Ysaïne (Chapitre 79)

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L'adrénaline m'envahit et je resserre ma prise sur les écailles du dragon. La gigantesque créature bleue vire sur le côté pour éviter une tour et je jette un coup d'œil à ses yeux qui brillent dans la nuit.

Ils ont accepté de me laisser tenter cette mission... Je revois le regard d'Azylis lorsqu'elle m'a conduite à son dragon. Satan. J'ai sentie combien il était dur pour elle de me laisser partir... Et je crois que j'ai eu du mal à lui cacher alors le sentiment qui se rependait dans mes veines : de l'amitié. Peut-être même plus.

Je pose alors d'un geste automatique ma main sur la lanière de ma sacoche. J'ai appris que l'on ne doit jamais laisser interférer ses émotion lorsque l'on s'apprête à cambrioler l'endroit le mieux gardé du monde peut-être...

Le palais apparaît alors à l'horizon et mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Satan tourne sa fine tête triangulaire vers moi et j'entends comme un grondement sourd dans ma tête suivi de quelques paroles.

-Nerveuse, enfant d'humaine ?

Je n'ai jamais approché de vraiment près les dragons. L'expérience est grisante mais je ne suis pas certaine d'avoir envie de recommencer de sitôt... La bestiole semble aimer me mettre parfois la tête en bas et je ne suis pas sûre d'adorer. Je suis en revanche absolument certaine de détester les surnoms.

-Je ne suis JAMAIS nerveuse. Ou presque. Et je m'appelle Ysaïne.

-Sale caractère.

C'est une simple observation et je jurerai même qu'il est amusé. Mais le palais qui s'approche beaucoup trop vite me semble-t-il m'empêche de me détendre. Je murmure, les dents serrées par l'appréhension :

-Alors on est bien d'accord ? Tu me déposes sur la plateforme que je t'indique...

La voix grave de l'animal résonne dans ma tête en réponse.

-Ce serait peut-être le moment de l'indiquer justement...

Je frissonne. Le palais se détache dans la nuit noire juste devant moi et ses tours me fascinent aujourd'hui étrangement. Dans un autre monde, une autre époque, j'aurai dû grandir ici... Qu'est-ce que cela m'aurait fait d'être entourée de parents qui m'aurait aimée sans rien exiger en retour ? J'aurai été différente... Je revois les yeux bleus d'Azylis posés sur moi et secoue la tête avant de me forcer à me concentrer de nouveau sur ma mission pour répondre.

-Pose-moi sur la terrasse là-bas, celle de la tour la plus à droite à notre hauteur...

-Ok. Petite curiosité... comment comptes-tu atteindre le bon étage ?

-En grimpant...

-Ça me rappelle l'histoire de l'autre humain.

-L'autre humain ?

-Ton père.

Mon souffle semble se raréfier dans ma poitrine tandis que nous nous rapprochons de plus en plus de la plateforme désignée. Je ferme quelques secondes les yeux avant de demander tout à coup à haute voix dans le silence de la nuit :

-Qu'avait fait mon... mon père ?

-C'est une histoire connue. Tu n'as jamais entendu parler du prince-assassin ?

Je devine dans sa voix un profond amusement. Comme s'il avait toujours admiré le fait que Gabriel soit un tueur plutôt que son titre de prince. Décidément, je suis de moins en moins convaincue que les dragons soient des créatures raisonnables...

J'ai froid aux mains et je ne sens plus le bout de mes doigts mais je tente de rassembler mes maigres connaissances concernant celui qui aurait dû être roi.

Au moment où je vais y arriver, nous survolons la plateforme que j'ai désignée et Satan me fait tomber au sol sans prévenir. Je retiens de justesse un cri de surprise et roule sur moi-même sur le sol de verre avant de m'immobiliser.

Je me redresse lentement et jette un coup d'œil autour de moi. Satan ne doit revenir me chercher que dans une heure... Il disparaît déjà entre deux tours. Je suis seule sur la plateforme du palais et je ramasse sur le sol ma sacoche que j'ai lâché dans ma chute. Je murmure pour moi-même :

-Il pouvait prévenir quand même... Fichu dragon.

Mais ma voix me fait tressaillir et je m'empresse de passer la lanière de ma sacoche sur mon épaule et de m'approcher du mur de verre. Grimper ne va pas être évident...

J'ouvre mon sac et cherche d'une main malhabile deux objets. Des aimants qui adhèrent à n'importe quelle matière et me permettront de tenir sur le mur...

Ils se fixent d'eux-mêmes à chacune de mes mains et je pousse un soupir. Si seulement la plateforme de l'étage où est conservée l'arme n'était pas munie d'un bouclier magnétique... Prévu pour éloigner dragons, aéronefs où bombes, mais certainement pas les humains. Une chance pour moi.

Je jette un coup d'œil au dessus de ma tête. Rien. Le vide silencieux... Alors, lentement, je pose une main puis l'autre sur le mur de verre. Les aimants fonctionnent parfaitement. Ils se détachent lorsque je le souhaite mais pourraient me retenir en cas de chute... Une merveille de la technologie.

Je commence alors à monter. En quelques minutes, je m'élève et quitte peu à peu la sécurité de la plateforme. Je m'immobilise un instant plus tard et jette un coup d'œil derrière moi. Maintenant, je n'ai plus droit à l'erreur. Toute chute serait sinon fatale au moins très dangereuse.

Un sourire me monte alors aux lèvres tandis qu'une bourrasque de vent plus forte que les autres me plaque contre la paroi de verre.

Je crois bien que jamais je n'ai eu à surmonter un pareil défi. L'impression est grisante et c'est avec deux fois plus de détermination que je recommence à grimper. Mes pieds glissent malgré moi et le froid rend mes mains moins agiles. Mais cela ne m'arrête pas.

Pour la première fois de ma vie, ce n'est pas seulement ma liberté qui est en jeu. Ça devrait suffire pour réussir non ? Je ne sais pas pour quelle raison exactement je me suis portée volontaire pour une mission suicide pareille. Sans doute parce que les visages de Saldya et d'Eslimea ne veulent pas quitter mon esprit.

Je n'aurai pas supporté de rester inactive après ça. Je marque alors un nouveau temps d'arrêt. Le bruit d'un aéronef résonne derrière moi et je sens les battements de mon cœur s'accélérer. Inexplicablement, je me mets alors à penser à Idwin. Et mes doigts se resserrent un peu plus sur le mur tandis que je lutte pour ne pas laisser un début de tristesse s'emparer de moi.

Je relève la tête avec soulagement lorsque le bruit de l'aéronef disparaît au loin. La plateforme à atteindre n'est plus qu'à quelques mètres... Mais après, je n'aurais plus que trois quart d'heure pour trouver ce que je cherche...

Je souffle fort en continuant mon escalade et un nuage de vapeur sort de ma bouche. L'image floue du prince Gabriel s'impose alors à moi.

Qu'à dit Satan déjà ? Que je le lui rappelait ? Je n'arrive pas à considérer le prince comme mon père. Mais mon cœur tambourine encore plus fort dans ma poitrine lorsque je pense à lui...

Pourquoi aurait-il escaladé son palais ? Mes mains atteignent alors le rebord de la plateforme. Je suis à l'extrémité gauche et c'est le moment de vérité.

Le bouclier magnétique me laissera-t-il vraiment passer ?

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant