Eslimea (Chapitre 71)

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Je m'assois sur le siège du wagon. J'aurai dû emmener une couverture polaire. Juste pour me donner l'illusion d'être dans un coin douillet de ma chambre...

Je repense à ce que j'ai dit à Maman. Que je ne voulais plus être reine. Le train avance vite depuis au moins une demi-heure maintenant et je n'arrive toujours pas à me sentir tranquille.

Je reprends à côté de moi mon écran que je venais de déposer. Quelqu'un vient de me contacter. J'hésite quelques secondes. Je ne le connais pas. Je laisse alors mes yeux dériver du pseudo au message.

Je sais que vous êtes la princesse Eslimea. Bienvenue à bord de votre dernière demeure...

Je pousse un cri et regarde autour de moi. Rien n'a changé. Le train continue d'avancer rapidement sur les rails et de m'emmener très loin de chez moi. J'hésite pendant quelques minutes puis regarde de nouveau mon écran. Alors, soudain déterminée, je réponds rapidement au message :

Comment avez vous eu mes codes de contact ? Et normalement je ne pouvais parler à personne, question de sécurité !

Deux minutes plus tard :

Un espion au palais. J'ai modifié ton appareil. Tu ne peux parler qu'à moi.

Je ferme les yeux, tremble légèrement, puis me décide à rapidement écrire :

Que me voulez-vous ?

La réponse met plus longtemps à venir cette fois-ci. Lorsque je lis les mots qui s'affichent, je sens la panique s'emparer de chaque parcelle de mon être.

Te prévenir que tu vas regretter tout ce que tu as fait.

Je tremble. Je me serre un peu plus dans le fauteuil et murmure en même temps que j'écris très vite :

Que voulez-vous dire ?

Je n'attends cette fois-ci même pas quelques secondes. La réponse s'affiche pratiquement tout de suite.

Tu as tiré sur un homme.

J'ai du mal à ne pas jeter l'écran loin de moi sur le sol. Mais j'ai la curieuse impression que chaque phrase de cette discussion me raccroche à la vie. Je me décide à écrire, plus lentement cette fois-ci :

Je ne sais pas comment vous le savez. Mais je n'ai pas réfléchi. J'ai cru qu'il allait tuer ma mère... J'ai eu peur. Et depuis je pleure chaque jour. J'ai dit aujourd'hui que je ne voulais plus diriger le pays après Maman. Ce n'est pas vrai. Mais il fallait que... que je me punisse.

De longues minutes s'écoulent. J'ai envie de convaincre cet inconnu malgré moi... Le train continue d'avancer inexorablement. Enfin, deux mots s'affichent :

Tu mens !

Je ne réfléchis pas et rétorque :

Alors... Alors vous n'êtes pas aussi bien renseigné que ça.

Le silence. Mais cette fois-ci, aucun nouveau message ne vient s'afficher. J'ai déjà essayé de contacter Maman. Comme prévu, cela ne fonctionne pas. Il n'y a que cet inconnu... Alors, de nouveau tremblante, je récupère mon appareil et tape quelques mots avec hésitation :

Je vais mourir ?

La réponse apparaît si vite que j'ai l'impression d'avoir à peine fini d'écrire ma question.

J'essaie de l'empêcher.

Je descends alors de mon fauteuil et vais m'assoir contre le sol, la tête appuyée sur le mur. Je sais que c'est ce que Saldya ferait. Elle doit être dans cette position en ce moment. Peut-être... Peut-être que tout cela n'est qu'un cauchemar et que je vais bientôt me réveiller ? Mais une petite voix dans ma tête sait bien que ce n'est pas vrai.

Mon écran s'illumine alors de nouveau et un message apparaît.

Je suis désolé. C'est... C'est trop tard. Tout est déclenché.

Je ne réfléchis alors pas et lance avec force l'écran loin de moi en poussant un cri :

-Non ! Vous n'avez pas le droit !...

L'appareil se brise en mille morceaux de verre et certains viennent légèrement m'entailler le bras. Je me lève alors d'un bond sans réfléchir, plutôt mourir en tentant de sauter du wagon que... je ne sais pas au juste.

Je me précipite sur la poignée et commence alors à tenter de la manœuvrer. Peine perdue. J'ai beau tout essayer, rien ne fonctionne.

Il me semble alors que le train tourne légèrement et je me retrouve soudain à terre, tombée à cause du déséquilibre. J'essuie d'un geste rageur mes larmes et tente alors de nouveau d'ouvrir la porte.

Voyant que je n'y arrive pas, apeurée, je me mets à tambouriner de toutes mes forces sur le battant en hurlant :

-Ouvrez ! Ouvrez, s'il vous plaît ! Laissez-moi sortir ! Laissez-moi...

Ma voix s'éteint dans un murmure tandis que les larmes que je retenais depuis si longtemps se mettent à couler en cascade sur mes joues.

Je me relaisse alors tomber sur le sol mais ne m'assois pas. Immobile, je m'allonge sur la surface froide et métallique pour sentir dans tout mon corps chaque mouvement du train. Mais son avancée est si régulière que je ne ressens pas grand chose.

Je repense à Maman. À Saldya qui doit vivre la même peur que moi. Qu'est-ce que j'aimerai ne pas être seule. Que quelqu'un me rassure...

Maman a dit que le pays A.M.Erica était une terre superbe. Qu'il était grand, que nous serions heureuses toutes les trois là-bas...

Il n'y aura pas d'A.M.Erica. J'ai tellement peur. Tellement peur. Je ne pleure plus maintenant. Mais je comprends mieux tout ce que j'ai lu avec Saldya, lorsque nous tournions ensemble les pages des vieux romans papier, en version luxe, de la bibliothèque de Maman... Les héros tétanisés de peur.

Ils devaient être comme moi maintenant.

Cet inconnu... Je regrette d'avoir cassé mon écran maintenant. J'aimerai parler. Il mentait peut-être ? Maman ne leur laisserait jamais me faire du mal... Jamais...

Mais tous ces gens qui me déteste. Saldya n'a rien fait pourtant. Moi j'ai tiré sur quelqu'un. Mais elle ? Je ferme les yeux quelques secondes. Je veux bien mourir. Maintenant s'il le faut. Mais qu'elle s'en sorte...

Alors même que je pense cela, j'entends un drôle de bruit. Le train passe sur du métal... le pont !

Je me souviens de cet endroit. Un immense pont au dessus d'un fleuve, entièrement en métal et classé comme œuvre architecturale. Il y en a deux.

Ma sœur doit être dans son train pile au dessus du second en ce moment... A l'autre bout de la ville.

Et, alors que je pense cela, un bruit violent me déchire les oreilles. Je vois soudain comme une immense lueur orangée puis sens mon corps être projeté en l'air au milieu de tout le wagon qui vole en éclat...

Une explosion. Maman, Saldya... Je vous aime.

Puis le vide.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant