Intemporel T5 & 6

Idwin (Chapitre 190)

La salle de transfert là... Je m'y engouffre avec Dill et Tiara et tape quelques touches de l'écran tactile sans succès avant de tenter d'entrer en contact avec la voix automatique. Peine perdue...

-Les salles de transfert sont désactivées... Quelqu'un du palais a dû s'en charger...

Tiara me jette un regard paniqué mais je ressors déjà en même temps que Dill, la tirant au passage par le bras. Je lui adresse un coup d'œil rassurant tandis que nous nous précipitons vers les escaliers.

-Ne t'inquiète pas, on va s'en sortir !

La vérité c'est que c'est moi qu'ils veulent. S'il le faut, je n'aurais qu'à me précipiter à leur rencontre pour donner à Tiara les deux minutes nécessaires pour décoller l'aéronef... Seule la peur qu'elle ne me suive m'empêche déjà de le faire.

Mes pas se font plus rapide encore dans l'escalier malgré ma poitrine en feu mais Tiara a du mal à continuer, pâle et luttant contre un épuisement visible.

Si seulement son aéronef était sur une terrasse plus proche !

-Dill ?

Il hoche la tête, comprenant tout de suite, et nous nous plaçons chacun d'un côté de la jeune femme pour qu'elle s'appuie sur nos deux épaules. Mais cela ralentit considérablement notre marche tandis que j'ai l'impression terrible que les cris se rapprochent chaque fois un peu plus.

Dill est très pâle tandis que nous franchissons un nouveau palier et je murmure :

-Tu m'as caché quelque chose... Quoi ?

Tiara se dégage de nos bras, murmurant qu'elle peut maintenant continuer, et nous accélérons légèrement notre rythme auparavant ralentit tandis que j'attends avec une anxiété grandissante la réponse de Dill. Il lâche enfin :

-Ils n'ont pas prévu de nous affronter... Simplement de poser au bon endroit une bombe.

Je ne réponds rien, me contentant de jeter un coup d'œil à Tira. Elle avance maintenant même plus vite que moi, mâchoires serrées et petit air décidé au visage.

Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes mais je parviens à continuer et à ignorer l'inquiétude et la peur qui me déchirent les entrailles.

Enfin ma femme oblique dans un couloir à un nouveau palier et je sens mon cœur ralentir très légèrement sa course, se calmant un peu. Mais, alors que nous nous engouffrons dans une grande salle et que nous voulons aller vers la terrasse, nous sommes obligés de nous immobiliser.

L'un de mes propres gardes braque sur nous son arme et esquisse même un sourire goguenard.

Il désigne du doigt l'aéronef posé derrière lui sur la surface de verre et demande :

-Ça qu' vous voulez ?

Dill s'avance d'un pas, la sueur dégoulinant de son front, et je remarque alors que l'homme qui nous vise ne doit pas avoir plus de quinze-seize ans. C'est un adolescent... mais ça ne change rien à la situation.

-Rice, ne fais pas ça...

Mais l'autre se contente de toiser Dill d'un regard neutre puis presque amusé tandis que je ne sais que faire. Lever la main vers mon arme à ma ceinture me paraît dangereux et je n'ose faire ce simple geste, me maudissant de ne l'avoir fait auparavant... mais je pensais nos ennemis tous derrière nous. Funeste erreur.

Dill n'hésite pourtant pas et sort son arme. L'autre réplique en voyant son geste :

-Reste en dehors de ça... par qui je commence ? La fille ?

Et je ne comprends pas tout alors. Deux détonations simultanées retentissent et Tiara laisse échapper un cri de terreur.

Lorsque je reprends mes esprits, c'est pour voir devant mes yeux Rice gisant à terre dans son propre sang et Dill également, jeté devant la balle destinée à ma femme...

Celui-ci respire encore faiblement quand je me précipite vers lui et il tend même sa main poisseuse de sang pour agripper mon poignet et dire :

-Allez-vous-en... Que... que je ne sois pas mort pour rien. Laissez... laissez moi là...

Et il s'immobilise parfaitement, ne respirant déjà plus tandis que je hurle.

-Non ! Nooon !...

Le seul homme à m'avoir témoigné de l'admiration, de l'amitié. Le seul habitant de l'Eveland à n'avoir pas souhaité ma mort, le garde qui...

Je sens quelqu'un me tirer en arrière et c'est la voix paniquée de Tiara qui me fait revenir à moi.

-Vite, vite, l'aéronef !

Je me relève comme dans un songe, juste pour elle. À son regard hagard, je me demande un instant comment elle trouve la force de résister alors qu'elle ne peut soutenir le regard de personne dans un salon... Grâce à son curieux courage qui lui vient justement du fait qu'elle affronte toujours ses peurs, encore et encore.

-L'aéronef...

Le murmure qui franchit mes lèvres ne me semble pas être le mien.

Titubant, accroché à Tiara comme à une bouée de sauvetage, j'avance de quelques mètres et nous ne tardons pas à gagner la terrasse.

Deux minutes plus tard, je suis assis dans l'appareil. Mais, alors que Tiara veut le faire fonctionner, appuyant sur tous les boutons, je saisis en un éclair.

L'aéronef ne décollera pas... L'autre l'a détraqué. Tiara me lance un long regard que je lui rends, et il ne brille plus aucune étincelle de peur dans nos prunelles respectives.

D'un même geste, nous sortons de l'appareil devenu inutile, et nous nous rejoignons au centre de la plateforme.

Alors, sans que nous ayons réfléchis, je la serre très fort dans mes bras et nous nous embrassons avec fougue, mes doigts caressant sa nuque sous ses cheveux ébouriffés tandis qu'elle ferme les yeux, et que chacun de nous pense un instant être à des mille et des mille d'ici...

Ce baiser a le goût de nos larmes, de la sueur qui dégouline de nos fronts, de nos peurs les plus profondes et de tout le courage que nous avons pu rassembler pour ce dernier instant.

Il n'y a plus rien entre nous, plus même la mort de Dill qui ne me touche étrangement plus puisque je suis déjà dans un autre monde, plus tout à fait vivant...

Alors, alors seulement, Tiara murmure à mon oreille :

-Jamais je ne pourrais regretter ce moment... parce que c'est la première fois que j'ai l'impression que tu m'aimes vraiment.

Et c'est à ce instant précis que la terrasse est secouée par une gigantesque explosion. Un nuage rouge, incandescent, nous envahit, tourbillonne un instant autour de nous, comme le baiser brûlant que nous échangeons et qui nous lie pour toujours dans la mort, avant que tout ne disparaisse dans un hurlement de douleur qui nous échappe...