Intemporel T5 & 6

Azylis (Chapitre 123)

Maly poursuit calmement, preuve qu'elle masque elle aussi ses sentiments car je n'ai pas oublié son enthousiasme de chaque instant pour les deux dragons qui lui rappelaient chacun à leur façon Dynamite :

-Je leur ai déjà dit au revoir... Et je pense que tu préféreras y aller seule.

Je ne la déments pas et n'attends pas un instant de plus pour sortir brusquement de la pièce sans me retourner après un rapide :

-Merci de m'avoir prévenue !

De nombreux gardes parsèment le couloir, plusieurs révoltes de vieux partisans d'Edilyn continuant d'agiter le pays, et je me force à ne pas courir pour marcher calmement.

Je préfère toujours indéniablement les escaliers... Mais là je suis pressée. Je me dirige donc rapidement vers une porte de verre et franchis tout aussi rapidement le battant qui s'ouvre devant moi. Je me retrouve ensuite dans une espèce de cylindre qui émet une lueur verte et avance les doigts pour taper quelques lettres sur un écran tactile qui s'affiche -les "voix intelligentes" ont eu droit comme prévu à un corps robotique et n'ont évidemment pas été remplacées-.

Deux secondes plus tard, je suis dans un autre lieu et la porte coulisse avant même que j'ai réalisé. Je m'empresse pourtant de sortir mais moins rapidement que pour entrer tout à coup.

Comment imaginer après tant d'aventures de perdre Rebelle et Satan ? Alors qu'à eux mêmes cela leur sera a priori complètement égal ?

Mes pas me portent pourtant mécaniquement en avant dans un nouveau couloir et je ne tarde pas à arriver devant une double porte de verre qui n'existe plus. Un vent frais s'engouffre dans l'ouverture béante créée par la bataille et qui, vu les nombreux autres dégâts, ne sera pas réparée en priorité.

Je sors sans en avoir conscience et m'immobilise à environ deux mètres de la porte manquante dans mon dos. Rebelle occupe pratiquement toute la plateforme tandis que Satan cercle juste au dessus de nous, nous surplombant de son ombre.

-Rebelle ! Alors ça y est, vous partez ?

La dragonne s'avance d'un pas unique qui fait bien les trois mètres qui nous sépare et allonge la tête vers moi. D'un mouvement mécanique je commence à la caresser doucement -geste qu'elle m'a permis peut être deux fois !-, avant d'insister de nouveau :

-Alors ?

La voix de Satan résonne en réponse dans ma tête, mais avec une étonnante douceur et je devine que mes deux dragons se sont mis d'accord pour ne pas me faire de peine. Pensée qui me touche plus que je ne voudrai l'admettre tant je sais que ce n'est pas dans leurs habitudes...

-Azylis... Nous sommes restés aussi longtemps qu'il y avait encore une possible menace. Mais maintenant, nous sommes décidés à partir...

Je lève les yeux vers le ciel et Satan en profite pour pousser un sourd mugissement suivi d'un expiration d'un long nuage de fumée noire. Je me tourne alors de nouveau vers Rebelle et la dragonne s'engouffre elle aussi dans ma tête :

-Tu connais notre rêve. Et nous n'oublierons jamais, Satan et moi, que c'est toi qui l'a rendu possible...

J'hésite un instant puis demande :

-Alors m'autoriserez-vous à venir vous voir de temps en temps ?

Rebelle redresse alors violemment la tête, s'éloignant ainsi de ma main, et pousse un rugissement furieux tandis que je me contente de lui adresser un regard plein de défi. C'est Satan qui répond dans ma tête en tâchant de rester neutre :

-Nous te l'avons déjà dit... Il n'y a pas de place pour les êtres humains dans notre rêve.

Je ne peux m'empêcher de ressentir un début de colère lorsque je réplique avec violence :

-Bien sûr ! Pas même pour moi !

Les deux dragons se contentent de rester silencieux jusqu'à ce que je pousse un lourd soupir avant d'admettre :

-Vous m'aviez prévenue. Vous allez me manquer, c'est tout. Pensez à moi de temps en temps, ok ? Pas seulement comme à quelqu'un à qui vous êtes reconnaissants mais surtout comme à une amie...

Rebelle rassemble alors ses ailes et commence à se redresser pour reculer vers le bord de la plateforme avant de répondre dans le même instant :

-Les dragons ne pensent pas comme vous les humains. Mais je peux te le promettre Azylis : nous t'aimons chacun, à notre façon. Nous n'aurions dans le cas contraire jamais accepté de t'obéir...

La dragonne allonge ensuite l'une de ses pattes en avant d'un mouvement calme et raye le plancher de verre comme pour s'étirer mais sans laisser la moindre marque car il est fait pour parer à ce genre d'éventualités.

Comment puis-je observer de pareils détails dans un moment pareil ? Je fixe de nouveau mon regard sur Rebelle  avant que celle-ci ne prenne brusquement son envol avec sa grâce habituelle. Mes yeux se lèvent alors vers le ciel pour la suivre, tandis que dans le même instant mes deux dragons tourbillonnent en poussant leurs longs cris suraigus que j'ai pris l'habitude d'entendre...

La voix légèrement plus grave de Satan résonne de nouveau dans ma tête avec une intonation que je ne lui connais pas et qui achève de me rendre triste :

-Adieu Azylis...

Je ne réponds pas tout de suite et me contente d'admirer pendant les quelques secondes où je le peux encore les deux animaux sur lesquels se reflètent les rayons du soleil, illuminant leurs écailles bleutées et les rendant l'un et l'autre plus splendides encore...

Je finis par me décider à murmurer en retour :

-Adieu alors... Ça a été merveilleux de vous connaître.

Rebelle plonge alors du ciel presque droit vers la plateforme où je reste debout, seule et immobile, avant de virer sur le côté du palais en lançant dans ma tête un cri unique :

-Adieu !

Les deux dragons font ensuite définitivement demi-tour et s'éloignent d'un vif battement d'ailes. Je reste quelques minutes à fixer l'horizon où ils s'éloignent déjà et quelque chose dans mon cœur se dénoue légèrement. Je suis à peu près certaine qu'ils ne peuvent plus m'entendre mais je me mets brusquement à courir en avant sur la plateforme avant de heurter la barrière de protection et de me pencher en avant.

-Bonne chance à tous les deux !

Les deux points disparaissent définitivement de ma vue et je recule alors à pas lents avant de me décider à faire demi-tour sans attendre. Je me dirige d'un pas vif vers la porte sans plus réfléchir, repoussant au fond de moi mes émotions, et regagne en quelques pas l'intérieur du palais.

Pourtant, lorsque je traverse l'ouverture, je ne peux m'empêcher de me retourner une dernière fois. Le ciel est parfaitement vide mais une bourrasque de vent soulève brusquement l'une de mes mèches de cheveux et un léger sourire monte à mes lèvres. Je suis certaine qu'ils seront parfaitement heureux sans moi... Et je le leur souhaite.