Azylis (Chapitre 82)

326 64 21
                                    

Je contemple le ciel noir. Mon cœur bat trop vite. Ils devraient revenir... Maintenant. Une ombre apparaît alors entre deux étoiles et je m'arrête net de marcher de long en large.

Sans même réfléchir, je tends mon esprit et tente de contacter le dragon qui se dirige vers moi. Mais c'est trop tard, j'ai déjà vu. Qu'il n'y a personne sur son dos...

-Satan ?... Satan !...

Mon cri silencieux n'obtient pas la moindre réponse et l'animal se contente d'atterrir en silence juste devant moi sur la plateforme. Ses griffes dérapent sur le verre incassable et il tourne sa fine tête triangulaire avec agacement vers moi. Il souffle un nuage de fumée qui me fait hoqueter pendant quelques secondes. Mais cela m'est égal.

Je refuse d'admettre ce que j'ai pourtant sous les yeux... Je m'approche et pose ma main sur les écailles du cou de Satan. Mais il se redresse brusquement en poussant un sifflement de colère. Je ne me démonte par pour autant et demande :

-Satan, où est ma fille ?

-Elle est restée là-bas.

Mon cœur se fige dans ma poitrine tandis que je détourne les yeux vers la nuit noire. Je ne sens plus mes émotions tant il me semble que tout vient brusquement de perdre toute couleur ou tout relief. C'est comme si tout était noir soudain, et qu'il y avait un goût de cendre dans ma bouche. Je revois passer en un éclair le moment où j'ai compris que Gabriel était mort et je sens chaque parcelle de mon être pousser un cri qui se perd dans la nuit.

-Noooooon ! Tu pouvais l'attendre !

-Le plan prévoyait de partir à l'heure petite humaine !

-Tu ne pouvais pas penser à quelqu'un d'autre que toi pour une fois ? Tu l'as laissée là-bas, tu l'as abandonnée, tu...

Je n'ai rien le temps d'ajouter. Le dragon bleu se redresse de toute sa hauteur et l'une de ses ailes me heurte violemment à la tête. Je tombe sur le sol sans même comprendre ce qui m'arrive. Ma glissade m'envoie à l'extrême bord de la plateforme et je freine juste à temps. Je redresse la tête vers l'animal immense qui me fixe.

Je pousse un léger soupir et murmure :

-D'accord. C'était le plan. Désolée.

Et je me relève sans un mot de plus. Chaque fois que je pense avoir réussi à les "apprivoiser", Satan comme Rebelle me laissent découvrir avec une déception amère qu'il n'en est rien. Moi, pour n'importe qui, je serais restée là-bas. Aussi longtemps que je l'aurai pu...

-Azylis, qu'est-ce qui se passe ?

Je me relève lentement en voyant Christian accourir vers moi. Il veut me serrer contre lui mais je me dégage brusquement. Sa voix, son visage, est empreint de la peur qu'il a éprouvé pour moi et je me mords violemment les lèvres. J'aimerai qu'il cesse un jour de m'aimer ainsi... Mais ça aussi, ça doit être sans espoir.

Les yeux de Christian vont de moi au dragon avant de revenir se poser sur mon regard. Il demande enfin :

-Elle n'est pas revenue c'est ça ?...

Je secoue la tête. C'est la seule chose que je réussi à faire tant j'ai l'impression que si j'essaie de parler je vais m'effondrer une fois de plus.

Mais je redresse alors les yeux et les pose sur Satan. Je murmure d'une voix soudain terriblement décidée :

-J'y vais. Je vais voir ce que je peux faire là-bas...

Christian m'attrape par le bras alors que je m'avance déjà vers le dragon d'une démarche chancelante.

-Pas question. La guerre reprend demain, tout le monde compte sur toi Azylis... Tu veux tous les abandonner ? Et moi ?

Je le fixe pendant quelques secondes, et un début d'hésitation s'empare de moi. Mais je réponds alors le plus doucement possible, plus décidée encore que quelques minutes auparavant :

-Christian, c'est ma fille... Je ne peux pas la laisser tomber. Pas maintenant que je viens de la retrouver.

Je me dégage doucement et repars vers Satan. Je reconnecte nos esprits et demande :

-Désolée pour ma colère de tout à l'heure. Tu me ramènes là-bas ?

-Tu es une menteuse.

-Pourquoi ?

-Tu n'es absolument pas désolée.

Il paraît toujours courroucé et un éclair brille dans ses yeux de temps en temps. Et en plus il a raison. Je ne regrette absolument rien... Je rétorque à haute voix en m'éloignant déjà vers les portes :

-Ce n'est pas grave, je vais voir si Rebelle sera plus coopérative...

Cette idée paraît l'agacer et il rétorque avec violence :

-Très bien ! Mais dépêche-toi de monter sur mon dos avant que je ne change d'avis Azylis !

Je ne réponds rien et fais demi tour en courant. Il m'a appelée par mon prénom, donc il doit être réellement autant en colère que moi... Mais qu'importe ! Maintenant que je fais quelque chose, je sens l'espoir dominer mes émotions et l'adrénaline me pousser en avant. Je n'aurai pas le droit à l'erreur si je veux revoir Ysaïne...

Alors que j'arrive déjà sur le dos du dragon, une main s'agrippe aux écailles et Christian commence à grimper à son tour. Il lève la tête vers moi et lance :

-Attends ! Pas question que tu sois encore la seule à t'amuser...

Sa tentative pour me faire rire ne réussit pas et j'hésite quelques secondes à refuser qu'il vienne avec moi. Mais je crois que je n'ai pas vraiment le droit de lui refuser ça. La voix courroucée de Satan retentit dans mon esprit tandis que Christian s'installe derrière moi.

-Prévenez-moi quand on sera prêt !

Je réponds sans attendre une minute de plus :

-Vas-y...!

Et nous décollons du sol. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine et l'air sur mon visage me détends toujours autant que la première fois où j'ai volé sur un dragon. Christian, en revanche, est aussi mal à l'aise que d'habitude.

Ses mains sont crispées sur les écailles glissantes de Satan et je le vois à deux reprise faire le geste de s'accrocher à moi. Mais il doit bien me connaître puisqu'il ne le fait pas...

Nous survolons les tours et ma gorge se serre au fur et à mesure que nous avançons. Christian crie dans mon oreille pour couvrir le bruit du vent :

-Dès qu'on sera posé, envoie un message à Sarah pour la prévenir !...

Il n'a pas tort. Histoire que tout le monde ne s'inquiète pas de notre absence pour rien... Quoique. Je crois qu'ils auraient de bonnes raisons de le faire.

Les tours du palais apparaissent alors droit devant nous et je ferme les yeux quelques secondes. Toutes les pièces sont illuminées et personne ne doit dormir. Comment pourrons-nous récupérer Ysaïne ? Mais il y a forcément une possibilité, une chance.

Je dois m'accrocher à cette idée. De toute façon, je n'ai pas le choix. Ma fille est la dernière chose à laquelle je tienne réellement.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant