Edilyn (Chapitre 166)

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Je suis allongée sur le sol, mes yeux fixés sur le plafond au-dessus de moi. Mes cheveux s'étalent sur le sol froid et il me semble que je ne suis déjà plus tout à fait en vie.

Je ferme les yeux, pâle, et laisse mes pensées dériver sur des souvenirs du passé. Je me revois à cinq ans, le gâteau d'anniversaire devant moi. Et les bougies que j'avais soufflées d'un coup...

Mes pensées basculent sur un autre sujet. Je me revois, apprenant la fuite de Gabriel dans le temps. La colère, la rage de le voir m'échapper... Et, en même temps, une joie que je tentais d'étouffer au fond de moi-même. Il était libre ! Une part de mon âme ne supportait plus l'idée de le savoir dans cette prison tandis que je me heurtais à une terrible solitude dans le palais.

Et la première fois que je l'ai revu lorsqu'ils l'ont retrouvé... Je me suis montrée froide, distante, désagréable. A-t-il seulement jamais su à quel point mon âme balançait et hésitait à tout faire pour le sauver ?

-Non...

Le murmure s'échappe de mes dents serrées. Je ne dois pas penser à tout ça. Deux visages pratiquement identiques apparaissent alors devant mes yeux et je retiens un nouveau sanglot, rouvrant mes paupières. Saldya. Eslimea. Qu'elles étaient belles ! Deux princesses parfaites...

Je vais partir pour Sagan. Là-bas, je retrouverai Gaëtan. Qu'est-il devenu ? L'homme qui me regardait de son regard débordant d'une passion qu'il ne cherchait pas à me cacher ? Celui qui m'aimait alors même que j'ai tenté de l'assassiner ?

Je ne veux pas y penser. Pas à ça non plus. Mes pensées se bousculent dans ma tête sans que je sache, une fois de plus, où j'en suis.

J'inspire, expire. Me calme. Je me revois maintenant immobile devant mon père qui me regardait avec sévérité.

Il me disait :

-J'ai appris que tu n'étais pas allée en cours depuis deux jours sous prétexte que tu n'en avais pas envie ?

Et moi, hésitante, entre peur et colère :

-Ce n'est pas ça. Mais ce sale professeur... Il me dit que je dois être meilleure que tous les autres. Pourquoi papa ? Pourquoi ?

Un sourire avait alors étiré ses traits et je m'étais détendue. Il s'était levé, avait planté un baiser sur ma joue, et m'avait dit doucement :

-Fais simplement le maximum, d'accord ?

J'avais acquiescé. Son regard sérieux assorti à son sourire m'avait suivie lorsque je quittais la pièce...

Ma mère, un autre jour, me désignant le jardin :

-N'est-ce pas magnifique ?

J'ignorais alors si elle parlait du jardin ou en fait de tout Astra. Je pencherai aujourd'hui pour la seconde solution.

Je lui avais demandé :

-Vous aimez être reine ?

À ma grande surprise, elle avait éclaté de rire. J'avais douze ans.

-Je détestais au début... Vraiment. J'ai passé mon temps à essayer d'esquiver toutes les tâches qui me tombaient dessus.

Je m'étais rapprochée d'elle. J'avais demandé d'une voix amusée, sourire naissant aux lèvres :

-Pour quelle raison avoir changé d'avis alors ?

-Simplement parce que je me suis rendue compte qu'en acceptant d'épouser ton père, j'acceptais aussi sa couronne...

Changement de décors. Je referme mes paupières, sentant ma gorge se serrer tandis que mon souffle s'accélère de nouveau malgré moi. Combien de jours que je mange à peine ? Combien d'heures que je ne me suis même pas déplacée pour avaler un minimum d'eau ?

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n'en ai plus ni l'envie ni la force.

Je repense maintenant au jour de la mort de mes parents. De ces deux balles que j'ai tirées... Cet instant où mon père a compris que tout était fini et où ses yeux ont brillé tandis qu'il hurlait :

-Tu porteras le nom de la Régicide !

Je savais ce que cela signifiait. Des années plus tôt, lorsque j'étais encore une enfant, j'étais venu le voir avec l'une de mes leçons d'histoire.

-Dis, papa, c'est quoi "régicide" ?

Il avait jeté un coup d'œil à mon rapport numérique. Ses traits étaient devenus sérieux et il avait cessé de sourire pour m'expliquer tandis que je me pelotonnais contre lui dans le large fauteuil :

-Quelqu'un qui assassine son roi. Là, en l'occurrence, c'est encore plus grave parce que c'était aussi son père...

Je me revois me redressant d'un bond, et m'exclamant, rougissant d'une colère furieuse :

-C'est affreux ! Si j'avais été à sa place, jamais je n'aurais fait ça...

Mon père m'avait ébouriffé les cheveux en riant. J'entends encore sa voix grave comme si c'était hier :

-Vraiment ? Alors j'en suis heureux pour nous deux ! On ne t'appellera jamais comme ça... autre question sinon ma princesse ?

J'avais secoué la tête et demandé avec un sourire, oubliant déjà mes leçons d'histoire :

-Non... On va se promener ? En ville, avec un aéronef ?

Il avait rit...

Je reviens au présent. Je n'ai jamais pu supporter le surnom que l'on me donne. Sûrement en partie à cause de ce vieux souvenir...

Je rouvre avec difficultés mes paupières. Il me semble que je brûle de l'intérieur. Ma gorge est si sèche... Je devrais boire. Mais je n'ai toujours pas la force de me traîner jusqu'au lavabo.

Alors, alors seulement, je comprends que je suis en train de mourir. Je ne sais pas ce qui s'empare de moi à cette constatation mais dans un regain d'énergie, je tente de me relever. Je retombe durement sur le sol sans faire plus de bruits qu'une poupée de chiffons.

Les gardes derrière la porte. Les appeler ? J'aurais pu le faire il y a longtemps déjà. Mais je ne veux pas... question de fierté ?

Alors, je ramène lentement mon bras devant moi et laisse ma tête retomber sur mon coude.

Mes yeux brillent d'un éclat fiévreux et je songe à toutes mes tergiversions des derniers jours. Vivre ou mourir ?

Finalement, je n'ai pas choisis. Enfin... Je n'ai pas lutté. Je n'ai pas cherché à faire l'effort qui pouvait me maintenir sur mes jambes.

Je vais aller rejoindre tous ceux qui sont morts à cause de moi. Et les autres. Après tout, revoir Gabriel, mes deux petites filles, et mes parents ?

Mes yeux se ferment doucement et il me semble presque que mon dernier souffle meurt sur mes lèvres tandis que je pense à eux.

Je laisse échapper un dernier murmure avant de perdre connaissance :

-Pardon...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant