LA RAISON DU PLUS FORT...(juin 834)Furlan Church

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La vie n'est plus la même sans Clem

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La vie n'est plus la même sans Clem...

On fait semblant, mais on le sait bien au fond.

C'est pas que Egon soit un mauvais chef, le dernier raid s'est mieux passé - pas de fusils planqués - cette fois, mais on marche à la dure. On rit moins, on sort moins ensemble. C'est comme si on vivait tous dans notre bulle, séparés les uns des autres. Hagen est encore bouleversé par la mort de Gernot ; c'était son meilleur ami.

Egon nous permet de tenir en nous gardant les pieds sur terre. Il veut recruter de nouveaux membres et ne cesse de répéter que Clem voudrait pas nous voir comme ça. Il est le dernier à l'avoir vu en vie, et comme j'étais pas là durant l'assaut - Clem m'avait ordonné de rester en arrière -, j'ai pas trop compris ce qui s'est passé. Apparemment, Clem s'est pris une balle dans le pied d'abord, puis le type lui a tiré une salve de chevrotine dans la tête avant que Egon lui rende la pareille. Je me souviens des détonations... J'avais jamais entendu le bruit d'un fusil avant.

Les fusils, on les a gardés. Ainsi que les chevaux.

La charrette s'était tirée très loin, il a fallu marcher pour la retrouver. Des mendiants l'avaient déjà prise d'assaut. On y a mis les corps de Clem et Gernot. Gern avait encore figure humaine, mais Clem... Son visage était plus qu'une bouillie... Je suis allé gerber après avoir vu ça... Ce que je me suis dit après coup, c'est qu'il avait pas dû souffrir...

J'ai voulu organiser une veillée pour eux, mais elle a pas duré bien longtemps, les cadavres posent un gros problème sanitaire dans les bas-fonds. Mais tout le monde de la truanderie a appris la nouvelle, et quand on a décidé de brûler les corps, sur les hauteurs du quartier nord, là où c'est autorisé, quelques autres sont venus assister au spectacle.

La bande de Kayetan, avec laquelle on avait de bonnes relations, s'est montrée navrée pour nous. C'étaient de chics types, réglos et tout, qu'ils disaient. Kayetan en personne m'a mis la main sur l'épaule pour me réconforter, car j'en menais pas large. J'étais celui de la bande qui avait le moins de réticence à montrer son émotion ; les autres serraient les lèvres et mettaient un point d'honneur à ne pas pleurer. Les mecs pleurent pas, c'est ce qu'on nous a tous appris.

Mais quand les flammes ont commencé à monter et que l'odeur de chair brûlée a envahi le coin, je me suis laissé aller pour de bon. Rien à foutre si on me prenait pour un bébé. Quand on perd un ami, on a le droit de faire ce genre de chose. Merde, les bas-fonds avaient pas fait de moi un monstre ; non, pas encore. Je crois que Hagen m'a suivi sur ce coup.

D'autres spectateurs, plus dispersés, sont venus près du brasier. Il y avait une silhouette, que j'ai tout de suite identifiée, qui s'en ait approché plus que les autres. Celle de Livaï. Il se découpait très nettement sur le flamboiement du feu, et s'en est approché de vraiment très près... si près que j'ai cru à un moment qu'il allait se jeter dedans. Mais non, il est resté là, immobile, les mains le long du corps, les cheveux voletant au souffle des flammes. Il devait avoir tellement chaud...

Je me suis déplacé pour voir son visage, pour m'assurer s'il disait quelque chose ou pas. Il me semble avoir vu bouger ses lèvres, mais avec les jeux d'ombres, j'ai pas pu être sûr... Quand il s'est détourné, il a volontairement dirigé ses pas vers nous, Fester, Egon, Hagen et moi. Je me suis dit qu'il voulait peut-être nous dire quelque chose, un mot gentil, vu qu'il avait bien connu Clem - enfin, d'une façon qu'aucun d'entre nous ne pouvait imaginer -, mais il s'est planté devant nous, le visage tout aussi impassible, les yeux fixes. Enfin, pas tout à fait.

Ses yeux étaient posés sur Egon. Et sur sa bouche, on discernait un pli de colère, non, de haine pure. Tout ça transperçait Egon comme des poignards, et après deux minutes de ce face à face silencieux, Livaï a désigné ses yeux avec ses deux doigts puis les a pointés sur Egon. J'ai eu l'impression qu'il se ratatinait, et je peux dire que c'était impressionnant. Egon a commencé à danser d'un pied sur l'autre. Livaï ne s'est décidé à lever le camp que lorsque Egon en a détourné son regard.

Je n'ai pas compris ce qui s'est passé ce soir-là. Le reproche silencieux sur le visage de Livaï... Non, même aujourd'hui, je veux pas m'interroger sur son sens. Est-ce qu'il nous reproche de pas avoir protégé Clem ? Ou de l'avoir tué ? Non, il peut pas penser ça... Sa haine semblait tout entière tournée vers Egon, pas vers nous autres... Qu'est-ce qu'il sait qu'on ignore ? Est-ce que Egon serait... ?

Non, c'est pas possible, il aurait pas fait ça. Clem était son ami. Même s'ils avaient des hauts et des bas, ça explique rien. Il peut pas avoir tiré dans le visage de Clem ; il peut pas avoir fait ça et se tenir là, à nos côtés, en nous répétant chaque jour à quel point Clem était formidable et combien il a à coeur de continuer son oeuvre.

Mais maintenant que j'y pense... Egon avait un fusil... et la dernière détonation a retentit longtemps après les autres. Je m'en souviens très bien... Egon... il était seul avec Clem...

Non, Furlan, laisse tomber, ça mène à rien de se poser tant de questions. Clem est mort et on le ramènera pas. Continuer à y penser ne sert à rien d'autre qu'à se rendre encore plus triste...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant