La pluie a cessé, comme si elle avait attendu les derniers mots d'Erwin. Le soleil a reparu et il reste quelques heures avant son coucher. Il vaut mieux filer. Mais je reste un peu en arrière, contemplant ces deux hommes qui se jaugent mutuellement pendant quelques minutes, sans dire un mot.
Je n'en suis pas encore sûr, mais je crois avoir assisté à quelque chose d'important.
Quand la lame de Livaï s'abaisse, mon premier mouvement est de le désarmer pour de bon, mais Erwin m'arrête. Il me fait signe de lui amener le cheval sans cavalier, et Livaï, comme dans un songe, attrape les rênes et monte dessus. Nous devons rejoindre Shadis en première ligne ; le bilan de l'expédition n'est pas bon, mais pas plus catastrophique que d'ordinaire.
Je n'en reviens pas, tant de titans tombés sous sa rage... J'aurai été incapable d'en faire autant à ma première sortie... Il va falloir surveiller ce jeune homme. Je le fais déjà du reste. Mais il reste silencieux, et le front bas, les yeux rivés au sol. Il ne semble plus une menace pour le moment.
Nous détalons en direction de l'ouest ; nos montures sont trop heureuses de repartir, bien alertées elles aussi du danger des titans. Je ne sens pas leur odeur, il n'y en a pas dans les environs immédiats. Le manque de lumière a dû les assommer pour un temps. Des expéditions nocturnes seraient un moyen sûr de garder la vie de nos camarades, si l'on pouvait trouver un moyen efficace de nous éclairer en pleine course...
Erwin ne jette pas un regard en arrière, persuadé que le nabot nous suit. Je vérifie à sa place : il est bien là, impassible, et me renvoie mon regard. Un calme nouveau et inattendu semble s'être installé en lui, je ne sens plus cette colère implacable dont Erwin et moi avons fait les frais depuis son arrivée dans le bataillon. Mais je le vois ralentir... sans en avoir l'air, il prend du retard sour nous et paraît vouloir s'attarder en arrière, comme si il était irrésistiblement rivé à cet endroit. Il tourne la tête vers le lieu du carnage, rougi de sang et dont s'élèvent maintenant des volutes de fumée ; les titans se sont complètement désintégrés.
Je crie à Erwin de ralentir car le nabot fait de la résistance. Non, il rend sans doute un dernier hommage à ses deux amis. Je pense vaguement à Faragon et Sairam, dont les corps ont été entièrement dévorés, et qui ne reposeront pas en terre. Tes deux copains auront au moins cette chance, les titans ne s'attaquent pas aux cadavres trop anciens. Avec un peu de veine, ils se seront décomposés avant que d'autres viennent par ici.
Maigre consolation, j'imagine... On ne peut pas les emmener, nabot, alors résigne-toi.
Je n'imaginais pas lire une telle tristesse sur son visage un jour. Je la sens flotter jusqu'à moi, avec le vent qui nous pousse dans la bonne direction. Et je ne suis pas sûr, mais... son odeur a aussi changé. Il faudra que je m'en assure la prochaine fois ; sans trop me faire remarquer. Le nabot rattrape son retard et se place en ligne à nos côtés, l'air plus assuré.
Nous chevauchons en silence pendant environ une demi-heure quand nous retrouvons le chariot et son escorte. Il n'a pas trop souffert car il était bien à l'abri au centre de la formation, près du major. Lui-même paraît déconfit de toute cette aventure et il me semble qu'il lance à Erwin un regard un peu noir... Il va quand même pas lui mettre ça sur le dos ? Sans sa formation, nos lignes auraient bien davantage souffert de ce changement de temps inattendu. Faudrait voir à pas l'oublier... Mais je connais Shadis ; c'est un homme bon mais qui a tendance à pas toujours assumer ses erreurs. C'est pour ça qu'il se repose souvent sur Erwin. Quand l'eau du bain est sale, Shadis préfère le refiler que le vider. Erwin n'est pas tout à fait d'accord, mais il a tendance à idéaliser le major. Shadis ne ressemble pourtant en rien à son père...
J'espère juste qu'il va pas s'aplatir devant lui cette fois et faire valoir les points positifs de sa formation. D'autres pourront l'appuyer je suppose. Même si Erwin est intimidant, pas mal de nos soldats l'apprécient. Je ne sais pas si Livaï en fera partie, mais au moins il semble avoir oublié l'envie de le tuer.
Nous arrivons à l'avant-poste. Nous y passerons la nuit et reviendrons vers le Mur Maria demain matin, en traçant un itinéraire moins risqué cette fois. Cette dingue d'Hanji est là, à gesticuler comme une perdue. J'aperçois aussi Greta et Steffen, apparemment indemnes. Seule l'aide droite semble avoir morflé, les autres se portent plutôt bien.
Nos deux camarades nous rejoignent en jetant à Livaï un coup d'oeil interrogateur. Il sera bien temps de leur raconter, et si tout se passe comme d'habitude, Hanji aura tout relayé dans quelques heures au bataillon entier. Je suis pas sûr que ce nabot ait besoin de ça, ça va le foutre en rogne. Il a besoin de rester un peu seul, de se poser au sec avec une couverture et un truc bien chaud à boire. Autrement dit, ce sera pas pour tout de suite. Laissons-lui au moins la paix.
Cet avant-poste est un peu moins confortable que le précédent mais il fera l'affaire. Erwin descend de cheval et me le donne en lançant qu'il doit aller faire son rapport au major. Tu peux peut-être attendre un peu, non ? Il sera bien temps de lui apprendre qu'on a perdu pas moins de deux escouades. Enfin deux, moins un survivant. Il hoche la tête mais je sais bien qu'il fera comme il le veut. Il me demande aussi de m'occuper du nabot, de m'assurer qu'il va pas trop mal psychologiquement et qu'il va pas s'effondrer. C'est ça, vas-y, et moi je prends soin de la terreur. Tu parles, je vais le refiler à Hanji, oui, elle se fera un plaisir de le dorloter rien que pour avoir des détails croustillants sur les titans qu'il a déglingués.
Qu'elle en profite, son état de faiblesse ne durera pas, je crois.
VOUS LISEZ
Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]
FanfictionL'histoire de Livaï comme vous ne l'avez jamais lue. Le personnage le plus populaire de L'Attaque des Titans, le soldat le plus fort de l'humanité... Qui est-il vraiment ? Qu'a-t-il dans le coeur ? Qu'est-ce qui a fait de lui ce qu'il est ? Je me su...