Kenny et moi, on s'est trouvé une nouvelle planque, pas très loin du puits de lumière. Il a fallu la retaper un peu, alors on s'est mis au bricolage ; tout un pan de mur manquait. C'est très éloigné du centre-ville, alors on risque pas de voir arriver la garnison ou les brigades. Kenny a dû faire une connerie, et il s'est fait choper. Quand on aura reconstruit une planque digne de ce nom, il retournera travailler. Il veut que je l'appelle Manfred en public, parce qu'il faut pas attirer l'attention. J'ai un peu de mal encore à le sortir naturellement.
Il sait pas encore quoi faire. Y a pas tellement d'emploi par ici ; à part marchand, voleur, tueur, souteneur ou chasseur de rats. Moi, je continue à mendier, et à voler de temps en temps. Y a pas Jochem et sa bande par ici, alors je suis tranquille. On vit sur nos économies pour l'instant.
Pourquoi il deviendrait pas brigadier ? Il pourrait voler au-dessus des toits comme un oiseau. Je suppose que ça ferait mauvais genre, après avoir été tueur à gages. J'aimerai voler comme ça. J'ai demandé à Kenny comment ils faisaient. Il m'a expliqué qu'il ont sur eux un équipement spécial, avec du gaz qui les fait voltiger. C'est super chouette ! J'en aurai un aussi plus tard ! Comme ça personne pourra m'attraper !
Je manie mieux le couteau maintenant. Kenny m'a bien montré comment bouger le poignet et je le fais très bien, qu'il dit. Mais j'espère pas avoir besoin de tuer quelqu'un. Je sais pas, mais... je trouverai ça dégoûtant. Quand j'étais plus petit, je pensais souvent à tuer des gens, mais je pensais pas vraiment le faire, je le sais maintenant...
J'ai voulu que Kenny m'apprenne à écrire, mais il sait pas lui-même ; et de toute façon, qu'il dit, ça sert à rien. Lire, oui, c'est utile, mais écrire, c'est bon pour les bourges de la haute. Il me faudrait juste de l'encre et une plume, et je pourrais m'entraîner en recopiant mes livres. Kenny m'a laissé réciter devant lui, et il m'a dit que je lisais bien. Mais y a encore des mots que je comprends pas. Je réussis aussi à compter sur mes doigts ; Kenny va m'apprendre de plus grands nombres ; il dit que c'est pour pas me faire plumer plus tard.
On sort plus souvent ensemble ; il veut que je lui montre un peu le coin. Ca a quand même un peu changé depuis que je suis parti, mais les rues sont les mêmes. Il y a pas tellement plus de commerçants qu'avant, et l'eau de la fontaine est plus aussi bonne que dans mes souvenirs... Ca fait chier Kenny de devoir trouver un autre boulot, mais il pourrait vendre les clopes que je chipe ; les gens aiment bien fumer par ici, et ça se vend cher. Faudra que je lui en parle. Je peux pas le faire moi-même, on me les piquerai. Mais je voudrais qu'il arrête de fumer dans la planque ; ça met de la cendre partout ! Je fume aussi un petit peu... c'était juste pour essayer au début. C'est pas mal mais je le fais que lorsque je m'ennuie, ça m'occupe les doigts.
Une fois, je suis retourné voir la maison de maman ; personne y habite et elle tombe en ruines. Je suis entré dedans, il y avait plus rien ; les pillards sont passés par là. Je sais bien, je le fais aussi. Mais au milieu de ses vieux draps, j'ai trouvé son foulard. C'est un long morceau de tissu blanc et très doux que maman mettait dans les cheveux quand elle faisait le ménage ou la lessive. J'aimais bien tirer dessus pour que ses cheveux se détachent et je courais avec dans la maison ; elle essayait de m'attraper et me faisait un câlin quand elle y arrivait - enfin, quand je le laissais m'attraper... J'ai gardé le foulard et je l'ai rangé dans un tiroir d'une vieille commode que Kenny a trouvée dans une baraque vide. Il l'a portée sur son épaule comme si ça pesait rien, je m'en souviens encore.
J'ai enfin demandé à Kenny comment il a fait pour devenir aussi fort. Il m'a répondu qu'il savait pas trop... mais il m'a raconté qu'un jour, il était tombé sur une bande de salopards - il devait avoir à peu près mon âge. Ils ont essayé de le dérouiller, et il n'avait jamais ressenti une telle peur avant cela ; et plus jamais après. Ils avaient des couteaux et voulaient le planter. Il se sentait pas capable de se battre contre eux, il se voyait déjà raide mort, crevé dans le caniveau. Mais il voulait pas mourir ; sa plus grande peur, c'était pas ces connards, c'était de mourir. Et quand il a compris ça, il a eu l'impression que ses yeux s'ouvraient ; qu'il voyait tout beaucoup plus clairement qu'avant, comme si jusqu'à présent, il avait été bigleux. Quand les types se sont jetés sur lui, il m'a dit qu'il les voyait bouger très lentement, comme s'ils patouillaient dans la boue ; et il a compris ce qu'il devait faire. Il a saisi le couteau du premier type et s'en est servi pour buter tous les autres. Après, il se sentait un peu différent, pas seulement parce qu'il avait tué pour la première fois. Il se sentait incroyablement fort, comme si rien pouvait l'arrêter. J'ai adoré cette histoire. Je sais pas si c'est vrai ou s'il me l'a servie pour que je la ferme, mais je pense que c'est pas tout inventé.
Est-ce que je serais fort comme lui plus tard, que je lui ai demandé ? Il a rigolé et a répondu que je risquais pas si je grandissais pas un peu ; et puis il faudrait que je me muscle aussi. Kenny fait parfois des pompes au milieu de la planque ; j'essaie de l'imiter mais c'est dur. J'ai réussi à en faire dix hier. C'est pas mal, non ? Bon, Kenny dit quand même que ça pourrait bien m'arriver à moi aussi, de devenir fort comme lui. J'espère que oui. Mais... si je pouvais éviter de tuer quelqu'un pour ça...
J'ose pas encore lui demander si c'est vraiment mon papa. Faudra bien que je le fasse un jour...
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Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]
FanfictionL'histoire de Livaï comme vous ne l'avez jamais lue. Le personnage le plus populaire de L'Attaque des Titans, le soldat le plus fort de l'humanité... Qui est-il vraiment ? Qu'a-t-il dans le coeur ? Qu'est-ce qui a fait de lui ce qu'il est ? Je me su...