Ysaïne (Chapitre 188)

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Tiara hésite, son enfant dans les bras, serré contre elle.

La petite fille rit doucement et sa mère lui jette un regard débordant d'amour avant de relever précipitamment les yeux vers moi.

Je n'ose pas dire un mot, envahie d'une angoisse irrépressible. Je m'avance dans ma chambre et la rejoint en quelques pas avant de poser sa main sur son bras.

-Tiara, ne me demande pas quelque chose que tu regretteras ensuite, réfléchis je...

Mais elle relève la tête, la respiration soudain plus rapide, très rouge, malgré tout pourtant décidée.

-Ysaïne, tu m'as dit il n'y a pas si longtemps qu'il y aurait toujours pour moi une place au palais d'Astra... Cette place, je te la demande pour ma fille... Acceptes-tu ?

Je recule d'un pas, le cœur brusquement traversé d'une douleur que je ne comprends pas avant de saisir soudain en un éclair.

C'est d'une voix brisée que je réponds, jetant au passage un coup d'œil pour m'encourager à mon dragon déjà bien grandis allongé paresseusement sur mon lit.

-Tiara...

Je me détourne vers la fenêtre et la jeune princesse se méprend sur mon attitude. Elle demande d'une voix toute changée, perdant tout espoir :

-Tu n'accepte pas de prendre soin d'Esdera ?

Je me retourne lentement, tentant de retenir les larmes qui m'envahissent malgré moi. Je me suis rarement sentie si faible et j'aimerais retrouver à l'instant Esteban pour poser ma tête sur sa solide épaule...

-Tiara... Ne comprends-tu pas ? J'ai été abandonnée comme tu t'apprêtes à le faire pour ta fille...

Je regarde maintenant dans les yeux la femme d'Idwin et achève dans un cri :

-Ne lui fais pas subir la même chose que mon enfance ! Ma famille m'a toujours manquée et elle... elle aura besoin de toi ! Mieux vaut mourir dans les bras de ses parents qu'être séparée d'eux...

La résolution vacille dans les yeux de Tiara en même temps qu'elle se radoucit considérablement. Elle se penche vers la petite fille dans ses bras, dépose un léger baiser sur son front, avant de se redresser et de murmurer :

-Je serais très vite de retour, quand Idwin ne sera plus en danger. Esdera ne s'apercevra même pas de notre absence... et tu seras auprès d'elle.

J'acquiesce, gorge serrée, alors que tout mon être me souffle de refuser. La détresse qui m'envahit m'empêche de réfléchir, et c'est à ce moment là seulement que je me rends réellement compte à quel point me hante mon enfance privée de ceux auprès de qui j'aurais aimé revenir...

Mes yeux vont de l'enfant à sa mère, et je réponds enfin d'une voix atone :

-Tiara, pourquoi repars-tu ? Pourquoi le rejoindre ? Il ne t'a jamais fait de bien...

Elle dépose sans un mot Esdera sur le lit, et le bébé laisse échapper un petit sanglot que Tiara calme d'un dernier sourire avant de se redresser.

-C'est mon mari Ysaïne... Et je n'ai rien d'autre que lui... et notre fille.

Alors sans réfléchir, j'avance vers elle et lui prend les deux mains, les serrant très fort dans les miennes. La regardant droit dans les yeux je lui demande :

-Alors s'il te plaît laisse moi te donner quelques gardes... Juste pour ta sécurité et...

Tiara hésite, bafouillant de nouveau, ne trouvant plus ses mots. Je la vois chercher une réponse intelligente à faire, alors que son esprit se bloque face à la peur de passer pour ridicule. Je croyais que nous avions dépassé ce stade et que nous étions devenues de vraies amies, mais de temps en temps cette part vacillante du caractère de Tiara ressurgit sans que je m'y attende...

Mais chaque fois que je la vois redresser la tête comme maintenant, affrontant mon regard, alors que je devine que sur le moment elle aimerait mieux mille fois être ailleurs même si elle n'éprouverait ensuite que du dégoût pour elle-même si elle esquivait la difficulté, je ne peux m'empêcher d'admirer son courage si particulier et propre à son caractère qui la rend si attachante et me donne envie de la protéger toujours...

-Ysaïne, à ton avis, que penserais mon pays si je revenais à la tête de gardes astrayens ?

Je laisse mes yeux se poser sur la petite fille endormie maintenant sur le lit, d'un coup, près de mon petit dragon qui lui lèche rapidement la joue de sa langue râpeuse un court instant.

-Tu as raison Tiara. Alors... Je suppose qu'il ne me reste plus qu'à te souhaiter de parvenir à résoudre les troubles de ton pays ?

Elle frissonne, se mord la lèvre violemment, jusqu'au sang, avant d'avaler sa salive et de parvenir à dire :

-Pour être tout à fait franche... Je ne pense pas que nous y réussissions. Mais je veux revenir avec Idwin. Tu l'accueilleras lui aussi à Astra, n'est-ce pas ?

J'hésite une très brève seconde. Tant de choses me séparent et m'attachent en même temps au jeune homme... Mais c'est la colère qui domine dans mes sentiments, pour le mal qu'il fait à Tiara, parce que, encore une fois, il va la mettre en danger...

Je m'entends pourtant répondre :

-Je vous accueillerai tous deux Tiara. Et je veillerai sur Esdera comme ma propre fille, tu as ma parole.

La jeune femme me lance un regard brillant de larmes, refusant de se retourner vers l'enfant endormie, hoche la tête, laissant échapper un unique mot :

-Merci...

Elle se détourne déjà pour quitter la pièce lorsque, n'y tenant plus, elle se rue vers le lit où repose Esdera et l'embrasse de nouveau, donnant libre cours à ses larmes qui ruissellent le long de ses joues.

Elle se relève ensuite, inspire, et sans me regarder se dirige cette fois-ci résolument vers la porte.

Lorsqu'elle y parvient, elle pose sa main sur la poignée, reste un instant immobile, avant de lâcher :

-À bientôt Ysaïne. Et ma chère Esdera...

Sa voix se brise tandis que je ne parviens pas immédiatement à répondre. Enfin, ma langue semble se délier, et, tandis que la porte se referme déjà sur la jeune princesse, je réponds dans un murmure :

-À très vite...!

D'où vient ce goût de sel dans ma bouche ? Ce sont mes larmes... Alors seulement, dans ma chambre déserte, je m'avance jusqu'à mon lit où je me laisse tomber, contemplant pendant de longues secondes la petite fille endormie.

Je pose une main dans ses cheveux, lui adresse un sourire crispé qu'elle ne peut voir, puisqu'elle dort, et murmure :

-S'ils ne revenaient pas... Je ferais quand même de ton enfance un rêve petite princesse... tu as ma parole, toi aussi.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant