Azylis (Chapitre 119)

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Sarah est restée près de Maly pour l'aider à refermer correctement son bras ouvert. Vu la façon dont elles s'incendiaient du regard, ce sera un parfait miracle si elles ressortent de cette confrontation chacune en un seul morceau...

J'hésite à pousser la porte de la petite chambre de convalescence de l'hôpital du palais. Je ne sais pas pourquoi mais ma respiration s'accélère tandis que je pense à Christian. Nous avons traversé tant de choses ensembles ! Je ne peux croire qu'il soit en vie, réveillé. Je n'ose pas encore l'espérer...

Je me décide pourtant et ouvre presque trop brusquement la porte avant de pénétrer rapidement dans une petite pièce aux murs crèmes sans regarder devant moi.

Lorsque je referme la porte doucement, Christian m'interpelle de sa voix grave qui me manquait depuis des jours :

-Azylis ? Ça fait du bien de te retrouver ! J'ai l'impression de dormir depuis des lustres...

Je m'approche du lit et esquisse l'ombre d'un sourire en croisant ses yeux brillants. Il est terriblement amaigri et une poche de transfusion est reliée à son bras... mais ce sont les seuls restes visibles de sa blessure. Pour le reste, il a plutôt l'air d'aller bien...

Je me laisse tomber à côté de lui sur une chaise et rétorque :

-Tu m'as fait une de ces peurs Christian ! Et je crois que je te dois de sacrés remerciements...

Une grimace étire ses traits. Il répond :

-Oh ça ? C'était... naturel.

-Bien sûr. Manquer de te faire tuer pour sauver ma fille que tu n'as jamais pu supporter, c'était naturel... Si tu veux mon avis, il faut absolument que tu modifies ton sens des choses normales et des autres...

Il éclate d'un rire encore un peu hésitant, entre deux quintes de toux, mais se redresse légèrement sur ses oreillers. Il reprend la parole en me fixant des yeux avec une intensité déroutante :

-Azylis, j'ai discuté tout à l'heure avec Sarah. Elle m'a tout raconté... La guerre est terminée n'est-ce-pas ? Entièrement... Tu pourrais recommencer ta vie...

Sa main cherche à prendre la mienne mais je secoue la tête, me mordant la lèvre inférieure dans une moue désolée.

-Christian, je ne suis pas prête. Peut-être qu'un jour... Pas maintenant. Tout est trop récent, trop...

Il détourne la tête et ses mèches de cheveux sombres retombent sur ses yeux. Il répond dans un murmure :

-Non, tu as raison. Excuse moi, c'est juste que je pensais... Que j'espérais que mon geste...

C'est moi qui lui prend la main cette fois-ci. Je le force à me regarder dans les yeux et répond doucement :

-Ça a tout changé Christian. Je ne pourrai plus jamais t'en vouloir...

La porte de la pièce s'ouvre à cet instant précis en coup de vent et nous redressons tous deux la tête. Ysaïne referme le battant avant de ralentir et de venir s'assoir de l'autre côté du lit. Elle nous adresse à tous deux un sourire rayonnant avant de prendre la parole d'une voix essoufflée d'avoir courue :

-Deux heures de discours, c'est beaucoup pour une première fois ! C'est Esteban qui répond aux questions maintenant pour me laisser le temps de souffler... Et de venir vous voir. Quand j'ai appris que tu étais réveillé ! Oh, il fallait que je vienne ! Christian, je suis tellement, tellement désolée d'avoir dit que je n'avais pas besoin de toi et de tout ce qui est arrivé...

Ses yeux se rembrunissent légèrement et je m'écarte de quelques centimètres pour mieux la regarder. Esteban l'aide ? Il faudra que j'aille le voir celui-là pour essayer de mieux le comprendre. Christian répond dans un souffle :

-Ne le sois pas Ysaïne. J'ai l'impression pour la première fois depuis longtemps de vivre pour moi-même... Je ne dois plus rien à personne. Et je ne voudrai rien changer de ce qui est arrivé...

Un merveilleux sourire monte alors aux lèvres d'Ysaïne. Ses yeux brillent d'un éclat soudain particulier et elle murmure simplement :

-Merci. Merci pour tout...

Elle se relève du siège où elle s'était auparavant assise et recule de deux pas avant de demander :

-Maly fait partie de mes ministres. Je l'ai choisie pour être membre du conseil. La fonction t'intéresse Christian ?

Il me lance un coup d'œil presque malicieux et demande :

-Azylis y est ?

Je secoue la tête avant de le regarder de nouveau dans les yeux.

-Non, je m'efface de la politique. Je serais toujours là pour t'aider Ysa, comme je te l'ai déjà dit, mais j'arrête là. Je pense que mon adorable princesse de fille se débrouillera très bien sans moi...

Ysaïne paraît à la fois ravie et gênée du compliment. Elle rétorque :

-Bien sûr que non. J'aurai toujours besoin de vous... En matière d'exemple, j'ai dû interdire à Camille de porter des bijoux car je n'ai pas pu m'empêcher de lui piquer les siens pour rire deux fois rien qu'aujourd'hui...

Christian fait mine d'être scandalisé et moi aussi avant qu'il ne redevienne sérieux et ne réponde à la proposition de ma fille :

-Non merci. Je suis touché de ta proposition mais... je vais suivre l'exemple d'Azylis.

Une ombre de nostalgie s'empare de moi tandis que j'évite de le regarder. J'aimerai qu'il cesse un jour de m'observer ainsi. Avec cet amour que je ne me sens pas capable de rendre mais qui brille à travers chacun de ses gestes...

Ysaïne se contente d'acquiescer sans faire de commentaire avant de demander :

-Et Sarah ? Pensez-vous que cela l'intéressera ?

Je suis plus rapide pour répondre que Christian.

-Parles-en avec elle. Mais je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Vous ne vous appréciez pas et le conseil a avant tout besoin de stabilité pour reconstruire Astra...

Ysaïne hoche la tête, échange un profond regard avec moi avant de poser de nouveau les yeux sur Christian. Elle ouvre ensuite de nouveau la porte et quitte la pièce sans un mot de plus. Le battant reste ouvert et je la vois disparaître dans le couloir, gardant au visage le sourire tendre qui m'envahit chaque fois que je la contemple.

Je me retourne néanmoins vers Christian et reprends le plus calmement possible la parole. Alors que je voudrai tant qu'il comprenne l'importance de ce que je vais essayer de lui dire...

-Christian...

-Quand tu commences tes phrases comme ça... Avec ce ton... Généralement j'ai de quoi être inquiet.

Il ne rie pas mais m'observe avec sérieux. Je me décide alors à lâcher dans un souffle :

-Sarah... Je ne sais pas quels sont ses projets. Mais je sais qu'elle n'a fait cette guerre que pour toi. Vas-tu encore la décevoir ? Donne lui sa chance, au moins une fois, je t'en prie... Elle te mérite bien plus que moi.

Un éclair métallique traverse les pupilles de Christian et je retrouve en un instant le fervent anti monarchiste prêt à s'emballer pour un rien et à se mettre en colère.

-Azylis, combien de fois devrais je te dire qu'il n'y a que toi, qu'il n'y aura jamais que toi au monde dans mon cœur ?

Je relève les yeux et les pose sur la porte ouverte. J'ai le cœur au bord des lèvres mais ce n'est rien quand mon regard se pose sur une silhouette menue qui nous écoute et nous observe sans mot dire. Inconscient de la présence de Sarah, Christian poursuit :

-C'est l'une de mes rares amies. Et je l'adore. Mais ça ne sera jamais, sans changement possible, jamais plus qu'une amie. Azylis c'est toi que j'aime, et je n'ai plus peur d'affronter un fantôme...

Je ne peux plus l'arrêter car les mots ne veulent pas sortir de ma bouche. Ma pâleur mortelle lui fait relever la tête et son regard croise celui figé de Sarah appuyée contre l'encadrement de la porte. Le silence est palpable, lourd de non-dits, et elle reste ainsi immobile pendant de longues secondes. Avant de se redresser brusquement, de détourner la tête, et de s'enfuir d'un pas rapide dans le couloir...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant