-Majesté, ça fait deux jours que les combats font rage à Ivy...
Appuyée au balcon de ma terrasse maintenant protégée par un bouclier magnétique, je ne me retourne même pas vers le nouveau chef de ma garde. Je me contente de répondre :
-Je sais Esteban.
-Une trêve a été proposée... Elle durera six jours si vous l'acceptez.
Je reste encore quelques secondes immobile. Je me sens triste, indécise, et je déteste cette sensation. Je me décide enfin à me retourner pour faire face à mon interlocuteur. Le vent soulève sa cape noir et ses yeux brillent dans la lumière de ce début d'après midi. Il reprend calmement :
-Majesté, vous devriez le faire.
-La trêve ? Ce serait avouer notre faiblesse...
-Mais nous n'avons pas le choix ! Tout l'ouest d'Ivy est à feu et à sang... Les combats font rage et nous sommes au même niveau que les rebelles... mais eux sont rejoints chaque jour par des milliers de nouveaux volontaires ! Si nous continuons ainsi, nous sommes battus dans quelques jours...
Oserai-je l'avouer ? Je suis à cent lieues de tout cela. Je ne pense qu'au moment où j'ai pris le contrôle d'Yves et ou j'ai vu cette fille aux côtés de Gaëtan... Comment puis-je me sentir aussi désespérément jalouse ?
Je me force à me reconcentrer sur la situation présente. La colère qui m'envahit m'aide alors à éclaircir mes idées et je me décide à dire :
-Très bien, acceptez la trêve. Nous aurons ainsi le temps d'avoir une nouvelle arme... et une nouvelle tactique.
Esteban hésite. Sa cape vole toujours en suivant les bourrasques de vent mais il paraît soudain lasse.
-Majesté... Vous ne voulez toujours pas me révéler en quoi consiste cette arme nouvelle ? Ni quelle pourrait être votre tactique de secours ?
Je me tourne de nouveau vers le paysage. Mes lèvres sont serrées sous l'effet de la colère et je baisse la tête pour cacher mes yeux trop humides. J'ai l'impression d'affronter une véritable tempête intérieure... Je l'ai lu ensuite dans l'esprit d'Yves. Comment s'appelait la fille ? Natacha...
Sans réfléchir, je recule d'un pas et donne un violent coup à la barrière de verre devant moi. La douleur se répercute dans chacun de mes membres et Esteban derrière moi murmure :
-Altesse ?
Je sens une goutte d'eau couler sur ma joue. Depuis quelques temps, ce même débat intérieur... Puis une deuxième... Cachant mes larmes au chef de ma garde noire, je reprends la parole en regardant la mer à mes pieds :
-Envoyez quelqu'un me chercher le prince Idwin. Son père avait proposé une alliance...
Esteban ne me répond pas. Le silence qui s'installe entre nous sur la plateforme devient rapidement pesant et je demande sans me retourner :
-Que se passe-t-il ? N'est-ce pas la solution ? Nous serions sûr de remporter la guerre...
Esteban répond d'une voix blanche :
-Majesté, ce serait trahir Astra !
Le vent a séché mes larmes. Mon visage est de nouveau dur lorsque je prends sur moi même pour me retourner et faire face au maire d'Ivy.
-Esteban, il me semble qu'il n'y a pas d'autres solutions... Et vous n'avez pas à contredire mes ordres !...
Il pâlit un peu plus mais cette fois-ci de colère. Il se contient pourtant et se contente de s'incliner devant moi en murmurant suffisamment fort pour couvrir le bruit du vent :
-Excusez mon interruption Altesse. J'envoie quelqu'un immédiatement.
Il se relève et je croise ses yeux pendant quelques secondes. Alors que je m'apprête à le renvoyer sans un mot de plus, il demande :
-Altesse ! Et pour vos filles... Vous souvenez vous de votre parole ?
Mon cœur bat soudain un peu plus vite. À Astra, Esteban est peut être le seul à se soucier d'Eslimea et de Saldya. Avec Ysaïne... le monde est tellement paradoxal.
Je lutte pour ne pas de nouveau me laisser envahir par la tristesse et murmure :
-Je vous ai déjà donné mon accord Esteban. Mais je vous avais demandé d'y réfléchir...
-Justement, je sais ce que nous pouvons faire. Les envoyer en sûreté dans le pays A.M.Erica. Elles seront en sécurité là bas... J'ai pensé que nous devrions agir le plus vite possible. Je suis en train d'organiser le voyage.
Me séparer de mes filles... Je me mords les lèvres jusqu'au sang et referme mon poing encore douloureux.
-Que prévoyez-vous Esteban ?
-Des trains blindés Altesse. Et le secret le plus absolu.
Je le regarde quelques secondes. J'aimerai tant le voir tout à coup éclater de rire en disant que ces précautions ne sont que des mesures superflues... Mais je n'ai jamais vu personne d'aussi sérieux. Il s'incline en silence puis tourne les talons sans attendre d'ordre de congé. Lorsqu'il va rentrer dans mon appartement, je l'arrête en criant :
-Esteban ! Dites à l'un de vos gardes de m'amener mes filles...
Il acquiesce et disparaît de ma vue. Alors, immobile sur la terrasse et de nouveau seule, je laisse mes pensées m'envahir. La proposition du roi de l'Eveland... L'épouser.
Il ne me fait pas peur. Mais j'ai l'impression que ce serait perdre encore un peu plus Gaëtan... Peut-être que c'est pour ça que je ne peux enlever de mon esprit depuis ce matin cette Natacha...
Eslimea et Saldya. Dans quelques jours au plus tard, je les perdrai définitivement. Je ne les verrai peut être plus jamais...
Je serre mes dents sur mon poing douloureux et la douleur me transperce la chair. Tout. Mais ne plus penser...
-Maman ?
-Maman...!
Deux voix qui résonnent derrière moi. Je me retourne avec un pâle sourire pour tenter de cacher les sentiments qui me déchirent de l'intérieur et me retourne vers la porte fenêtre. Mes filles me font signe de rentrer à l'intérieur où il fait plus chaud...
Je quitte le bord de la terrasse et les vagues en contrebas pour m'avancer vers mon salon. Au fond, le paysage ne fait qu'accroître mon malaise et ce n'est pas une mauvaise chose que je retrouve l'intérieur...
Eslimea et Saldya se sont assises dans un canapé, côte à côte, et la deuxième de mes filles à quelques minutes près appuie sa tête sur l'épaule de sa sœur.
Saldya demande doucement :
-Vous vouliez nous voir Maman ?
Je voulais leur dire qu'elles ne vont pas tarder à me quitter. Mais je n'en trouve subitement pas le courage et me contente d'écarter les bras en disant :
-N'ai-je pas le droit de vouloir voir mes enfants ?
Elles éclatent de rire et Saldya est la première à se jeter dans mes bras. Ce n'est pas habituel... Je relève lentement la tête vers Eslimea qui s'avance alors vers moi. Elle murmure :
-Tous ces morts Maman...
Mon sourire se fane sur mes joues mais ma petite princesse se précipite soudain vers moi sans plus chercher à m'éviter et vient pleurer dans mes bras. Alors, inspirant fort tout à coup, je me penche vers elles en les serrant très fort contre moi et murmure :
-Vous allez partir... Toutes les deux, très loin d'Astra... Mais on se reverra, d'accord ? Faites moi confiance, on se reverra...
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Intemporel T5 & 6
Ficção CientíficaIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...