Jamais je ne me suis sentie ainsi. Oh ! Quel mal me déchire le cœur ! Cela fait si longtemps que je laisse mes souvenirs et mes états d'âme refluer au plus profond de moi-même...
Me laisser seule avec pour toute compagnie mes pensées était certainement le supplice le plus terrible que l'on pouvait m'infliger. Je suis prostrée au sol depuis des jours, refermée sur moi-même comme un enfant triste succombant au poids de ma culpabilité, et mes longs cheveux s'étalent autour de moi sur le sol comme une sinistre corolle noire à l'image de mon âme.
J'ai tout perdu. Il n'y a plus rien. Pas même ma colère à laquelle me raccrocher. J'ai bien essayé en vain en songeant à ce prince de l'Eveland, cet assassin de mes filles... Mais je n'y arrive plus. Seul l'attrait du pouvoir pourrait encore me faire sortir de ma torpeur...
Mais comment réussir ? Comment seulement espérer le retrouver ? Je le désire pourtant avec violence, comme une drogue dont je serais en manque et qui me permettrait d'oublier. De tout oublier...
Je me recroqueville un peu plus dans l'ombre. L'éclairage est bleuté et n'éclaire pas toute la pièce. Et personne ne peut me voir tant que la porte reste fermée...
Je ne peux plus vivre. Cette certitude fait corps avec moi depuis longtemps déjà. Oh ! Depuis si longtemps maintenant que j'y réfléchis !
La mort de mes parents ? C'était comme un choix, comme le basculement final vers le mal. La colère que j'avais accumulée contre eux, mon envie de les renverser... Tout cela a toujours agi en moi comme un violent poison. Et je ne le regrette pas.
Mais il y a Gabriel. Pour lui, tout est différent. Je crois que j'ai commencé à mourir le jour où j'ai tiré et que ma balle l'a tué...
Pourtant j'ai continué. De vivre, chaque minute, chaque seconde, tout en ayant la cruelle impression de m'enfoncer chaque jour un peu plus dans un cauchemar inexorable.
Et puis, il y a eu ces deux enfants. Eslimea et Saldya... Je resserre d'un mouvement presque convulsif mes mains autour de mes jambes et un sanglot m'échappe, envahissant pendant quelques secondes le silence de la pièce.
Mes deux petites filles... Avec elles j'ai lentement recommencé à aimer ces journées qui défilaient devant moi... Il me manquait toujours quelque chose, un vide que je cherchais à combler par la violence, Gabriel, mais elles étaient là, à mes côtés...
Jamais je ne m'étais imaginée mère. Et puis elles sont mortes ! Je ne peux pas pleurer, je ne peux plus. Je n'en ai plus la force.
Mais, malgré toute cette horreur qui m'environne, une profonde certitude ne cesse de grandir en moi. Je ne mettrai pas volontairement fin à mes jours. Parce que même désespérée, même au bout de tout ce qui fait ma vie, il me restera cette volonté de me battre, encore et toujours...
Je m'immobilise parfaitement et tend l'oreille. Seul le bruit de ma respiration me parvient, régulier quand je me contrôle, puis chaotique quand mes pensées achèvent de me submerger.
Jamais je ne pourrais réellement être heureuse. Parce ce que je suis si paradoxale... Je voulais le pouvoir à n'importe quel prix... Je le veux encore... mais je suis incapable d'en assumer toutes les conséquences.
Et je n'ai plus rien. Rien. Seule cette étrange volonté de vivre que je découvre avec surprise au fond de moi, mais aussi fragile que la lueur vacillante d'une bougie...
***
Un bruit. D'abord léger, puis grandissant. Mes oreilles distinguent le son et mon esprit parvient à sortir de sa torpeur pour en analyser le sens. Des pas dans le couloir... Le garde devant ma porte -je le suppose-, qui discute avec un nouveau venu... Mais je n'entends rien à cause de l'épaisseur des murs si ce n'est comme un étrange chuchotement.
Mes yeux brillent un bref instant. Personne ne doit me voir dans l'état où je suis. Je me force alors à me redresser, lentement, prenant appui sur mes membres tremblants jusqu'à réussir à m'adosser contre le mur. Mes longs cheveux noirs, dans cette position assise, effleurent toujours le sol et mes doigts tapent un geste répétitif à leurs côtés, trahissant ma nervosité.
Je baisse les paupières quelques secondes, inspire, avant de me composer une attitude. Neutre, calme, suffisante. Alors que mon cœur bat la chamade et que mon sang me paraît s'enflammer dans mes veines...
Je ne me tourne pas vers la porte lorsque celle-ci s'ouvre après un temps qui me paraît infini mais reste au contraire parfaitement figée, les yeux posés sur le mur face à moi avant de les refermer. À quoi pensait Gabriel quand il était en prison ?
Mon masque se fissure et j'inspire de nouveau pour tenter de garder le contrôle de mon être. La porte se referme et une silhouette vient s'asseoir en face de moi contre l'autre mur dans le silence.
De longues minutes passent et je ne tourne toujours pas les yeux vers mon visiteur. Jusqu'au moment où je me décide à le faire, sentant confusément que l'autre ne prendra pas la parole avant d'avoir croisé mon regard.
-Ysaïne...
Ma voix est juste comme je le désirais. Provocante, sarcastique. Alors que je tremble intérieurement en contemplant ses traits fins et résolus, encadrés de cette masse de cheveux bleus déjà légendaire...
-Enchantée de vous revoir ma tante...
Elle adopte une attitude radicalement opposée à la mienne et m'adresse un grand sourire. Elle étend l'une de ses jambes sur le sol et garde l'autre repliée au niveau du genou, posant nonchalamment sa main dessus. Je demande sans changer de ton :
-Que me veut la célèbre future reine d'Astra ?
Ses yeux bleus cherchent les miens de nouveau avant de répondre. Elle lâche enfin dans un souffle :
-Vous partirez après le couronnement. Lundi prochain... Je tenais à vous le dire...
Les morceaux brisés de mon cœur me déchirent un peu plus la poitrine mais je me contente de répondre :
-Vraiment ? Quelle attention touchante... Mais est-ce la seule raison de ta venue Ysaïne ?
J'ai voulu la prendre de haut mais un frisson m'agite de haut en bas en prononçant son prénom et mes doigts se crispent sur le sol. Ysaïne, alors que je suis certaine qu'elle a remarqué cette faille dans ma protection, n'articule pas la moindre critique mais continue comme si de rien n'était :
-Je voulais aussi vous dire que vous serez sous étroite surveillance sur Sagan. Et je veux également vous demander comment vous communiquiez précisément avec eux.
J'oublie mon ton de provocation pour demander simplement sous l'effet de la surprise :
-Je dois vous aider à me faire surveiller, c'est cela ?
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Intemporel T5 & 6
Science FictionIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...