Thaïs (Chapitre 5)

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-Louis, est-ce-que tout va bien ?

Gaëtan et moi n'avons pas attendu que l'on sonne l'alerte et nous avons déjà rejoins sur le rempart le garde qui a crié. Il est tout pâle et désigne un point invisible dans la forêt à nos pieds.

-Thaïs ! Gaëtan ! Je les ai vu !...

Je m'approche à mon tour du rempart et scrute plus attentivement la forêt.

-Les indigènes...

Ma gorge est sèche. Gaëtan est déjà en train d'interroger Louis.

-Combien étaient-ils ? Et comment étaient ils ?

-Ils étaient deux. C'est difficile de voir d'ici, et en pleine nuit...

Je jette un coup d'œil droit devant moi. L'aurore se lève. Dans quelques minutes, il fera même tout à fait jour. Je lutte contre la fatigue qui m'envahit, la nuit a été plus que fertile en émotion, et continue de fixer attentivement le paysage tandis que Louis poursuit :

-Tu sais comment ils sont...

Les yeux soudain figés je murmure :

-Oui. Ils brillent dans le noir.

Je tends la main et Gaëtan se précipite à côté de moi. Il suit la direction de mon doigt et ne tarde pas à les apercevoir à son tour. Deux hommes au loin, deux ombres. Il fait encore nuit mais ils paraissent émettre une curieuse lueur dorée.

Ils semblent s'apercevoir que nous les avons vu car ils font demi-tour et disparaissent dans la forêt. Je pousse un léger soupir mi-déçu mi-soulagé.

-Je persiste à penser que monter toute cette expédition pour finalement se cantonner dans ce fort est ridicule. On devrait explorer les alentours, chercher à discuter avec ces gens...

Gaëtan hausse les épaules tandis que Louis se met à trembler comme une feuille.

-C'est interdit de dire ça. Et tu dois te souvenir du résultat de la première expédition.

Légèrement agacée, je rétorque du tac au tac :

-Mais il n'est pas encore interdit de penser que je sache.

-Mais cela pourrait le devenir.

Nous nous retournons tous d'un bond. Le gouverneur du fort est devant nous, droit, avec ses yeux terriblement vides. Gaëtan ne peut s'empêcher de laisser échapper :

-Yves ! Nous...

Je secoue la tête tandis qu'il s'arrête de lui-même.

-Ce n'est pas Yves. Bonjour Edy. Comment ça va depuis le temps ?

Une expression de colère totalement incongrue se peint sur le visage d'Yves. À travers le jeune homme, Edilyn me répond avec violence :

-Fais attention à ne pas dépasser les limites Thaïs !

Je jette un coup d'œil au fort puis demande d'une voix mi-amusée mi-énervée :

-Mais que peux-tu encore me faire Edy ? Tu m'as déjà envoyée sur ce monde inhospitalier alors je ne vois pas très bien ce que je...

Yves -toujours parfaitement contrôlé- esquisse un froid sourire qui ressemble bien à celle qui fut autrefois ma meilleure amie.

-Je ne t'ai pas tout pris. Il te reste encore des choses auxquelles tu tiens. Tu es vulnérable, ne l'oublie pas.

Elle évite de regarder Gaëtan et Yves tourne brusquement les talons. Alors qu'il s'éloigne sur le rempart sous nos yeux il lance :

-Laissez tomber les sauvages. Il y aura du travail à l'aube pour tout le monde.

***

-Aevin, on ne peut pas continuer comme ça.

-Je suis d'accord avec toi Thaïs mais... Qu'est-ce-que tu proposes ?

-On pourrait tenter de regagner Astra.

-Ça fait des années qu'on essaie en vain.

Je me penche vers le sol et prend dans mes bras ma petite Sandra sans répondre. Elle esquisse un petit sourire adorable et s'amuse à défaire consciencieusement la coiffure que j'ai réussi à faire tenir toute une journée depuis hier.

Aevin est assis sur le lit de Georges et celui-ci est debout à côté de lui.

-Papa, pourquoi vous n'aimez pas cet endroit ?

Aevin montre du doigt l'ensemble de l'appartement : deux pièces plus une salle de séjour. Les salles de bains sont communes à l'étage.

-Georges, quand j'ai épousé ta mère je comptais bien la faire vivre dans un palais digne d'un conte de fée et regarde moi ou on en est maintenant...

Je ne peux m'empêcher de sourire de nouveau et de rétorquer :

-Arrête Aevin, je suis une femme indépendante.

-Ttt... Thaïs, comment peux-tu être indépendante ET mariée ?

Je lève les yeux au ciel et dépose au passage un léger baiser sur la joue de ma fille avant de la reposer à terre.

-C'est tout à fait possible, au vingt-huitième siècle...

Aevin esquisse un nouveau fin sourire malicieux.

-C'est sûrement possible avec n'importe quel autre mari mais moi...

J'abandonne comme toujours, il a réponse à tout, et rétorque avec mon sourire aux lèvres :

-Alors tout est parfait, je te laisse gérer seul la maison pendant dix jours.

Aevin paraît soudain beaucoup moins sûr de lui.

-Eh... C'est une blague j'espère ?

Je lui adresse un clin d'œil faussement compatissant avant de redevenir grave tout à coup en entendant derrière la porte de l'appartement dans le couloir le pas cadencé des gardes. Aevin lui-même abandonne aussitôt ses sourires pour murmurer :

-Mais je crois que tu as raison Thaïs. On doit tenter quelque chose.

-Les indigènes ?

George est fasciné par ces hommes depuis que nous lui avons dit qu'ils rayonnent dans le noir. Mais Aevin ne sourit pas et demande d'une voix plus haute au fur et à mesure que le pas des gardes s'éloigne :

-Thaïs, on pourrait essayer de les rejoindre...

Je lève la tête aussitôt et laisse échapper un léger cri de stupeur.

-Quoi ? Rejoindre les indigènes ?

-Tu dis tout le temps toi-même que nous devrions tenter de nous rapprocher d'eux.

J'acquiesce, me mordant la lèvre au passage.

-Oui, c'est ce que j'ai dit Aevin... Et j'y crois. Mais je ne pense pas qu'aller les voir seulement à deux...

Nous ne savons rien d'eux. Et si je suis pour un rapprochement, je souhaite aussi faire preuve d'un minimum de prudence. Mais Aevin se contente de répliquer gravement en se levant et en s'approchant de moi :

-Pas à deux Thaïs. Au moins à quatre.

Bien sûr que je ne pourrai pas partir sans les enfants. Mais raison de plus pour faire preuve de prudence.

-Aevin, qu'espère-tu exactement ?

-Je ne veux plus rester ici. Et toi non plus. Et je pense que j'ai plus de chance de nous dénicher un palais chez ces indigènes dont nous ignorons tous plutôt qu'ici !...

Que puis-je répondre ? Au fond, je suis d'accord avec ses arguments (sauf pour le palais...). Et je veux plus que tout quitter ce fort ou je suis emprisonnée depuis douze ans. Mais suis-je prête à risquer dans cette aventure la vie d'Aevin, celle de Sandra et celle de Georges ?

Aevin me jette un coup d'œil amusé. Je devine qu'il peut presque voir mes réflexions se peindre comme d'habitude sur mon visage.

-Alors Thaïs ?

J'inspire fortement puis décide de me jeter à l'eau.

-D'accord pour tenter de partir. Mais on préviendra les autres.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant