Ysaïne (Chapitre 186)

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Je sors à peine de la salle de réunion que je vois accourir vers moi dans le couloir Camille.

Elle s'arrête à un pas de moi tandis que je m'immobilise, intriguée, et que Denis fait de même dans mon dos.

-Ysaïne, j'ai une nouvelle qui devrait t'intéresser... Quelqu'un demande à ce que tu le reçoive...

Esteban vient de sortir de la salle de réunion et me rejoint avec son sourire calme que j'apprécie tant avant de demander en se tournant vers mon amie -ou secrétaire si on lui demande- :

-Qui veut la voir ? Encore un ambassadeur ou quelque chose dans ce genre-là ?

-Pas exactement...

Les pupilles de Camille se sont assombries d'une sourde tristesse et je m'inquiète tout à coup. Je m'avance brusquement d'un pas et demande d'une voix pressante :

-Qui alors ?

-Tiara de l'Eveland...

-Quoi ?

Le cri a jaillit en même temps de la bouche d'Esteban que de la mienne. Nous échangeons un regard rapide avant que je ne me retourne vers Camille en lâchant :

-Merci d'être venue me prévenir si vite... Où est-elle ?

-Dans ton salon privé. Venez tous les deux, je suppose qu'elle n'a rien contre ta présence Esteban...

Elle adresse un sourire par-dessus mon épaule à Denis avant d'ajouter :

-Toi non plus je suppose... et de toute façon en qualité de garde du corps de la reine tu peux être présent partout... mais je pense qu'elle préférera ne pas nous voir tous les deux. On reste ici du coup... Ysa, tu sais aller à ton salon je pense !

J'esquisse une grimace sarcastique pour toute réponse avant de me mettre déjà à marcher vite dans le couloir, le cœur serré.

Esteban m'a rejoint en quelques pas et pause sa main sur mon bras tandis que nous nous engouffrons dans une salle de transfert.

-Calme-toi Ysaïne...

-Je suis calme ! Mais tu te rends compte ? Ce qui se passe en Eveland...

Il ne répond rien, car nous savons tous deux que c'est inutile... Si Astra est un pays calme maintenant, son voisin semble atteint aujourd'hui d'un terrifiant vent de révolte... un miracle qu'Idwin et Tiara soient encore en vie quand leur Palais est visé chaque jour par tant d'attentats, par la traîtrise de leurs gardes, par la colère de la foule...

Les portes de la salle se sont rouvertes, et nous sortons d'un même pas dans un couloir à peu près similaires à ceci près que celui-ci est presque désert car j'aime l'idée d'avoir des appartements privés vraiment privés...!

Esteban me précède de quelques pas, mais avant d'ouvrir la porte, il se retourne vers moi et fronce les sourcils :

-Et leur enfant ? Comment s'appelle t-elle déjà ?

Je n'ai pas besoin de réfléchir. Contrairement à mon adorable mari qui conserve contre Idwin "quelques" restes d'antipathie, je n'éprouve maintenant pour le jeune prince qu'une terrible pitié teintée d'amertume. Si seulement il avait été plus humain avec la population de son pays... Si seulement...

Mais il est trop tard maintenant. Et il met en danger la vie de sa femme Tiara et de leur fille de quelques mois...

-Esdera.

Qu'ai-je ressenti en apprenant sa naissance ? De la surprise d'abord. Parce qu'imaginer Idwin père était une idée étrange, difficile... un reste de tristesse ? Non, parce que j'étais au même moment dans les bras d'Esteban qui me serrait contre lui en riant. Alors ? Une amitié... parce que j'imagine l'inquiétude que doit maintenant ressentir Tiara pour sa fille devant les manifestants de l'Eveland, toujours plus dangereux, plus agressifs...

Esteban se décide alors à ouvrir la porte de notre appartement et nous entrons tous deux dans le salon. Tiara nous attend effectivement et se lève même d'un bond en nous voyant pénétrer dans la pièce.

Mais elle n'est pas seule... elle tient serrée dans ses bras un bébé, et je ne peux retenir un cri :

-Tu as emmenée avec toi Esdera !

En deux pas je l'ai rejointe et je dépose doucement un baiser amical sur sa joue avant de sourire à l'enfant pour le moment endormie malgré le peu de silence de la pièce. Je recule ensuite tandis qu'Esteban s'avance et prend dans ses mains celles de la jeune femme qui esquisse en réponse un sourire crispé.

Elle se tourne ensuite vers moi et bredouille en rougissant, resserrant ses mains sur Esdera :

-Je... Je suis désolée d'arriver ainsi sans avoir prévenu... je...

Je la calme d'un geste, désolée de la voir rougir, et propose :

-Asseyons-nous déjà... Ensuite Tiara, raconte-nous tout. Est-ce que cela va vraiment si mal chez vous ?

Elle se laisse tomber dans le premier siège venu, l'une de ses mains caressant mécaniquement la joue de sa fille. Esteban fait de même, s'asseyant, et me coulant au passage un regard grave que je devine prévenant -il me prévient sans doute ainsi que Tiara ne répondra pas forcément à mes questions, ne sommes-nous pas deux reines ennemies ?- tandis que je me pose moi aussi au bord d'un siège.

La femme d'Idwin n'est plus la même que celle que j'ai appris à apprécier le jour de son mariage.

Ses cheveux sont rassemblés en un chignon lâche et certaines des mèches ont carrément été brûlées mais je m'abstiens d'en demander la raison. Ou la façon dont ça c'est fait.

Elle porte sinon un pantalon serré et un tee-shirt à manches courtes qui dénude ses bras et met en avant plusieurs longues cicatrices récentes visiblement... et d'autres brûlures.

Mon regard ne lui échappe pourtant pas et elle laisse alors échapper un léger sanglot.

-Vous... Vous ne pouvez pas savoir l'enfer que c'est là-bas. Même ici je ne me sens pas en sécurité. Je soupçonne tout le monde, chacun des gardes, je... je n'arrive plus à vivre. Nous n'avons gardé que nos hommes les plus fidèles et encore... Bientôt ils ne suffiront plus, ne sous suivrons plus et je... je ne sais plus quoi faire. Je...

Elle s'arrête net, hésite, nous jette à tous deux un regard sombre, avant de demander :

-C'est... Ça vous dérange si je vous dit tout ça ?

Je réponds avec ma franchise habituelle :

-Non Tiara. Tu te rappelles ce que je t'avais dit ? Qu'il y aurait toujours une place pour toi à Astra... Tu t'es enfuie ?

Esteban ajoute une question avant qu'elle ait pu répondre :

-Et Idwin ?

Tiara baisse alors la tête et quelques demi-mèches noircies nous cachent un instant ses prunelles emplies de doutes et d'appels au secours. Elle rive ses yeux sur sa fille toujours endormie dans ses bras et lâche enfin dans un murmure :

-Il m'a dit de partir avec Esdera. J'ai obéis mais lui est resté là-bas et...

Elle relève vers nous un regard ravagé par les larmes et crie soudain :

-J'ai eu tort, je... je n'aurais pas dû et...

Esteban se lève et la rejoins d'un pas calme. Il s'assoit à côté d'elle et réplique de son ton posé et ferme en la forçant à le regarder droit dans les yeux :

-Si. Tu avais parfaitement raison de partir Tiara...

Elle reste un long moment silencieuse avant de murmurer enfin :

-Peut-être. Il ne m'a jamais aimée... Mais c'est mon mari. Et le père de mon enfant...

Que répondre à cela ? Je me sens terriblement désarmée, et je n'ai qu'une envie : courir chercher Christian ou Azylis pour leur demander leur aide et leurs sages conseils...

La petite s'est réveillée cependant et elle commence à pleurer. Tiara se lève sans nous regarder, s'approche de l'une des hautes fenêtres, et commence à la bercer doucement dans ses bras en lui chantant une chanson dans sa langue où perce toute la misère du monde.

Je rejoins Esteban en quelques pas et nous échangeons un regard empli de tristesse avant que je pose la tête sur son épaule, fermant une seconde les yeux, pour ne pas voir les larmes que je devine briller dans ceux de Tiara...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant