Je ne ressens plus rien. Il me semble même que je ne parviens plus à incliner la tête et mes lèvres restent figées en un étrange sourire rêveur qui ne me ressemble pas. Toute cette foule qui me salue...
N'est-ce pas qu'un rêve ? Mes yeux croisent alors ceux d'un jeune homme en face de moi qui plonge dans une révérence et je reprends contact avec la réalité. Ses yeux bleu-vert m'observent un instant avant qu'il ne murmure :
-Je n'oublierai jamais cet instant Majesté...
Et il se redresse très vite avant de s'éloigner à la suite d'une longue file sur ma gauche. Je le suis un instant des yeux avant de me tourner vers déjà de nouvelles personnes. Et dans mon cœur grandit un amour irrépressible pour cette foule qui me fait si aveuglément confiance... Jamais je ne me suis sentie aussi proche de ce père que j'ai si peu connu. Dont je ne me rappelle qu'une cicatrice sur une joue...
Mais mon cœur se bloque alors dans ma poitrine. Ma cousine s'incline devant moi, avec ses cheveux en bataille, son sourire ravageur, et ses yeux en même temps toujours à l'affût.
Elle n'accepte de s'incliner que du buste et se redresse très vite, comme si elle craignait que pendant ce court laps de temps quelqu'un en profite pour planter un poignard dans son dos.
Elle s'éloigne déjà lorsqu'elle se ravise, et, avant que j'ai compris ce qui m'arrive, elle me saute dans les bras. Une voix jeune et amusée demande alors :
-J'ai le droit de m'ajouter ?
Ma cousine se recule sans un mot et se tourne vers Tristan avec un calme sourire comme je ne lui en ai jamais vu pour personne d'autre, le suivant dans la foule, avant de répondre :
-Désolée, c'est réservées aux reines et futures reines !...
Meredith n'a pas pris à la légère ce qu'elle a lu dans cette histoire de mon passé et de son futur...
Tristan lève un haut sourcil dans une mimique qui me paraît au-dessus de ses quatorze ans avant de s'incliner devant moi tandis que sa sœur disparaît dans la foule. Lorsqu'il se redresse, il me lance un clin d'œil amusé en lâchant :
-Sympa de te connaître jolie cousine !
Et il disparaît de ma vue avant que j'ai pu répondre. Mais ma gorge est serrée lorsque deux personnes apparaissent alors devant moi.
J'avance la main et mes bracelets d'or tintent les uns contre les autres tandis que je maudis soudain ma robe superbe et ma position légèrement en hauteur. Je murmure :
-Pas vous ! Vous n'avez pas besoin de me saluer...
Mais mon oncle m'adresse un sourire qui, l'espace d'un instant, me rappelle celui d'Azylis, grave mais doux, avant de dire :
-Nous avons fait tout un voyage pour cela...
Marguerite et lui échange un regard complice avant qu'elle n'ajoute en se tournant vers moi :
-Nous sommes venus du passé pour ce salut, Ysaïne...
Et, avant que j'ai trouvé des mots à leur répliquer, je suis en ce moment dans une sorte d'état second, ils ploient tous les deux d'un même mouvement avant de lentement se redresser. Tugdual pose sa main sur la taille de sa femme. Est-ce une impression ? Marguerite tremble un peu.
Elle hésite, puis, se décidant brusquement, allonge la main vers moi pour la poser sur mon épaule. Je suis descendue de ma marche en hauteur et nous sommes là, face à face, pendant quelques secondes qui paraissent durer une éternité. Elle murmure enfin, les yeux pleins de souvenirs :
-Tu ressembles tellement à ton père...
Les mots sortent de ma bouche avant que j'ai réfléchi :
-Vous le connaissiez vraiment ?
Elle incline la tête, retrouvant son fin sourire, et je regrette d'avoir posé une question si stupide. Ils s'apprêtent à tourner les talons lorsque je les arrête d'une voix que je ne peux plus maîtriser :
-Vous repartez déjà ?
Tugdual se tourne vers moi. Il me répond enfin :
-Il le faut jolie princesse...
Je rétorque avec un sourire pour cacher mes sentiments en me redressant :
-Je suis la reine et je déteste les surnoms.
Je remonte lentement sur la marche derrière moi couverte d'un tapis de velours rouge et il m'adresse un dernier regard avant de disparaître dans la foule. Lui et moi savons bien que leur départ me touche, et lui aussi, mais aucun de nous deux ne le montrera.
Alors, la tête encore un peu plus haute, comme chaque fois que je me combats moi-même, mais ferme et le visage dépourvu de larmes, je salue avec un sourire toujours plus large sur mes lèvres la population d'Astra qui défile. Ne sont-ils pas venus pour me voir ? Ils ne méritent pas ma peine.
De longues minutes plus tard -j'ignore combien de temps est passé-, alors qu'un homme grisonnant s'incline, je relève d'un mouvement vif la tête vers la loge. Je n'y aperçois aucun de ceux que j'espérais voir.
Où est Maly ? Et Esteban, à qui je pense avec plus d'intensité tout à coup ? Peut-être parce que je me rends compte que je ne veux pas le perdre...
Camille... J'ignore où elle se trouve elle aussi. Et ma mère ? Et Christian ? Je me sens soudain curieusement seule, moi qui ait pourtant toujours farouchement revendiqué mon indépendance !
C'est alors que je vois deux visiteurs que je n'attendais pas. Dans la longue file interminable, à quelques rangs de moi... Ce visage arrogant et fier -oh, qui me ressemble tellement !, ses yeux bleus, et cette attitude de prince en révolte...
Idwin. Idwin de l'Eveland.
Quels sentiments m'envahissent alors le cœur ? D'abord la joie. Une joie irraisonnée, simple. Mes yeux croisent enfin dans cette foule quelqu'un que je reconnais, quelqu'un qui m'apprécie (ce doit être le cas encore ?) comme tous ces gens mais auquel je peux sincèrement dire que c'est reciproque.
Pas l'un de ces inconnus qui me laisse dans un tel désarroi devant la confiance qu'ils mettent en moi !
Et puis la colère. Sourde, violente. Que vient-il faire ici ? Me provoquer ? Je ne désire pas le revoir. Il m'a trahie, il est parti, il a choisis son père !
Je ne modifie jamais mes jugements. Surtout si l'on m'a blessée...
Mais le voilà devant moi, s'inclinant à son tour. Il se relève, vrillant ses yeux si beaux dans les miens, avant de lâcher :
-Les hommages de l'Eveland, majesté.
Je ne réponds d'abord rien. Puis mes yeux se posent sur quelqu'un que je n'avais pas remarqué. Elle est pourtant si visible !
Appuyée au bras d'Idwin, une jeune femme que je ne connais pas me foudroie du regard. Je me contente de lui renvoyer un froid hochement de tête.
Idwin me désigne d'un mouvement calme et neutre sa compagne. Il articule à haute voix, les yeux fixés sur moi mais sans vraiment me voir :
-Voici ma fiancée.
VOUS LISEZ
Intemporel T5 & 6
Ciencia FicciónIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...