Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

AU COEUR D'ENJEUX POLITIQUES(janvier 844)Mike Zacharias

Il faut croire qu'Erwin a plus de flair que moi. Sentir cette entourloupe là où personne n'y a rien vu, c'était bien joué.

On a laissé le gars de Rovoff se remettre tranquille. Si ce n'est pas lui qui informera son patron de toute l'histoire, quelqu'un d'autre s'en chargera. Ce n'est qu'une question de temps avant que ce triste sire ne croupisse en prison. On a déjà tant de mal à amasser des fonds pour nos expéditions, on a pas besoin qu'un politicien véreux nous en fauche la moitié. Ca n'aura pas duré longtemps. Mais on a dû remettre à plus tard la dernière expédition, croyant que les dons n'avaient pas été assez importants. Si Erwin n'avait pas mis son nez dans les comptes, ça aurait pu être pire.

Je ne sais pas vraiment ce qu'il prévoit de faire maintenant, mais je le connais depuis des années, il ne reste jamais les bras croisés. Keith n'est qu'à peine au courant de l'affaire. De toute façon, il aurait laissé Erwin s'en charger, il a toute confiance en lui.

En tant que chef d'escouade, il fait déjà un boulot remarquable, mais en tant que bras droit de Shadis, on peut dire qu'il en fait bien plus que sa part. Erwin ne s'en plaint pas, les responsabilité ne lui font pas peur.

Il a beaucoup insisté pour avoir ce mandat. Le généralissime a dû le croire sur parole quand Erwin lui a affirmé qu'un complot contre le bataillon d'exploration se jouait dans les bas-fonds. Il a le don de convaincre facilement. Mais si les états de service d'Erwin n'avaient pas été impeccables, Zackley l'aurait fait mariner encore un bon moment. Et pendant ce temps, les fonds du bataillon auraient profité à d'autres.

Quand je pense que ça a servi a verser des pots-de-vins et des remboursements illégaux à la guilde qui fournit les brigades spéciales... Ca, Erwin était loin de s'en douter. Une magouille peu commune... Je me demande si la guilde sera elle aussi accusée de revente illégale. Je sens que ça va encore sentir mauvais du côté de Nile...

Erwin est en possession des documents et nous n'avons plus qu'à remonter à la surface. Greta et Steffen marchent un peu plus loin derrière nous, pour veiller sur nos arrières. Aucun de nous n'est vraiment à l'aise, sous terre. On a trop l'habitude des grands espaces... Mais Erwin marche au milieu de la foule comme si ce n'était pas grand chose. Les gens s'écartent devant lui. Des gens aux odeurs variées et... surprenantes, pour certaines.

Des clameurs éclatent dans une rue proche. Ce n'est pas notre travail de faire régner la loi, nous en avons terminé avec nos propres affaires. Viens, chef. L'escalier c'est par là. Mais où il va ? Il peut pas s'empêcher de jouer le gentil garçon, ça a toujours été le cas. Mais on est pas accrédités... Erwin, reviens !

Je le rejoins dans la ruelle d'où fusent les vociférations. Il semble en arrêt devant un drôle de spectacle - qui doit être monnaie courante par ici. Un type à l'air tout sauf honnête est en train de menacer avec un pistolet ce qui ressemble à un gamin, vu de loin. Mais un gamin à la silhouette bien étrange ; vêtu d'une longue cape, trapu et le regard mauvais.

Le type a même pas le temps de tirer que le gamin a pris les devants et lui décoche une décharge... Je vois pas tout de suite de quoi il s'agit ; il me semble bien l'avoir vu glissé sa main dans sa cape pour en tirer quelque chose, mais...

Je ne réalise que quelques secondes après que c'est le grappin d'un harnais de manoeuvre qu'il a envoyé se planter dans le mur derrière le type. Erwin ne réagit pas ; mais il faut dire qu'on en a guère le temps.

Le type prostré se met les mains sur la tête tandis que les curieux applaudissent. Mais il ne lâche pas son arme. Le gamin le charge comme un boulet de canon, et le type fait feu dans sa direction. Je suis à deux doigts de dégainer mes lames mais Erwin me retient d'une main ferme.

Au dernier moment, le môme s'envole dans les airs. Utilisant la tension de son second câble qu'il tire vers lui, il se précipite sur le type armé, les pieds en avant, et l'étale au sol sans aucune difficulté. Pendant ce temps, deux de ses acolyte ont fait leur affaire à d'autres truands qui comptaient entrer dans la danse à leur tour. Mais je n'ai pas très bien vu comment ils se sont débrouillés, tant j'étais concentré sur le petit aux yeux si perçants...

Erwin non plus n'en a pas raté une seconde.

Je n'avais jamais vu quelqu'un se battre contre un autre être humain avec le harnais de manoeuvre. Ce n'est pas fait pour ça, normalement... Mais c'était réellement impressionnant. Impressionnant, mais fini. Erwin, qu'est-ce que tu attends ? Tu ne comprends pas qui ils sont ? Ces fameux voleurs volants qui ont dérobé leur équipement à deux brigadiers il y a bien longtemps maintenant. Nile a tout fait pour qu'on en sache rien, mais les ragots vont vite. Ils ont jamais réussi à les coffrer. Je crois que c'est le moment, non ? Accréditation ou pas...

Le môme se retourne vers ses compagnons et je me rends compte alors que c'est pas du tout un môme, mais un homme qui mène sa petite troupe d'une mains de fer. Ce regard-là n'est plus celui d'un enfant depuis longtemps...

Ils lancent leurs câbles vers les toits pour fuir les lieux. Erwin, bouge-toi ! Ils vont nous échapper ! Qu'est-ce qui te prend ? C'est de la vermine de la pire espèce ! De la vermine douée, certes, mais faut pas compter dessus. Erwin ?

Il ne bouge pas, les yeux levés vers le groupe de fuyards qui s'envole vers les toits. Je décèle sur son visage, et dans le sourire discret qu'il arbore, une émotion que je connais un peu pour l'avoir déjà vue, mais pas avec une telle intensité.

Il est subjugué.