Ysaïne (Chapitre 95)

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La salle entière semble de nouveau se laisser emporter par un déluge de sifflements et de cris. Je n'entends cependant plus rien, je ne vois plus rien, même lorsque je me retourne lentement vers les autres personnes de la plateforme.

Je ne l'ai pas vue entrer évidemment, mais j'aperçois Camille derrière l'un des gardes. Ses paroles me parviennent comme à travers un rêve lorsqu'elle lance :

-Je n'ai pas pu résister à l'envie d'entrer... Les instants de silence, l'émotion, superbe, un peu surjoué sur la fin pour une belle scène cinématographique peut-être mais...

Je lui adresse un vague sourire, devinant que c'est sa façon à elle d'évacuer la tension, et me tourne alors carrément vers Azylis.

Elle s'avance vers moi sans attendre une seconde de plus et prend mon visage entre ses mains. Les larmes roulent sur ses joues mais elle essuie doucement les miennes. Elle murmure :

-Tu as été merveilleuse... Si tu savais comme je suis fière de toi Ysa !

La voix soudain rauque, je murmure en réponse :

-J'avais tord.

Elle laisse échapper un petit rire entre ses larmes et demande :

-À quel sujet ?

-Quand je disais que je n'avais aucun souvenir de vous...

La main d'Azylis s'arrête quelques secondes sur ma joue. Elle remet en place l'une de mes mèches de cheveux bleues et murmure :

-Ce... Ça n'aurait pas été si grave tu sais...

Mais je secoue la tête. Elle me fixe de nouveau des yeux et j'oublie la salle en délire pour murmurer, ignorant tous les regards posés sur nous :

-C'était vos sourires. Je me souviens de vos éclats de rire. De cette joie que je ressentais à chaque instant à vos côtés...

Un sourire éclaire alors son visage comme en réponse à mes mots et il me semble pendant un bref instant retrouver l'ombre d'un vieux souvenir. Elle ne répond rien et je m'approche d'elle un peu plus. Sans rien dire, je la prend brusquement dans mes bras et elle me serre très fort contre elle.

Je murmure :

-Je... Je suis désolée pour le mal que je vous ai fait.

Nos cœurs me semblent tambouriner au même rythme et lorsque nous nous écartons l'une de l'autre, c'est à regret et jele ressens au plus profond de moi comme une déchirure. Azylis secoue la tête et pose un doigt sur mes lèvres comme elle l'a fait précédemment. Avec un joli sourire, elle rétorque :

-C'est le présent qui compte. Et tu ne pouvais pas me rendre plus heureuse que tu ne le fais maintenant... C'est moi, je voulais aller trop vite, je ne t'ai pas laissé le temps de...

Azylis s'arrête et reprend encore plus doucement la parole :

-Tout ça n'a plus d'importance...

J'acquiesce et réponds avec un petit sourire :

-Non, effectivement, Maman...

Et je me retourne vers les gardes pour ne pas la regarder dans les yeux. Si je la regardai maintenant, je sais que nous ne pourrions plus nous séparer. Et la guerre reprend. Elle ne nous attendra pas... Une voix aux accents de bonheur répond :

-Merci pour tout... ma merveilleuse enfant.

***

-Alors Satan, tu es d'accord pour me prendre sur ton dos ?

Le grand dragon bleu incline sa fine tête triangulaire vers moi et j'entends dans un même temps sa voix résonner dans mon esprit.

-À ta place je ne reposerai pas la question sinon je risque de changer d'avis. Dépêche et monte !...

Est-ce une impression ? Je crois deviner l'ombre d'un sourire malgré la sécheresse de ses paroles... Je grimpe en m'aidant des écailles et me hisse sur son dos en quelques minutes. Je me tourne ensuite vers le sol ou Camille me fixe avec de grands yeux stupéfaits.

-Tu ne comptes quand même pas me faire monter là-dessus non ? C'est un dragon de combat !

-Ça tombe bien on est en guerre ! Mais je t'avais dit qu'il faudrait que tu t'accroches... Alors, tu fais quoi ?

Elle penche la tête sur le côté comme toujours lorsqu'elle réfléchit puis finit par hausser les épaules. Elle commence alors à grimper comme moi quelques secondes plus tôt.

-Après tout, si je meure ce sera ta faute...

Je lui tends la main et acquiesce vigoureusement en ajoutant avec un sourire narquois :

-Super consolation...

Elle ne répond rien parce qu'elle est à peine assise derrière moi que Satan décolle. Nous quittons le sol tandis que Camille pousse un cri qui me vrille les oreilles et que le vent pousse mes cheveux dans sa figure ce qui me fait rire un instant avant que je redevienne grave.

Les soldats de la rébellion -mes soldats d'après Azylis- sont déjà en train de se diriger droit vers le palais. Et nous, ainsi que la plupart des dragons avec ou sans cavalier, nous allons devoir repérer les troupes ennemis et démolir les vaisseaux de combat...

Alors que nous survolons à une allure folle différents quartiers, je repense à Maly. À ce robot qui maintenant qu'elle a compris qu'elle appréciait sa deuxième personnalité, veut absolument la retrouver et tient à son prénom mêlé.

Peut-être que ma mère a raison. Je commence aussi à m'attacher à ses deux dragons, même Rebelle qui l'emporte quelque part devant nous et ne m'a jamais parlé autrement que d'une voix coléreuse... Ce sont des créatures intelligentes... Et ils sont venus nous aider à gagner la guerre.

Jusqu'ici je ne m'étais jamais posée la moindre question existentielle. La seule chose qui m'intéressait, c'était de trouver des beaux bijoux à cambrioler pour le compte de la bande et de toucher un joli pourcentage.

Me voilà princesse héritière du jour au lendemain. Idwin... Saurait-il comprendre le combat qui me déchire entre ma droiture et mon égoïsme personnel ? Je ne le crois pas. Nous n'avons pas choisis la même voie... Même s'il faudra que je fasse attention à ne pas m'écarter de celle que j'ai choisie...

Mais le paysage et surtout ce qui se déroule en contrebas m'arrache soudain à mes pensées. Nous venons de toute évidence d'atteindre la zone des combats...

Les balles sifflent, de gros vaisseaux canardent nos positions tandis que des dragons les attaquent, tentant de les détruire. Au sol, chaque soldat se bat pour un mètre de terrain avec toute l'énergie possible. Et, devant nous, entouré d'un immense bouclier magnétique dont les deux générateurs sur les côtés sont gardés, se détache le palais à la fois comme un rêve et le plus sombre des cauchemars...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant