne vont pas tarder à comprendre que quelque chose ne tourne pas rond dans le fort... Il est six heures du soir et nous devrions normalement êtres tous dans nos appartements. Il ne nous reste que très peu de temps avant que l'alerte ne soit donnée...

Je pose mon regard sur Kim, silencieuse à ma gauche, assise sur le bord de la table où je me tiens, et elle lève discrètement les pouces en l'air. J'esquisse alors un sourire et relève la tête.

-Un autre détail. Je m'occupe personnellement du gouverneur du fort... Que personne d'autre ne cherche à l'atteindre, compris ?

Nouveau remous dans la foule réunie. Je sens bien que la plupart aimeraient bien remettre en cause mon autorité... mais je ne peux pas le permettre. Une femme demande alors d'une voix pleine de mépris :

-Lui aussi tu veux le laisser en vie ?

-Es tu une meurtrière ?

Elle soutient mon regard pendant quelques secondes puis finit par baisser ses yeux. Elle crache alors du bout des lèvres :

-Non. Il a de la chance.

Je tente de cacher le soupir de soulagement qui m'échappe et lance alors à l'intention de tous :

-Alors on y va !

Et je dresse le poing vers le ciel. Un immense cri de révolte sort de toutes les bouches et je me joins à eux en lançant de nouveau un coup d'œil à ma fille adoptive. C'est mon seul regret, j'ai peur pour Kim...

Mais je n'aurai jamais pu l'empêcher de se joindre à nous. Un sourire éclaire mes traits un bref instant. Elle me ressemble tellement... Est-ce bien ? Je l'ai éduquée à ma manière. La pensée d'Edilyn m'arrache un soupir douloureux et je songe malgré moi que ce n'est peut-être pas une excellente idée que Kim me soit si semblable. Mais il est trop tard pour revenir en arrière...

Et la foule attend que je bouge pour me suivre.

Je saute alors en bas de ma table et atterris sur le sol parfaitement uniforme. Au moment où mes pieds entrent en contact avec le sol froid, un cri jaillit derrière moi et je reconnais la voix de Kim parmi celle des autres :

-Attention ! Ils sont là !...

Je plonge sur le côté juste à temps et me redresse sans regarder qui a été touché derrière moi par la balle à effet calmant. Les gardes noirs. Ils sont en train de tous arriver dans la salle.

Celui qui vient de tirer s'est immobilisé à une distance de quelques mètres de nous et m'apostrophe vivement parce que je suis devant :

-Qu'est-ce que tu organises encore ? Qu'est-ce que tu fais ? Cette fois ci la reine ne te sauveras peut être pas une nouvelle fois la mise... Debout, viens avec nous. Les autres, les gardes vont vous reconduire à vos appartements. Dépêchez vous !

Mais aucun de nous ne bouge et moi encore moins que les autres. Le garde pousse un grognement sourd. Nous nous détestons. Les yeux posés sur les miens, s'adressant uniquement à moi, il demande avec un sourire narquois :

-C'est une révolte ?

Quelqu'un glisse sous ma main derrière moi un pistolet paralyseur. Je me redresse lentement, sans chercher à cacher l'arme entre mes doigts. Mais le garde ne baisse pas une fois les yeux de mon regard.

-Oui. Et c'est maintenant qu'elle commence...

-Tant mieux. Ça faisait longtemps que j'attendais ça...!

Et tout s'accélère brusquement. Il fonce vers moi et je m'avance moi aussi, l'arme serrée dans ma main.

Je tire mais il bascule sur le côté et nous tombons tous deux sur le sol. Je ne vois plus rien si ce n'est des gens qui me bousculent de tous côtés. J'ai juste le temps de réaliser que tout le monde m'obéit : je ne vois que des pistolets paralyseurs.

Mais je n'ai pas le temps de plus y réfléchir car le garde tente de s'emparer de mon arme. Je réussi alors à tirer et le touche au bras. Il m'adresse un regard purement incendiaire avant de s'immobiliser.

Je me redresse lentement, hagard, conscient que je ne peux pas le laisser là au milieu de cette foule qui pourrait le piétiner. Je range à ma ceinture mon pistolet puis le prend par les bras et le tire contre le mur. Lorsqu'il y est enfin, je pousse un immense soupir de soulagement.

Je redresse alors la tête vers la porte et mes yeux croisent ceux de la fille de tout à l'heure. Celle qui m'a demandé si on devait laisser en vie Yves...

Ses yeux sont si froids et décidés que je bondis en avant en criant :

-Attends !...

Mais je suis arrêté par deux hommes qui me bousculent et elle en profite pour s'élancer dans le couloir et disparaître de ma vue.

J'ai intérêt à faire très vite si je veux retrouver Yves avant elle...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant