LES AILES DE LA LIBERTE(mars 844)Livaï

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J'étouffe

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J'étouffe... Heureusement que mon estomac est trop noué pour que je puisse gerber...

La sensation de l'eau qui me coule dans le cou est plus que désagréable. Elle fait partie de tout un ensemble d'éléments que j'aurais pas cru possibles seulement une heure plus tôt... Me faire choper par ces fumiers, me faire délester de mon harnais, me faire mettre à genoux, et enfin me rouler dans cette crasse immonde dont je veux même pas imaginer la provenance... Voilà comment résumer la situation. Ma vie vient de changer du tout ou tout. Je me sens tellement sale et humilié que je dois me mordre l'intérieur de la bouche jusqu'au sang pour pas que ça se voit.

Et je lui ferais pas ce plaisir, à cette grande perche. Il a beau me regarder de haut sans peur et me parler avec son ton condescendant, il sait très bien qui je suis. Et je sais très bien ce qu'il est : un putain de fonctionnaire qui a pété dans la soie toute sa vie et qui sait pas ce que c'est que de vivre sur un tas d'ordures. C'est Isabel qui vient de le lui crier, avec sa franchise habituelle. Brave fille, t'as tout bon. Je lui aurais bien dit moi-même mais je lui décrocherai pas un seul mot. Ce sale type pense sans doute que des truands comme nous n'ont aucune manière, et n'ont droit à aucun égard.

Il veut nos talents ? Qu'il compte pas là-dessus, jamais il aura quoi que ce soit de moi. Furlan, tu peux lui dire, si tu veux. Si toi et Isabel vous voulez vraiment devenir des explorateurs, grand bien vous en fasse, mais moi, je bouge pas. Rien que l'idée de me réveiller tous les matins avec cette grande perche dans les parages me file la nausée...

On nous a rien appris, tocard, on s'est débrouillés tous seuls. T'as entendu Isabel ? Alors fous-moi la paix maintenant ! Ton copain s'est bien assez défoulé, non ? Vous prenez bien votre pied à nous brutaliser, bâtards !?

Le voilà qui se ramène plus près. J'y crois pas, j'ai beau le mitrailler des yeux, il détourne pas la tête. C'est qui, ce type ? Baisse les yeux devant moi, putain ! Et il se paie le luxe de me demander comment je m'appelle ! Pour qui il se prend ? Il se croit le patron, ici ?! Si tu penses que je vais te donner mon nom, t'auras plus vite fait d'apprendre à voler sans ton harnais, connard !

Je sens la main puissante de l'autre grand type se refermer sur ma tête et m'aplatir de nouveau le visage dans la boue... Merde, cette fois, je vais gerber... Essaie toujours, je préfère crever plutôt que de te répondre ! Laisse-moi, respirer, putain ! J'entends de façon sourde les cris d'Isabel - dis pas mon nom ! - mais aussi la voix de l'autre grande perche qui mate toujours la scène sans rien arrêter. Il doit aimer humilier ceux qu'il estime inférieurs à lui. Les gens de là-haut ont des passe-temps plutôt malsains, je le sais bien...

Il me dit qu'il admire ma volonté - ben voyons -, mais que si je persiste à me taire, il va s'en prendre à mes amis. L'enflure ! Tu vas quand même pas les tuer seulement pour avoir mon nom, salaud ?! Il va pas les tuer... Ils sont là pour nous enrôler tous les trois... Mais je peux pas être sûr... Et s'il était venu que pour moi ?... Et Isabel, qui en rajoute en les provoquant, en les mettant au défi de les tuer ! Tais-toi, c'est plus le moment là ! Laisse-moi réfléchir...

Ce type ne pliera pas. Il m'a l'air sérieux... Je peux pas les laisser mourir comme ça... Alors je laisse filer mon nom entre mes dents, comme si j'avais voulu le lui cracher au visage... Mais il est trop loin. Il aurait tout aussi bien pu être à des kilomètres...

Il réduit cette distance et... il s'agenouille devant moi. J'ai juste du mal à y croire... Ces genoux trempent dans la flaque d'eau dégueulasse dont ils se sont servie pour me torturer ; bientôt, une tache de crasse s'étale sur son pantalon sans qu'il ne semble y prêter attention. Je l'entends me parler à voix basse, sur un ton presque intime, mais je le regarde pas ; je reste le visage baissé, hypnotisé par cette tache humide qui s'étend, et je comprends un truc, très rapidement, que j'avais pas envisagé avant.

Ce type a pas peur de se salir. Et ce type me dit qu'il s'appelle Erwin Smith.

Ce nom me donne tout de suite à réfléchir. Tandis que les battements de mon coeur reprennent un rythme normal, et que mes muscles de détendent un peu, je me souviens. C'est lui dont on nous a dit qu'il voulait nous recruter. Et c'est aussi lui que j'ai aperçu dans les bas-fonds l'autre jour, et qui me fixait avec tant d'insistance que je m'en suis senti mal à l'aise. Ces type et Erwin Smith ne font donc qu'une seule et même personne... Il est venu lui-même se charger de la sale besogne. Pour s'occuper de tâches aussi ingrates que descendre dans les bas-fonds et poursuivre une bande de truands, c'est sans doute pas le grand patron du bataillon. Pourtant à le voir, on pourrait le penser...

Il plonge ses yeux dans les miens et fait en sorte que je sois obligé de l'écouter. Il a plus l'air si grand vu d'ici... Son ton a changé par rapport à tout à l'heure, il ne se fait plus menaçant ou autoritaire mais me parle comme à un égal. C'est quoi, l'entourloupe ? Je le regarde aussi vraiment, pour la première fois.

Maman m'a dit un jour qu'on peut juger une personne en regardant seulement ses yeux ; que leur couleur indique si la personne est bonne ou mauvaise. Mais je suis pas très fort à ce jeu... et je distingue pas très bien de quelle couleur sont les siens... Il y a peu de lumière dans les bas-fonds. Mais ils paraissent très clairs... et sa proposition l'est aussi. Il propose un marché. Il doit bien se dire que c'est un terme que je comprends parfaitement. Mais à l'entendre, il doit être habitué à ce genre de procédé...

Voilà ce que je comprends de son discours : il accepte de passer l'éponge sur notre passé criminel - même les brigades spéciales n'en sauront rien - et en échange, nous nous engageons dans le bataillon d'exploration. Nos existences dans les bas-fonds seront purement et simplement oubliées, ce sera comme si nous n'avions jamais vécu ici.

A l'évocation des conditions, je peux pas m'empêche de regarder Furlan à la dérobée. Isabel et lui ont un léger sourire sur le visage et je sais bien à quoi ils pensent. Le moment est venu de réaliser votre plan, hein ? Minute, j'ai pas encore accepté quoi que ce soit ! Ca me paraît un peu trop facile...

Et si on refuse ? Il se passe quoi ?

La grande perche se relève et se met à marcher devant moi, comme si le moment de parfait équilibre entre lui et moi venait de se rompre d'un coup. Le voilà redevenu le soldat arrogant et plein de confiance qu'il était au début...

Si on refuse, nous serons remis aux brigades spéciales, et vu ce qu'on nous reproche, y a des chances qu'on leur serve de défouloir avant de finir sur l'échafaud. Il le dit pas en ces termes, mais c'est bien ce qu'il insinue...

Tiens donc, il veut de notre part une adhésion pleine et entière ? Il veut pas nous forcer à les rejoindre ? Intéressant... Ca peut s'expliquer stratégiquement, il tient pas à ce qu'on se tire en douce en lui plantant un couteau dans le dos en passant... En ce qui concerne le couteau, je peux toujours lui arranger le coup... Ouais, je lui ferais la peau quand j'en aurais l'occasion. Et à son copain aux grandes mains baladeuses aussi. Furlan va pas être content, mais il peut se les mettre au cul, ses documents ! Ce que je veux, c'est la tête de ce Smith ! Et je repartirai pas sans !

Il doit avoir d'autres moyens de s'assurer de notre coopération. Il va pas dévoiler toutes ses cartes, ce serait mal joué...

Arrête de me lancer ce regard inquiet, Furlan. Je vais accepter l'offre de notre "cher" tortionnaire ; un honneur que je lui fais. On me laisse me relever et je peux enfin cracher cet horrible goût de pourriture qui mijotait au fond de ma bouche depuis tout ce temps.

Tu veux jouer, Erwin Smith ? Ok, on va jouer... Mais je te conseille de jamais me tourner le dos...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant