Azylis (Chapitre 12)

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Je m'avance, les mains dans les poches, et traverse les allées sablées du parc. Je tourne autour d'un bosquet d'arbres et arrive enfin devant l'aire réservée aux dragons. La plupart sont attachés avec de grosses chaînes au sol mais les miens sont en totale liberté -ce qui m'a d'ailleurs été reproché à plusieurs reprises mais j'ai tenu bon-. Je me dirige vers eux et Rebelle qui tournoyait dans les airs plonge vers le sol pour atterrir juste devant moi en faisant trembler le sol sous son poids.

-Salut Rebelle...

Satan s'approche rapidement à son tour et penche sa fine tête à mon niveau.

-Que nous veux-tu petite humaine ?

-Vous avertir que nous partons dans l'après-midi.

La voix de Rebelle pénètre à son tour dans mon esprit et elle murmure :

-Pour Astra ?

-Oui.

-Avec le roi ?

-Non. J'ai bien réfléchi. Je reprendrai Astra par la force s'il le faut mais sans le livrer à nos ennemis.

Il me semble que Rebelle étouffe un bâillement. Satan met fin à la discussion en lâchant d'un ton narquois :

-Sage décision petite humaine.

Je ne réfléchis pas et avance la main vers lui sans répondre. Je caresse du bout des doigts sa tête triangulaire et il ne la retire pas, ce qui m'étonne et me fait plaisir. Je murmure à haute voix :

-Je vais peut-être enfin retrouver Ysaïne...

-Je ne le pense pas.

Je me retourne d'un bond et Satan comme Rebelle redressent d'un coup la tête. Je m'avance vers le jeune homme et salue de la main.

-Idwin. Enchantée de te revoir.

C'est faux. Je suis loin d'apprécier le fils du roi et donc l'héritier de l'Eveland... et je le déteste maintenant après la phrase qu'il vient de lâcher. Mais je me décide à ajouter :

-Pourquoi ne reverrai-je pas ma fille ?

-Parce que si elle est encore en vie, mon père se chargera de l'éliminer. Il veut Astra et moi aussi.

Le jeune homme doit avoir vingt ans. Ses cheveux sont clairs et son visage renvoie une impression de dureté assez en accord avec son sale caractère. Je me contente de hausser les épaules froidement.

-Tu n'es qu'un enfant gâté Idwin. Tu apprendras tôt ou tard que la réalité ne correspond pas toujours à nos rêves. Alors, peut-être que tu perdras cette bataille... Ma fille est en vie, et c'est ton maudit pays qui perdra la guerre.

Les yeux d'Idwin brillent un bref instant mais il ne réplique pas. J'ai déjà remarqué qu'il n'a aucun sens de la répartie...

Je m'apprête à tourner les talons pour m'éloigner lorsqu'il me rattrape en deux pas et me demande avec une grimace hésitante :

-Vous allez essayer de vous opposer à mon père ?

J'acquiesce en silence. Idwin reprend alors d'une voix plus ferme :

-Mais il vous a aidé pendant des années.

-C'était son intérêt d'augmenter les troubles à Astra.

Il hausse les épaules sans rien dire et je commence déjà à m'éloigner lorsqu'il ajoute avec un léger sourire narquois :

-Nous devrions nous revoir très bientôt. Je pars pour Astra en tant qu'ambassadeur.

Je me retourne et le fixe quelques secondes des yeux. Je finis par répondre :

-Alors fais attention à toi. Quand on est un danger pour Edilyn, ce n'est pas tellement prudent d'aller au palais en tant que représentant... Il arrive si vite un si regrettable accident...

Et je m'éloigne cette fois-ci sans lui laisser le temps de poursuivre la conversation. De toute manière, je doute qu'il ait quelque chose à ajouter.

***

Je m'avance en silence sur le balcon de la tour de verre. Dans le parc à mes pieds sont réunis tous les hommes et femmes qui ont décidé de me rejoindre pour combattre Edilyn. J'ai la gorge sèche tandis que je m'immobilise, la main posée sur le bord de la terrasse. De la décision que je prends aujourd'hui dépendent tellement de vies... Je me force à secouer la tête et a inspirer fortement. Christian, habillé de noir comme les gardes d'Edilyn -j'ignore pour quelle raison- est posté en retrait, juste derrière moi. Maly est à ma gauche et je devine la présence de Sarah derrière l'une des portes à l'intérieur.

Maly se hausse sur la pointe des pieds et me murmure avec un sourire :

-Azylis, tu as fais le bon choix, quoi qu'en dise cette folle de Sarah. On doit combattre, mais sans le roi de l'Eveland.

-Ce n'est pas ce que tu disais avant.

-Mais tu m'as ouvert les yeux.

Je la regarde avec un sourire brillant au fond des yeux et me tourne lentement de nouveau vers la foule en contrebas. Le roi, à qui j'avais demandé un temps de réflexion supplémentaire, doit être furieux à l'heure qu'il est... Je me décide enfin à prendre la parole d'une voix forte et assurée pour la foule qui m'écoute.

-Aujourd'hui restera l'un des jours les plus importants de l'histoire d'Astra. Nous sommes maintenant assez puissants et il est temps de rentrer au pays...!

Ma dernière phrase tombe dans le plus parfait des silences. Je songe à tous les équipements que nous avons mis de côté plus ou moins légalement pour nous assurer une autonomie complète. Nous avons assez d'aéronefs pour nous passer de l'aide de l'Eveland. Et d'immenses soutiens financiers venant de tous ceux qui n'osent pas bouger ou ne le peuvent pas à Astra...

Mais tout à coup j'entends monter de la foule une exclamation qui grandit petit à petit.

-Vive Astra ! Vive la reine, Azylis Astra !

Les mots montent jusqu'à moi tandis que je me mets à sourire avant de redevenir froide. Nous allons enfin rentrer... Dans notre pays mais les armes à la main. Quelle sera la réponse d'Edilyn ? Et celle d'Ezedor, ce roi maudit ?

Lorsque la foule s'est enfin calmée, quelques minutes plus tard, j'ajoute d'une voix qui retentit dans les micros :

-Nous devrons sûrement reprendre Astra par la force. Il y aura des sacrifices et des larmes. Mais nous vaincrons l'injustice !...

Nouveau tonnerre de cris et d'applaudissements. Je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir dit des choses si exceptionnelles... Juste ce que tout le monde pense ici. Je me tourne sans réfléchir vers Christian qui esquisse un sombre sourire.

-Parfaite Azylis, comme toujours...

Je désactive le micro pour répondre :

-Mais que trouvent-ils de si merveilleux dans ce que je dis ?

-C'est évident, non ? Tu es passionnée. Tu crois en ta cause et en la justice. C'est rare, les politiques dans ton genre.

Il m'arrache un grand sourire amusé et je le fixe quelques secondes en silence. Son uniforme renforcé de boucliers magnétiques lui va bien et ses yeux brillent de leur éclat sauvage habituel. Je me retourne pour faire face à la foule. Sans rebrancher le micro, je murmure à l'intention de Christian :

-Les politiques dans mon genre, passionnés pour leur pays, j'en ai rencontré plusieurs.

-Lesquels ?

-La famille Astra tout simplement. Même Edilyn n'échappe pas à cet amour inné de sa patrie.

Je sens dans la voix de Christian de la colère et du ressentiment lorsqu'il lâche avec rage quelques mots :

-Bien sûr. Gabriel avait également autant de panache n'est-ce-pas ?

Je me retourne vers lui et lui lance un long regard étonné. Mais je ne relève pas et me tourne de nouveau face à la foule. Je n'ai pas menti. La seule chose qui compte maintenant c'est Astra. Et ma fille. Elle est en vie et je dois y croire à tous prix pour continuer.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant