UN GARCON MANQUE (mars 830) Livaï

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Il ne neige plus mais il fait toujours froid

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Il ne neige plus mais il fait toujours froid. Je suis plus enrhumé grâce au remède de Betti. Je lui ai promis de plus me rouler dans la neige.

C'est difficile d'avoir chaud pendant l'hiver. La laine coûte très cher et même si l'Etat distribue des vêtements chauds dans les bas-fonds, c'est rare qu'il en reste pour les enfants sans parents. Betti et moi on a réussi à choper un tricot très large qu'on se refile à tour de rôle ; une fois sur deux, c'est moi qui me les caille. Mais je préfère qu'elle ait pas froid, donc ça va, je supporte. Je mets le foulard de maman autour du cou, des fois mais je le porte plus tout le temps parce que j'ai bien vu que ça pouvait se retourner contre moi. J'espère qu'il va commencer à faire plus chaud. Cet hiver est le plus froid et le plus long que j'ai jamais vécu...

On va de temps en temps se chauffer les fesses aux braseros que la garnison autorise, et qui sont placés un peu partout dans les rues. J'en ramènerais bien un à la planque. J'en ai déjà soulevé un. Mais je veux pas d'ennuis. En tout cas, pas d'ennuis que je me sens pas prêt à gérer. S'ils me tombent dessus, je serais dans la merde.

Elle et moi, on reste parfois des heures devant ces barils qui crépitent et qui font du bien. On en oublie de manger... J'ai remarqué qu'elle avait beaucoup maigri, est-ce que j'ai maigri moi aussi ? Quand on en a assez, on se remet à voler un peu, mais ce genre de vie commence à me peser. Les gens sont pauvres et ont aussi besoin d'argent pour vivre. Est-ce que j'ai le droit de les voler sous prétexte que je suis encore encore plus dans la misère qu'eux ? Certains ont sans doute travaillé dur pour gagner ce que je pique dans leurs poches. Ces idées viennent toujours me faire chier en cette saison, parce que je vois comment les gens ont du mal à survivre. Enfin, je le vois plus que d'habitude.

J'en ai parlé avec Betti, et elle comprend ce que je ressens. Mais on a pas trop le choix, non ? Enfin si, y'en aurai un autre, mais je veux même pas qu'elle en parle... C'est pas une option que je trouve plus honorable... Je lui ai demandé si elle le ferait, elle. Elle a pris un peu de temps pour répondre, mais finalement elle a dit que si elle avait pas d'autre choix, oui. Pas moi. Je préfèrerais crever.

Je veux pas que Betti devienne une pute. Je veux pas qu'elle finisse comme maman. Je veux pas qu'on lui fasse mal. Je lui ai dit, et elle a rigolé. J'aurai qu'à la protéger. Être son souteneur ? Même pas en rêve ! J'ai été un peu déçu qu'elle y ait pensé... Elle me connaît pas si bien que ça, finalement.

Je suis en train de tourner en rond dans le centre-ville à l'attendre. Qu'est-ce qu'elle fait ? D'habitude à ce moment de la journée, on est déjà au boulot. Il nous arrive de bosser ensemble, elle fait l'appât pour attirer les pigeons - les plumeurs, elle les appelle - et moi, je les allège de leur fric sans qu'ils voient rien. Ensuite, Betti s'arrange pour s'en tirer toute seule, ou alors je lui donne un coup de main si ça se passe mal. J'en ai laissé plus d'un sur le carreau pour elle. Je ne les tue pas, parce que c'est pas la peine ; une fois assommés, ils sont inoffensifs. Ils font semblant d'en avoir dans le falzar. A la fin de la journée, on se partage le butin. C'est plutôt chouette de travailler à deux.

Je commence à m'inquiéter, et puis y a un couple de riches de la surface qui me passe sous le nez. Y en a de plus en plus. Je les filerais bien, mais Betti passe en premier. Je me mets à courir en direction de sa planque. Elle est peut-être malade, ou indisposée comme elle dit - je me demande bien où elle a entendu ce mot-là -, et pourra peut-être pas venir. Mais je veux m'en assurer.

J'approche de son repaire et j'entends des bruits bizarres. Le genre de bruit dont on a pas besoin de voir ce qui les produit pour comprendre ce qui se passe, voyez... Je suis un peu gêné... Betti est peut-être avec un garçon... Elle m'en a jamais parlé, mais comme elle ressemble quand même pas mal à un mec elle-même, ça m'avait jamais traversé l'esprit avant. Je vais quand même pas regarder...

Je passe la tête par le coin, juste un peu, et je distingue en premier le dos d'un type. Puis je vois Betti, adossée au mur de sa planque, une main coincée dans la pogne du type. Je vois bien qu'elle se débat, qu'elle essaie de le repousser, alors que l'autre main du gaillard se glisse sous sa chemise...

Je vois rouge tout d'un coup ; comme le jour où j'ai zigouillé les gars de Jochem. C'est un sale type, celui-là. Et les sales types, j'ai juste envie de les buter.

Je prends mon couteau, machinalement, tandis que tout semble encore se figer autour de moi pendant que j'avance vers le sale type. Je pose ma main sur son dos et il se retourne très lentement. Je saute en l'air pour atteindre sa poitrine, la lame en avant cette fois, car je veux le choper de face. J'aurais pu lui sauter sur le dos et l'égorger propre et net sans me faire repérer, mais je voulais qu'il me voit. Il a à peine le temps d'ouvrir la bouche que je lui fiche le couteau en travers de la mâchoire ; la lame ressort près de son nez, j'ai raté le cerveau, dommage pour lui... Ca pisse pas trop, je le rejette en arrière, loin de Betti, qui est restée à me regarder, bouche bée. Sa chemise est à moitié déchirée...

Je la regarde à mon tour, et je m'entends lui dire, comme si c'était pas moi, "tu veux que je lui coupe les mains et la queue en prime ?" Elle sursaute et secoue la tête. Elle veut pas, apparemment. Je l'aurais fait si elle avait voulu.

Le type s'étouffe dans son sang, il sera mort bientôt. Est-ce que je dois l'achever ou pas ? Non, qu'il crève lentement, il fallait pas toucher à Betti, gros porc ! Le temps reprend son cours petit à petit, et je nettoie la lame de mon couteau sur le pantalon du sale type ; Betti est figée, elle semble plus aussi effrayée et regarde le mec crever avec une certaine fascination. Je sais ce que ça fait. Voir la vie partir, et la mort prendre sa place, c'est un spectacle que tout le monde peut pas supporter. Je pensais pas en être capable. Mais finalement, c'est pas grand chose. Ca a été plus facile que la première fois.

Betti en est capable. Elle est forte, elle aussi.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant