Ysaïne (Chapitre 168)

293 60 31
                                    

Je ressens d'abord une immense stupéfaction en regardant Edilyn se redresser. Mon dragon ?

La petite créature que je viens de reprendre s'agite sur mon épaule et laisse échapper de temps en temps un léger crachât de fumée qui me pique les yeux. Mais je ne pense à rien de tout ça et me contente de demander avec une hésitation qui trahit ma surprise et, oui, mon désarroi, simplement à l'idée d'oublier Rajah.

-Pour quelle raison le voulez-vous ? Mon dragon ?

-Non !

La porte de la salle vient de s'ouvrir et ma mère pénètre dans la pièce. Elle échange un regard électrique chargé de colère avec Edilyn avant de se tourner vers moi et de reprendre plus calmement, une fois la porte refermée :

-Je venais pour prendre des nouvelles lorsque je vous ai entendues... Ysa, qu'est-ce que tu fais ?

Son propre dragon a sauté à terre en même temps que le mien et les voilà à courir à travers toute la pièce en poussant de temps en temps un petit cri suraigu.

Je réponds calmement avant de me tourner de nouveau vers Edilyn.

-Maman, je n'ai pas dit que je comptais faire ça. J'ai juste posé une question à ma tante...

L'ancienne reine éveille en moi, chaque fois que je pose mon regard sur elle, un mélange de fascination et d'amitié que je ne peux détruire. Elle paraît fragilisée, à me regarder ainsi, les bras repliés autour de ses jambes, les yeux animés d'une lueur vacillante entre hésitation et désespoir.

Revoir la femme dangereuse ? Elle s'évanouit comme un écran de fumée pour laisser place à une femme qui relève la tête à ma façon, bravant la tempête, mais avec cet éclat de désespoir dans ses prunelles et la bouche entrouverte comme pour rechercher en permanence le dernier souffle d'air qui lui manque...

La savoir proche de la mort m'a ébranlée plus que je n'aurais dû. Parce que je ne lui ai pas menti : ma famille m'est plus précieuse que tout. Même la femme qui a tué mon père... Sans être seule responsable, ce que je ne peux plus oublier en voyant son regard brûlant détailler en permanence mes traits, recherchant dans mes yeux incroyablement bleus le fantôme du prince.

Son regard est attaché au mien et elle ne réagit même pas lorsque l'un des dragons passe par dessus le lit de fer, aussitôt suivi de l'autre. Elle répond enfin, dardant ensuite sur ma mère ses yeux en feu.

-J'ai toujours été seule. Enfin, sauf au moment où j'ai eu mes filles avec moi... Ton dragon, ce serait pour moi la preuve que j'ai la confiance de quelqu'un. Mieux, que je peux faire confiance à quelqu'un. Mais ce serait aussi un compagnon... Très précieux puisque tous sont libres maintenant et que très peu acceptent le lien avec les humains.

Quelque chose se fige en moi tandis que ses paroles me pénètrent le cœur. Il me semblé évident qu'elle a dit la vérité... Quelque chose dans sa façon de se mettre à jour, de se mettre à nu. Azylis ne relève pas les yeux vers Edilyn, hésitante tout à coup elle aussi, avant de demander d'une voix plus douce mais toujours sur la défensive :

-Vous avez choisi la solitude.

La sœur de mon père garde quelques secondes le silence. Elle murmure alors aux bout d'un instant qui me paraît une éternité :

-Peut-être. Il y a toujours eu deux passions qui se battaient pour la possession de mon âme... Le pouvoir, ou ceux que j'aimais. Mais tout aurait été bien différent si mon frère n'avait pas assassiné Sady...

Ma mère ne peut contenir sa colère et crie d'une voix blessée :

-Rejetez-vous tout ce que vous avez fait sur lui ?

Je pose ma main sur son épaule, et réplique :

-Maman, laissez-là parler...

Elle hésite une seconde puis rétorque :

-C'est peut-être son arme la plus dangereuse.

Mais sans contester ce que je viens de dire, elle tourne les talons et va s'adosser au mur de la pièce, dardant un regard noir sur Edilyn qui ferme les yeux un bref instant avant de les rouvrir et de les fixer de nouveau sur moi.

-Sans cet assassinat... J'aurais choisi ma famille et mes amis. Si j'avais aimé la bonne personne, si Gabriel n'était pas mort de ma main... Sans chacune de ces circonstances, tout aurait été différent, j'en suis persuadée...

Sa voix décroît sur les dernières syllabes et elle serre plus fortement ses doigts autour de ses jambes avant de dérober son regard. Mais je l'ai vue... La larme qui a roulé sur sa joue.

Le dragon s'agite dans mes bras, se tortille pour m'échapper. Devine-t-il ma décision ?

Je le soulève de quelques centimètres, pour avoir sa fine tête devant mes yeux, laisse échapper un petit rire triste en posant mon nez sur son museau humide, avant de le reposer à terre et de me redresser pour dire :

-Très bien. Ce dragon est à vous tant que vous respecterez les lois de Sagan.

Rajah ne bouge pas de mes jambes, restant collé à mes chevilles tandis qu'Edilyn répond, la gorge serrée, hésitante elle aussi tout à coup :

-Je crois que... c'est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire.

Et, elle dénoue d'un mouvement preste le serpent d'or qui lui enserrait le bras avant de me le tendre d'une main ferme en ajoutant :

-Je ne te rends pas ton cadeau... Je te l'offre simplement. En souvenir de la jolie voleuse qui m'avait tant secouée ce jour de bal...

Un sourire étire mes lèvres et j'allonge la main moi aussi, récupère le bracelet, avant de tendre mon petit dragon.

Mais ma mère, silencieuse jusqu'ici, prend alors la parole d'une voix froide :

-Non.

Je me retourne vers elle, cherchant mes mots pour ne pas la blesser, et ne parviens qu'à répondre :

-C'est mon choix.

-Et vis-à-vis des dragons ? Que crois-tu qu'ils diront ?

Je hausse les épaules, résolue :

-Je leur enverrai un diplomate.

-Ils risquent de le déchiqueter d'un coup de patte.

-Tant mieux, je n'ai jamais pu les supporter.

Mes doigts se referment sur le bracelet métallique, mais avant qu'Edilyn ait pris mon dragon, Azylis s'approche rapidement, et c'est le sien qu'elle lui met dans les mains.

Elle fait ensuite demi-tour sans un mot, la tête haute, avant de sortir de la pièce en lâchant :

-C'est mon choix aussi. Garde ta bestiole Ysaïne.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant