-Un verre ?
Ezeor se tourne vers moi. Son visage est blafard et son pied s'agite d'un mouvement nerveux. Le petit salon insonorisé, véritable havre au milieu de la tempête, ne semble pas le mettre à l'aise. Un curieux mélange de peur et de colère se peint sur ses traits.
-Boire ! C'est tout ce qui vous vient à l'esprit dans une pareille situation ?
Je fais un signe au robot de service. Il dépose une coupe d'un liquide pétillant devant moi, s'incline puis quitte la pièce. Alors seulement je fais pivoter mon fauteuil incliné vers le souverain de l'Eveland. Je prends la parole d'une voix qui me paraît à moi-même curieusement lointaine :
-Je vous proposais juste un petit plaisir. Comme une dernière volonté en quelque sorte.
Ezeor se lève de son siège. Ses lèvres s'étirent en une grimace et il balaie d'un revers de main deux verres de cristal posés sur la table. Je ne dis pas un mot mais porte ma coupe à mes lèvres. Il me tourne le dos, inspire et reprend froidement la parole :
-Je peux partir. Mon aéronef m'attend toujours...
J'avale une gorgée du liquide qui me paraît alors amère. Je tourne mon siège vers la fenêtre d'où l'on peut voir les vagues et réponds lentement :
-Bien sûr... Bien sûr que vous le pouvez. Avec un peu de chance vous échapperez à leurs dragons qui doivent patrouiller.
Silence. Je me sens curieusement détachée. Parce que depuis la mort de mes filles je ne vis plus que pour ma vengeance. Et que je vois bien que c'est moi qui suis aujourd'hui sur le point d'être anéantie...
Nouvelle gorgée. La boisson dégouline dans ma gorge tandis que je laisse mes yeux dériver sur le mur. Le salon de mes parents. Qu'est-ce qui m'a pris de me réfugier ici ?
Mais Ezeor ne semble pas vouloir me laisser me perdre dans l'océan mouvant de mes pensées. Au contraire puisqu'il reprend la parole.
-Vous ne voulez pas tenter de vous en sortir ?
Mes yeux s'allument d'une curieuse lueur. Ma colère revient me serrer le cœur tandis que je me retourne vers le roi au visage soudain calme. J'énonce froidement :
-Non. Ou irais-je ?
-Mais n'importe où. Là où vous pourriez trouver de nouveaux partisans...
Un sourire écarte mes lèvres. Je n'arrive moi-même pas à déterminer si c'en est un de tristesse ou désillusion. Je murmure :
-Croyez-moi. Personne ne m'aidera plus. Et je préfère mourir ici.
Je relève la tête.
-Mais vous pouvez être sûr que s'il y avait pour moi le moindre espoir de vengeance... Je saisirai ma chance. Mais je ne vois actuellement aucune solution. Sauf s'ils font un faux pas...
Ezeor ne répond d'abord rien. Il lâche enfin :
-Moi je pars. Mais avant cela je veux retrouver mon fils.
Je repose sur la table ma coupe de cristal. Elle m'apparaît tout à coup trop froide pour être tenu à la main.
-Les liens du sang, vous y croyez ? Et votre fille ?
Pourquoi est-ce que tout cela revient à ça finalement ? Aux enfants... Je ferme les yeux. Il répond :
-Theresa... C'était différent.
Je rouvre les yeux. Il a prononcé son prénom. D'une façon si... si humaine. Exactement comme moi quand je murmure doucement dans le noir quand j'essaie de dormir le prénom de mes filles. Je murmure d'une voix douce, constatant simplement :
-Vous l'aimiez... Pourquoi avoir voulu sa mort ?
Que se passe-t-il ? Est-ce la perspective de bientôt mourir qui nous rend aussi enclins aux confidences ? Est-ce cela qui me fait oublier ma souffrance pour ne laisser en moi que ce vide pour une fois si apaisant ? Je ne cherche plus à lutter. Ezeor me répond calmement.
-Ce n'était pas ma fille. Mais celle du premier mari d'Eline.
Mes yeux sont fixés sur ma coupe. Sur le liquide doré, parfaitement immobile. Je demande :
-Et vous vouliez sa mort pour cela ?
-Non !
Il se calme. Il ne tremble plus. Comme s'il se libérait soudain de la seule chose qui lui ait jamais fait peur dans sa vie. Ses propres secrets et regrets. Il se rassoit. Ses lèvres s'écartent et il poursuit d'une voix neutre, détachée comme la mienne :
-Je l'aimai parce que ma femme l'adorait. Je la détestais parce que par sa seule présence elle me rappelait sans cesse la présence...
-... De celui que vous aviez assassiné.
Lorsque le roi secoue la tête, je ne peux m'empêcher de ressentir le début d'un mouvement de curiosité. Mais j'ai l'âme si creusée d'un gouffre que c'est toujours d'une voix parfaitement égale que je rétorque :
-Non ? L'avez-vous dit à Idwin ?
Un sourire narquois éclaire les traits du roi. Pendant un instant je reconnais l'homme que j'ai côtoyé ces derniers jours.
-Je ne l'ai jamais révélé à Idwin. Ni à ma femme. Elle pensait que son mari était mort à cause de moi... Je ne lui ai jamais dit la vérité. Qu'il avait été tué dans un accident.
Il ajoute après avoir laissé passer quelques secondes :
-Je cache toujours cette faiblesse. Je déteste mon fils parce que ma femme ne l'a jamais aimé...
-Mon cher, vous êtes encore plus paradoxal que moi...
Je lève ma coupe et en avale une nouvelle gorgée. Je la repose sur la table tandis qu'Ezeor poursuit sans tenir compte de mon interruption :
-Mais je le protège. Il est faible, incapable de me tenir tête comme Theresa savait le faire. Il...
Je lui jette un regard :
-Il ne lui ressemblera jamais. Votre fils ne sera jamais à la hauteur comme il ne l'a jamais été pour votre femme. Malgré tout ce qu'il pourra tenter pour vous plaire. Et dire qu'il plaît à ma nièce !
Un éclair traverse les yeux d'Ezeor.
-Êtes vous certains que c'est réellement la fille de Gabriel Astra ?
Je note à part moi que même lui a marqué une seconde de respect en prononçant le nom de mon frère. Je me contente de hocher la tête avant de dire :
-Je n'ai plus le moindre doute Ezeor. Quand à votre fils, il lui reste encore une heure pour nous rejoindre ici. Il a les codes des portes blindées. Mes soldats ne tiendront pas plus de soixante minutes. Je ne parle même pas des vôtres bien sûr, qui sont pitoyables et qui devraient rapidement se faire tuer... Alors, allez-vous vraiment risquer d'attendre Idwin ?
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Intemporel T5 & 6
Science FictionIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...