ENFIN, JE TE VOIS(mai 844)Hanji Zoe

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Le chariot est intact, tant mieux, on aura de quoi dîner

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Le chariot est intact, tant mieux, on aura de quoi dîner. Mais... mon appétit est pas au rendez-vous. A voir les mines défaites des derniers arrivants - les survivants de l'aile droite -, je comprends que c'est pas la joie. Ils sont pas nombreux...

J'aperçois Erwin et Mike. Je joue des coudes pour les atteindre au milieu des troupes qui s'engouffrent dans l'avant-poste. Des bras en écharpes, des têtes bandées, encore une fois le bataillon a triste mine. De notre côté, la formation a bien fonctionné, nous avons pu rallier l'abri les premiers, sans nous rendre compte que les lignes s'étaient disloquées. Avec toute cette flotte sur mes lunettes et cette brume, il a fallu se débrouiller !

Ca aurait pu être pire. Et l'expression d'Erwin me le confirme. Il trace jusqu'au coeur du repaire tout en me demandant où se trouve le major. En train de ruminer quelque part par l), je suppose. Attends un peu, l'escouade de Faragon est pas là ? Il me répond sans se retourner qu'elle a été décimée, à l'exception d'un seul de ses membres. Non... C'est pas vrai ! Avec les prodiges ?! Bon sang, ça a dû être l'enfer là-bas !

Je me grouille de revenir dans la pièce principale où les camarades s'organisent déjà pour la nuit. La rumeur des voix emplit les lieux, ponctuée de temps en temps par un cri ou un gémissement. J'en ai vus des sacrément atteints ; ils ne passeront peut-être pas la nuit... C'est dans ces moments-là, quand je sais que nous serons moins nombreux le lendemain, que je hais les titans...

Moblit se rend utile en posant des bandages à un jeune soldat blessé à la jambe. Les blessés sont rassemblés dans une autre pièce à côté, où des lits de camp ont été dressés. Il n'y en a pas assez, et certains sont obligés d'attendre, la main sur leur blessure, en espérant ne pas se vider avant qu'on s'occupe d'eux. Un seul infirmier nous a accompagnés cette fois, et il a fort à faire. Je vais lui donner un coup de main, je suis compétente en la matière.

Greta se présente tandis que je suis en train de relever mes manches et me demande si elle ne peut pas prendre une couverture ; un des gars là-bas est congestionné et peut-être en état de choc. Et regarde un peu ceux-là, ma grande. Tu crois qu'ils se sentent bien ? Si ton gars est mal, qu'il vienne par ici, on s'en occupera. Apparemment, il veut pas bouger, qu'elle me répond. Et bien, c'est son affaire.

A un moment de la conversation, pendant que je verse de l'antiseptique sur un linge, le nom de Livaï s'incruste. Livaï !? Il est vivant ? Il est où ? Greta m'indique un endroit vague dans la grand salle et se saisit d'une couvrante avant de s'éloigner. J'applique le cataplasme sur la plaie d'un malheureux explorateur anonyme, mais qui a l'air bien jeune... Il grimace de douleur. Courage, mon gars, des bobos comme ça, c'est le moins qui puisse t'arriver.

Les mains pleines de sang étranger et sentant l'alcool, je me dirige avec curiosité vers le mur nord de l'avant-poste. Là, adossé à la muraille, un peu à l'écart des autres, j'aperçois Greta, à genoux, qui semble parler à quelqu'un. En approchant, je distingue enfin Livaï, les yeux fixes et exorbités, la bouche légèrement entrouverte, comme choqué. Il est courbé en avant et ses mains reposent mollement sur ses genoux repliés. Greta continue de murmurer mais il semble pas y faire attention. On dirait qu'il est concentré et écoute un son que personne d'autre n'entend.

Enfin, ses yeux bougent et se fixent sur Greta, qui a un mouvement de recul. T'inquiète, ma belle, il mord pas. Quoique, il a pas l'air d'aller bien... Si j'ai bien compris, ses deux amis sont morts... Isabel, et... ah oui, Furlan. Quand je pense qu'ils étaient encore là hier soir et que j'ai bavardé avec eux... Ca doit lui faire un mal de chien... Mais il faut qu'il s'habitue, cette sensation de perte est notre lot à tous.

Greta s'éloigne et je prends le risque de m'approcher un peu. Je lui demande si ça va... Je récolte un grognement mais pas de regard assassin. Je lui tapoterais bien l'épaule pour le réconforter mais je crois qu'il est bien au-delà de ça. Dans ce genre de situation, le mieux est de rester seul ; mais pas trop, car j'en ai vu certains perdre la tête après la perte de leurs proches... Nous nouons des relations étroites entre explorateurs, mais ces trois-là se connaissaient depuis très longtemps apparemment. Ca doit être encore plus dur.

Je n'ai jamais eu le détail des circonstances de leur intégration, mais je me doute de quelque chose de louche. A moins de réussir à cuisiner un peu Mike, j'en saurais sans doute rien ; Erwin ne lâchera pas un pet d'infos. Même si tout le monde sait qu'ils venaient des bas-fonds, c'est tout ce que j'ai...

Je ramasse la couverture que Greta a laissé à terre et la lui tends. Il l'attrape sans me regarder et se met à la tordre dans ses mains. Il est trempé jusqu'aux os, une grande flaque s'est formée autour de lui. Tu ferais bien d'enlever ces fringues mouillées ou tu vas choper la mort. Je dis, je dis rien, hein. J'ai dans l'idée que cette perspective doit lui sembler plaisante...

Pas maintenant, mon gars. Laisse pas tomber. Ils sont partis, mais tu es bien là. Je peux rien lui dire de plus, après tout, je le connais pas tellement, même si je me vante de l'avoir étudié.

Il se lève, la couverture jetée sur les épaules, et va s'isoler dans un coin. Il va sûrement suivre mon conseil et faire sécher son uniforme. Je jette un oeil, furtif. A part ça, il a pas l'air blessé. C'est à l'intérieur que ça va mal... Je suis pas psy, je peux rien pour lui. On va juste veiller à ce qu'il fasse pas une connerie d'ici à demain. Greta l'a apparemment pris sous son aile, la voilà qui revient, avec des rations. Je lui dis d'attendre car le nain est en train de se mettre à l'aise. Elle rougit un tout petit peu devant mon sous-entendu, et reste debout à côté de moi pendant quelques minutes.

J'en profite pour lui soutirer ce qu'elle sait. Apparemment, il aurait massacré pas moins de six titans à lui seul. Six, tu plaisantes ? Qui a compté ? T'as dû mal comprendre ! Je siffle entre mes dents en me disant que finalement, c'est pas si impossible. C'est un vrai phénomène.

On glisse un regard dans le recoin sombre. Il s'est emmitouflé dans la couvrante, on voit même plus sa tête. Ses vêtements sont étalés par terre. Laisse-lui à manger à portée de main et éclipse-toi, ça vaut mieux. Greta s'approche à pas de loup, dépose la ration à ses pieds avec un verre d'eau et s'en va. Il a pas bougé. Est-ce qu'il dort ? Après ce qu'il vient de vivre, ça m'étonnerait...

Mais quand même... six titans à lui seul ?! J'aurais tellement aimé voir ça !

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant