Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

ADIEU, MON FRERE...(mai 844)Furlan Church

Je... Non. Isabel... C'est pas...

Je suis là, impuissant, en train de regarder ce putain de titan dévorer le dos de son semblable... Mais je sais qu'il y a Isabel entre eux deux, que c'est elle qu'il visait... Je veux pas imaginer... comment tu as fini, ma belle... la peur que tu as dû ressentir en sachant qu'il venait sur toi et que je pouvais pas t'aider...

Je pousse autant que possible avec ma jambe libre, mais mon canasson doit être mort sur le coup car il bouge plus. Quand ce titan a surgit du brouillard devant nous, il a poussé un hennissement, s'est cabré et a frémit de tout son corps avant de tomber en m'entraînant avec lui. Serait-il mort de peur ? Même ces animaux surentraînés ont leurs failles...

Allez, faut que je me dégage. Isabel est peut-être encore vivante... Les deux titans s'affalent devant moi et le choc de leur chute soulève le corps de mon cheval. Je suis libre ! Mais Isabel... Le titan a la face couverte de sang, de sang humain... Le sang d'Isabel... Pitié, pourvu qu'elle ait pas souffert...

Je me sens sonné mais mon instinct de survie reprend le dessus. Je vais vous faire payer, bande d'enfoirés ! Je dégaine mon épée et tente de me relever. Une douleur fulgurante traverse ma cheville ; elle est cassée... Je peux que clopiner... Mais il me reste le dispositif ; si je suis adroit, je peux leur faire la peau même blessé ! J'actionne la manette du câble...

Quoi ?! Merde, c'est une blague ? Il se passe rien ! La manette des gaz... Pareil ! C'est vraiment de la camelote, ce matos ! Me lâcher maintenant ! Je suis au sol, je peux rien faire, même pas courir ! Le cheval d'Isabel ! Où il est ? Si je peux l'attraper... Mais je le vois nulle part, il a dû se barrer, il est pas aussi con... Mon dispositif s'est abîmé suite à la chute, je vois pas autrement...

Le colosse tend son immense main vers moi, pour me saisir. Putain, je vais mourir... Juste à cet instant, une gerbe de sang explose dans son dos et je vois Faragon surgir de derrière lui, les lames sanglantes ! il est venu à mon secours ! T'es un type bien, finalement !

Il me hurle de trouver un cheval et de déguerpir. Mais c'est pas fini, le brouillard lui a masqué l'autre titan. Je m'apprête à le prévenir de faire gaffe, avec ma patte folle, mais je m'y prend trop tard. Le titan l'attrape d'un geste brusque et Faragon crache du sang à son tour. Je peux rien faire ! J'actionne de nouveau frénétiquement les manettes mais sans résultat. Le monstre enfourne Faragon dans sa gueule ; je le vois disparaître lentement, trop lentement... il ne lutte même pas, contrairement à Sairam... Il y a une grande lassitude sur son visage,et il ferme les yeux, attendant la fin...

Je vais y passer. Livaï doit être loin maintenant. Il sait rien de ce qui se passe. Il nous retrouvera pas... On a échoué, on a pas été dignes de ta confiance... Je reste là, appuyé sur mes lames bien plantées dans le sol, dans l'attente que l'un d'entre eux me remarque. J'ai plus envie de lutter... C'est de ma faute ce qui arrive ; pas de la tienne, Livaï, ni de celle de Smith. Depuis le début, ça a toujours été moi...

Je ferme les yeux et je revois quelque chose que je pensais avoir oublié. La première fois où tu m'as parlé, quand je tenais l'étal au marché noir ; Clem était juste derrière, dans la réserve, et quand tu es parti, il m'a demandé comment je te trouvais. Tu sais ce que je lui ai dit ? Que tu avais l'air d'un type pas fréquentable ! Il a rigolé en me répondant que je me trompais lourdement ! J'ai pas compris tout de suite, mais je pense qu'il t'aimait vraiment... Et toi, tu l'aimais, Livaï ? Je te l'ai jamais demandé, je me suis toujours dit que tu trouverais ça déplacé... Ah ah... Comme c'est bizarre de se poser ce genre de question maintenant, au moment de mourir...

J'ouvre les yeux, le titan est toujours là, devant moi. C'est à peine s'il a bougé. Pourtant il me semble que du temps s'est écoulé... Ma jambe me fait si mal... Allez, approche, enflure ! Il sera pas dit que j'aurai pas tenté de me sauver ! Ma jambe... Alors j'entends mon nom hurlé de loin.

C'est toi. Tu approches à grande vitesse de nous, mais tu es trop loin. Tu arriveras pas à temps. Je sens déjà son énorme paluche m'encercler, m'enserrer... Je peux plus lutter... Isabel, ils ont eu Isabel, Livaï... La petite... notre petite soeur... Je perçois le son de tes câbles qui se tendent et se rembobinent rapidement... pas assez... Le titan me soulève, il va me gober... Espérons qu'il va pas trop me mâcher...

Je tourne la tête vers toi... Trop tard... On se regarde une dernière fois... Une détermination farouche se lit sur ton visage. Tu es fait pour vivre, Livaï. Pas comme Isabel et moi. Tu dois vivre, coûte que coûte. Pour te souvenir de nous. Qu'importe ce que tu feras par la suite, si tu décides de te venger de tous ces titans ou de faire ta vie bien tranquille, je serais toujours avec toi... Je ne peux que te saluer de la main ; un salut ordinaire, comme pour dire "à plus tard", mais non, je veux pas... T'as pas intérêt à mourir. T'es pas prêt à nous rejoindre encore ; t'as trop de choses à faire. Moi, j'ai eu la vie que j'ai voulue...

Le titan m'engloutit à moitié. Livaï est plus dans mon champ de vision. Je sais que tu essaies encore de me sauver, mais laisse tomber. Pense plutôt à toi. Je sens les dents s'enfoncer petit à petit dans mon dos, me broyer... Je perds pas connaissance, je sens chaque fibre de mon corps céder, se déchirer, et mon sang coule au fond de cette gorge pestilentielle... J'entends des gémissements monter des entrailles de ce monstre... des plaintes humaines... Cette gorge est un abîme...

Si je revoie Clem là où je vais, je lui dirais qui tu es devenu. Il sera fier. Je dois aller tenir compagnie à Isabel ; elle déteste être seule, la pauvre... Je t'en prie, Livaï , vis pour nous... Et oublie pas : c'est pas de ta faute...

Je suis heureux de t'avoir rencontré. Adieu, mon frère...