ADIEU, MON FRERE...(mai 844)Livaï

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Je galope et les flancs de ma jument sont gonflés ; elle souffre et n'en peut plus

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Je galope et les flancs de ma jument sont gonflés ; elle souffre et n'en peut plus... Elle va me lâcher... Quand elle tombe enfin sous moi, je me sers du gaz pour me propulser vers l'avant. Je distingue les titanesques silhouettes au loin... Ils sont là-bas, j'entends des cris. Tenez bon ! Je suis encore trop loin pour lancer les câbles, alors je me sers de mes jambes, du gaz, du vent qui me porte, de tout, pour aller plus vite ! J'en ai le souffle coupé...

Furlan ! Je le vois ! Reste pas là, bouge ! Je suis presque à portée. Je hurle pour qu'il m'entende mais il est comme hypnotisé... Il est bloqué sous son cheval, je suis pas sûr, je vois pas bien... Où est Isabel ? Non, me dis pas que... Elle est là, pendue sur le dos d'un titan, à la merci de l'autre mocheté qui lui fonce dessus, toutes dents dehors... Je cours à m'en faire péter les veines... Je vais pas y arriver... Tout à beau se dérouler au ralenti, je vais pas encore assez vite...

Je maudis mes sens... Ils me font tout voir dans le moindre détail, quand la tête du titan se précipite en avant pour la bouffer - non, ça peut pas être vrai - et fait chuter l'autre colosse en avant. Je vois tout très clairement : ses bras qui volent dans les airs, ses jambes désarticulées éclaboussées de sang... Et là... ce serait... non, ce n'est pas sa tête, Livaï, ne pense pas à ça... Je suis si loin mais je perçois tout si nettement...

Mon attention se reporte sur Furlan. Il est libre mais ne bouge pas. Je vois vaguement Faragon apparaître dans mon champ de vision, mais je suis concentré sur Furlan, et lui seul. Je dois le tirer de là, quoi qu'il en coûte ! Je le vois boiter... Il est blessé ! Et son dispositif, pourquoi il l'utilise pas ? Il a plus de gaz ?

Trop de questions et pas assez de temps... Le titan le saisit et le porte à sa bouche... Non ! Je balance mon câble une fois mais je suis trop loin et je vise mal. Mes yeux me piquent de douleur... Je réessaie et cette fois j'accroche ma cible. Bats-toi, Furlan, te laisse pas faire ! Il me regarde avec sur le visage une sérénité qui me bouleverse... Il me salue de la main... Fais pas ça... Te laisse pas bouffer ! Je suis de retour, je vais tous nous sauver et nous ramener à la maison !

Putain de merde, j'ai pris la mauvaise décision ! J'aurais dû rester avec eux ! Je les ai condamnés à mort !

Je peux couper le bras du titan. Si je vais assez vite, je peux le sauver ! Non ! Trop lent ! Il l'a déjà mis dans sa bouche ! Je lui sectionne le poignet, pour rien... L'air qui s'engouffre dans sa gorge à la suite de Furlan me lacère le visage... Il était juste là... Une ou deux secondes de plus...

Je me retourne vers le monstre, en mettant les gaz pour m'en éloigner. Une des jambes de Furlan tombe au sol... Elle chute lentement, comme dans un cauchemar... La jambe de... Ca se peut pas... Reprends-toi, ces monstres avalent leur proie, avec un peu de chance, Furlan est toujours...

Je vole en rase-motte pour prendre de la vitesse, et je remets la pression pour me propulser vers son ventre. Je fends la chair comme un couperet, au niveau du torse. Un flot de sang et d'autres trucs indéfinissables s'échappent et je distingue autre chose ; une main... Les doigts écartés, tendus, comme pour m'inviter à la saisir... Je l'attrape et tire Furlan à l'extérieur. Il est si léger... Ses yeux sont fermés... Je peux pas regarder... Je le serre contre moi, et c'est là que je constate que le bas de son corps a disparu... Si léger... trop léger pour un vivant...

Pardonne-moi, mon frère, je peux pas m'occuper de toi. Les autres foncent déjà sur moi. Essayez, bande d'enfoirés ! Je sais pas combien de gaz il me reste, mais je jure de tous vous buter ! Même si c'est la dernière chose que je fais !

J'ai conscience du cadavre de Furlan tout à côté mais mes sens ont déjà repris leur acuité. Ces quatre saletés se détachent parfaitement sur le sol boueux et le ciel gris. Je ne perds rien de leurs mouvements, de nouveau si lents. Je me concentre sur le plus rapide. Qu'est-ce que tu as, à me regarder, toi ?! Tu veux que je m'occupe de tes mirettes ?! Je m'élance et plante mes lames dans ses paupières visqueuses. Je les désengage et, tandis que je fonce sur le suivant, en enclenche de nouvelles. Me revoilà. Je vous manquais ?

Je décris un grand arc de cercle tout en tourbillonnant, laissant mon corps trouver naturellement la nuque de mes ennemis. Avant même de l'avoir réalisé, j'en ai déglingué deux. Reste le dernier. Je dois faire vite, le gaz file... Je saisis ma lame droite à l'envers, prêt pour mon attaque fétiche. Ca va saigner. Ce qui me fait le plus mal, c'est de savoir que ces créatures ne sentent pas la douleur comme nous ; aucune ne souffre comme ils ont souffert... Aucune ne souffre comme moi... Il y a pas de coeur là-dedans, dans ces affreuses poupées vides et sans âmes !

Je peux pas vous faire souffrir, alors je vais tenter au moins de me faire du bien !

Je m'élance du dos de ma dernière victime vers la troisième. Elle tend la main vers moi, ce qui me facilite la tache. J'utilise son bras pour prendre de l'élan et commence à tournoyer. Mes lames frôlent sa peau, mais c'est sa nuque que je veux. Trop lent, connard ! Il a même pas le temps de réaliser ce qui lui arrive ! Mes épées plongent tour à tour dans son cou et tailladent sa nuque. Je prends plaisir à chaque coup, chaque vibration de mes poignées remonte dans mes bras, s'intensifient dans ma poitrine et explosent dans mon coeur et mon cerveau ! Je pourrais même en mourir tant le traumatisme physique que je m'inflige est puissant... Mais je crèverai pas avant d'avoir buté le dernier.

Le voilà qui se remet de sa blessure. Ses yeux se sont pas encore régénérés. Mais celui-là, je me le gardais pour la fin... Je prends mon temps, en marchant vers lui. Il me voit pas, tout occupé à se tenir le visage à deux mains. Vous avez mal, finalement ? Non, tu sais pas ce que c'est, que la douleur... La seule chose qui m'empêche de te torturer lentement, c'est que j'ai presque plus de gaz. Autrement, je t'aurai haché menu, et attendu que tes membres repoussent pour recommencer ! Même ça ce serait pas suffisant. C'est rien à côté de la sensation de mes os broyés, écrasés, de mes muscles déchirés et flasques ; cette sensation que j'ai ressentie la première fois il y a très longtemps et qui me revient à présent...

Je marche vers lui, à mon rythme. Je sais que tu peux pas parler, et que tu comprends rien, ordure, mais dis-moi : c'est bon, la chair humaine ? Tu t'es régalé et t'en veux encore ? Pas de bol, aujourd'hui c'est moi qui bouffe du titan ! Et j'ai la dalle, tu piges ?! Je plante mon grappin dans sa nuque - trop facile. Je prends bien le temps de viser, d'ajuster ma coupe comme il se doit. Pour Isabel et Furlan. Pour tous les humains que t'as boulotté dans ta triste vie. Et tous ceux qui auront le bonheur de pas croiser ta route.

J'abats mes lames. C'est fini. Le monstre s'écroule sous moi, comme une masse informe. Comme une chose qui a jamais rien eu d'humain. Une chose comme moi... Mes sens se ferment si vite que j'ai l'impression pendant une minute d'être devenu sourd et aveugle... Je sens la chair du titan sous ma botte et je marche le long de sa colonne vertébrale comme un somnambule... Je suis si fatigué... Mon coeur bat vite, trop vite ; il va exploser... Je dois le calmer... Mais j'en ai pas envie... Il peut bien lâcher maintenant...

Isabel... Furlan... ils ne sont plus là... Et je ne sens plus rien du tout. Si, je sens... quelque chose à mes pieds... A la fois dur et doux... Je baisse les yeux et fais le point. C'est une tête. Une tête aux cheveux roux flamboyants. Mon pied l'a fait rouler et le visage d'une morte se tourne vers moi... Non ! Me regarde pas comme ça, petit soeur... Mon corps me fait tellement souffrir... Il me rappelle à quel point j'ai failli à mon devoir... encore...

Pourquoi vous me quittez tous ? Est-ce que quelqu'un répondra un jour à cette question qui me torture depuis des années ?! Mes jambes ne me portent plus et je m'effondre à ses côtés, la main sur son front. J'en chasse machinalement quelques mèches, comme je le faisais souvent quand elle rentrait débraillée... Furlan... veille sur elle pour moi, d'accord ? Je peux juste lui fermer les yeux...

Voilà, c'est fait. Tout est terminé. Pour eux. Pour moi...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant