Azylis (Chapitre 134)

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Je m'adosse au dossier d'abord sans rien dire, me contentant de pousser un léger soupir. Cette fois-ci, j'ai trouvé la machine de Gabriel sur l'une des plateformes du palais, grâce à un ingénieux système qui m'a permis de la rappeler de l'endroit où elle était cachée.

Mes mains tremblent légèrement contre les parois métalliques de l'engin avant que je parvienne lentement à reprendre le contrôle de moi-même. Cet aéronef spatio-temporel, c'est Gabriel. C'est comme si je pouvais de nouveau brusquement ressentir sa présence... Et l'envie me prend brusquement, brûlante, de tenter d'aller le retrouver... Mais il y a ce paradoxe temporel.

Je ne peux pas tout risquer maintenant. À ce moment précis de mes pensées, les tableaux de bord s'illuminent et une voix aux accents musicaux résonne dans l'appareil, amenant un merveilleux sourire sur mes lèvres.

-Veillez entrer le code de contrôle de l'appareil, je répète, veillez...

-Ady !

Le cri a jaillit de mes lèvres sans que je réfléchisse. La voix presque humaine de la machine s'exclame à son tour :

-Azylis ! Cela fait longtemps que vous ne m'avez pas parlé...

Mon sourire s'agrandit et je réplique :

-Certes, mais les règles n'ont pas changé. Tu me tutoies, Ady.

-Désolée, mauvaises habitudes. Les seules nouvelles que j'ai eu de toi, en même temps, ça a été par le casque pour m'annoncer que vous aviez renversé Edilyn...

Aussi étonnant que cela paraisse, il me semble percevoir de la haine dans la voix de l'intelligence artificielle de l'appareil. Parce que je me rappelle parfaitement de sa réaction lorsque je lui avais appris la mort de Gabriel... Mais je préfère ne pas y repenser.

-Eh bien maintenant... je voulais attendre pour te dire ça en personne. Désormais, toutes les voix intelligentes ont droit à un corps robotique... Tu comprends ce que cela signifie ?

Il y a d'abord un très long silence. Et puis, enfin, d'une voix gorgée d'émotion, Ady répond doucement :

-Cela signifie que je vais pouvoir commencer à vivre. Et autrement qu'à travers une machine...

Elle fait une légère pause puis murmure si doucement qu'il me faut tendre l'oreille pour l'entendre :

-Merci Azylis. Sans toi, rien de tout ceci n'aurait été possible.

Je veux répondre mais elle change tout à coup de ton et me prend de cours.

-Alors, mis a part ces détails dont nous reparlerons je l'espère, où veux-tu aller princesse ?

-Eh ! C'est Azylis pour les intimes !

-Je suis une intime ?

-Franchement, tu en doutes encore Ady ?

-Mmm... Tu es vraiment quelqu'un de spécial.

Je rétorque avec un léger rire :

-Il paraît que toute ma famille l'est aussi. Ce ne serait pas plus étonnant que cela d'ailleurs.

Je m'interromps quelques secondes avant de me décider à ajouter plus gravement :

-Ady, je voudrais aller dans le passé. En 2060. Lorsque j'ai discuté un peu de tout ça avec Maly... sans lui dire que je comptais vraiment mettre ce projet à exécution !... elle m'a dit qu'il était possible de "détecter" la présence de certaines personnes si l'on possédait des fichiers ADN...

Ady ne répond pas tout de suite, signe d'hésitation, et je songe en regardant l'écran de contrôle où j'ai tapé le code qu'il est heureux que je me sois débrouillée pour que personne ne vienne sur cette plateforme là. Elle répond enfin :

-2060 fait partie des années rouges...

-Tu oublies que je ne suis pas de cette époque... Qu'est-ce que ça signifie ?

-Simplement qu'elle est classée dangereuse...

Je n'hésite pas une seconde et réponds d'un ton un peu têtu :

-Aucune importance, je veux quand même y aller.

Ady réplique cette fois-ci presque aussitôt avec de nouveau une intonation me rappelant un sourire dans la voix :

-Je crois que j'aurai dû m'en douter. Pour le repérage ADN c'est en effet possible. Nous avons à bord une banque de donnée des personnalités mais...

Je la coupe un peu brusquement :

-Non il ne s'agit pas de personnalités particulièrement importantes... Juste de mon frère et de ma sœur. Mais tu peux aussi me prélever une goutte de sang pour l'ADN non ?

-C'est tout à fait possible mais tu as vérifié qu'ils ne sont pas devenus des personnalités ?

Je détourne les yeux sur le côté de l'appareil alors même qu'Ady ne peut pourtant pas me voir. Je réponds après quelques secondes de silence :

-Depuis que je sais qu'il y a eu une guerre... Je n'ai pas pu me renseigner. J'avais trop peur d'apprendre... tu comprends ? Je préférerai que tu ne consultes pas les registres. S'il te plaît.

Si je l'avais réellement en face de moi, je verrai bien Ady hocher la tête. Au lieu de quoi, un étrange tube métallique jaillit brusquement devant moi à gauche du tableau de bord et la voix si familière à mon oreille explique :

-Appuie ton doigt sur le bout de l'aiguille, ça suffira pour détecter toute ta famille.

Elle ne dit pas "encore en vie" mais un je ne sais quoi dans sa voix le sous-entend. Je n'aime pas vraiment l'idée de me piquer le doigt mais je m'exécute pourtant sans rien dire et attends ensuite le cœur battant tandis que le petit tube se rétracte lentement dans un drôle de bourdonnement.

Ady reprend la parole :

-Analyse faite. Dès que tu m'auras donné un jour précis, nous pourrons partir. Lorsque nous serons dans la bonne époque, les détecteurs s'enclencheront automatiquement...

J'acquiesce avant de prendre conscience une nouvelle fois qu'Ady ne peux évidemment pas me voir. Sauf si les caméras internes sont activées mais il ne me semble pas que ce soit le cas. Je prends encore quelques minutes pour réfléchir puis me décide à dire :

-Je n'ai pas de date précise... Disons vingt-cinq août. Une heure de l'après-midi.

Curieuse, Ady demande d'une voix calme :

-Pour quelle raison ?

-Je pensais à Noël et au vingt-cinq décembre mais je me suis dit que je n'avais pas envie d'atterrir en plein hiver. Donc va pour le mois d'août... et l'après-midi.

-Allons-y alors. Tu cliques sur le bouton du départ Azylis ?

Sous mes yeux, comme il y a des années la première fois que je suis partie à l'aventure, clignote en vert sur l'écran un cercle avec au milieu le mot le plus fascinant du monde... "départ".

Alors, sans plus réfléchir, mon doigt se pose d'un geste vif sur l'écran et tout se déclenche.

L'habituel sifflement, les tourbillons, cette étrange sensation de ne plus rien peser... Le vide, le noir dans mon esprit tandis que tout va vite, si vite...

Et puis enfin, plus rien.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant