Je me contemple dans la glace sans dire un mot, après avoir jeté un coup d'œil rapide à ma tunique et mon pantalon noir posés sur une chaise, poussant au passage un léger soupir de regret.
Je suis seule dans ma chambre et pour le moment, j'en suis plutôt heureuse... Qui m'a jamais vue dans une tenue pareille ?
Une longue robe, bleue en dégradé, scintillante grâce à des milliers de minuscules diamants cousus dans le tissu -pris sur l'une des anciennes tenue d'Edilyn-, me couvre des épaules aux pieds.
Je n'arrive pas à détacher mes yeux de mon reflet. M'habiller seule a été un véritable défi mais je n'avais absolument pas envie de recevoir une aide... Je ne suis pas une poupée et j'aurai détesté que l'on me prenne en charge.
Je me penche légèrement sur ma droite et prend d'un mouvement rapide la superbe paire de gants qui m'attend. Je les enfile d'un mouvement vif, avant de me tourner de nouveau vers la vitre qui me renvoie mon reflet.
Le couronnement... Déjà, aujourd'hui ! Je revois en un éclair ces derniers mois, ces derniers jours où j'ignorais encore que j'étais la princesse... Comme tout a changé !
Le maquillage que j'ai mis fait ressortir de manière frappante ma ressemblance avec Edilyn et je ne peux m'empêcher de légèrement frissonner. Comment réagiront les gens ?
Là, tout de suite, il me semble que je serais bien plus à l'aise sur le dos de Satan par exemple, en train de combattre, plutôt qu'ici, au milieu de cette profusion de satin et de soie colorée...
À ce moment-précis, j'entends un "toc, toc" discret à la porte et je me retourne d'un mouvement lent, plein de majesté, mais qui ne me ressemble pas. Il faut dire que faire preuve d'impulsivité avec une robe pareille, ce n'est pas la chose la plus aisée à accomplir...
-Entrez !...
Je m'attendais à voir Camille, Maly ou ma mère, mais c'est Esteban qui se glisse dans la pièce. Il referme la porte avant de relever les yeux et... s'immobilise pendant plusieurs bonnes secondes. Il laisse ensuite échapper un profond murmure d'admiration :
-Ysaïne ! Tu es... merveilleusement belle...!
Je détourne les yeux pour les reposer sur la glace. La tenue me met à mon avantage certes mais... qu'est-ce que je suis mal à l'aise ! Comment simplement courir comme d'habitude dans les couloirs ?
Esteban s'approche alors de moi et je remarque moi aussi sa tenue en tournant de nouveau mon visage vers le sien.
Il est en uniforme, assorti à ma robe sans que ça ait été prévu je pense, tenue d'apparat des maires de toutes les villes d'Astra...
Je pousse un énième soupir depuis le début de la matinée mais un léger sourire me monte aux lèvres tandis que je prends la parole :
-J'ai l'impression d'avoir oublié tout le protocole que j'ai pourtant appris par cœur ces derniers jours... Je ne me souviens de rien !...
J'ai hésité à lui dire que je le trouvais juste... superbe lui aussi. Magnifique. Mais je n'ai pas l'habitude de penser des compliments, encore moins de les dire. Pourtant, une ombre sombre traverse le regard d'Esteban tandis qu'il me fixe d'abord sans répondre. Il murmure enfin sans me regarder :
-Je suis certain que tu t'en souviendras princesse.
-Esteban... Pourquoi ne m'appelles-tu pas Ysaïne ?
Il relève alors la tête vers moi et croise mon regard. Ses poings sont serrés et la colère illumine son regard.
-Parce que tu ne me considères pas comme ton égal. Parce que tu ne m'as jamais laissé la moindre chance... Mais tu m'as fait espérer !
Je n'ai pas vraiment bon caractère et c'est d'abord la colère qui s'empare de moi aussi.
-C'est faux ! Et tu le sais, Esteban, tu...
Mais il me saisit alors les mains au vol, s'immobilise à un pas devant moi, tandis que je soutiens son regard impénétrable. Il demande de sa voix autoritaire :
-Alors dis-le-moi... Dis-le-moi que je compte pour toi plus que Maly, plus que Camille... Que je ne suis pas un simple ami.
Qu'est-ce que je ressens ? Il me demande une réponse, là, tout à coup, sans réfléchir, alors même que j'ai des dizaines d'autres choses en tête ?
Je réponds enfin sans le lâcher des yeux :
-Esteban, ça va trop vite, je n'ai pas le temps d'y penser et...
Il me lâche les mains mais reste immobile devant moi, les traits tirés. Il reprend la parole après de longues minutes de silence :
-Ysa, j'ai brisé pour toi ma fierté. Je t'ai toujours obéi, j'ai trahis Edilyn que j'avais pourtant juré de servir... Et toi tu me demandes du temps ? J'accepterais sans discuter si tu ne pensais plus à l'autre...
Il recule d'un pas, titubant, avant de dire d'une voix sourde :
-Peux-tu le comprendre Ysaïne ? Je suis jaloux ! Fou de jalousie d'Idwin ! Et quand j'espère que tu vas me rassurer, tu te comportes comme si je t'étais totalement indifférent. Je n'ai même pas l'impression d'être l'un de tes meilleurs amis...
Il s'arrête alors, le souffle court, tandis que je reste parfaitement immobile. Une tornade de sentiments me traverse l'âme et je tente sans vraiment y parvenir de me comprendre moi-même.
Je réponds enfin, d'une voix où se mélange la peur brusque de le perdre et la colère :
-Tu pouvais choisir n'importe quel jour pour me dire tout ça Esteban ! N'importe quel instant ! Et tu t'amuses à me déstabiliser le jour du couronnement ! C'est ça, ton amour ?
Il est déjà à la porte de la pièce et s'immobilise. Lorsqu'il se retourne vers moi, je me surprends à retenir mon souffle. Il paraît triste tout à coup.
-Tu n'as rien répondu... Tu l'aimes encore ?
Idwin ? Le nom me fait toujours légèrement trembler mais nous n'étions pas devenus assez proches pour que je n'ai pas réussi à détruire ce que j'éprouvais pour lui. Et il m'a facilité la tâche... Un goût amer en bouche, je repense à la disparition brutale des deux filles d'Edilyn... Lorsque je relève les yeux, lentement, pour répondre que je ne pense pas encore éprouver de sentiments pour le prince de l'Eveland, Esteban ne me laisse pas parler mais dit très vite :
-En fait, ne réponds rien. Je crois que c'est mieux. Pour ma colère...
Il fait une pause, ouvre la porte, puis finit par dire avant de sortir :
-D'habitude, pour toi, j'essaie d'être toujours le meilleur homme possible. Mais en fait, ce n'est pas la meilleure façon de retenir ton attention... Alors, dorénavant, je serais simplement moi-même.
Et la porte claque, faisant trembler au passage la grande glace dorée sur ses pieds.
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Intemporel T5 & 6
Science FictionIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...