BAPTÊME DE SANG(mai 844)Livaï

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Furlan est bien trop inquiet, il devrait me faire confiance

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Furlan est bien trop inquiet, il devrait me faire confiance. Et Isabel devrait se taire par la même occasion, je vais pas passer ma vie à la défendre de l'autre tocard.

Galoper dans ce vaste espace sans limite m'a mis en joie ce matin. En plus, le soleil a fait son apparition et réchauffe agréablement. De la brume monte du sol, et j'ai aperçu quelques animaux sauvages - des lapins je crois - filer dans une forêt toute proche. Je me demande combien de temps il nous faudrait pour nous retrouver bloqués par un quelconque obstacle, des heures, peut-être des jours. La perspective fout le vertige...

Je me rends compte à quel point le monde dans lequel j'ai vécu, sous terre, était minuscule. Pendant longtemps, j'ai pensé que le monde se résumait aux bas-fonds ; qu'en haut il ne pouvait rien se passer de vraiment important, à part les petites mesquineries des richards, et tout ce qu'on me racontait à ce sujet me paraissait faire partie d'un vaste mythe entretenu pour nous mettre la haine... Je pouvais pas imaginer à quel point j'avais tort, à quel point ma propre vie était finalement minuscule, comparée à tout ce qui se trame ici. Les bas-fonds ne sont qu'une partie infime d'un monde plus vaste qui me dépasse complètement...

Tout ce que je peux faire dans l'immédiat c'est me laisser porter par le moment, et par ceux qui savent comment s'y prendre pour revenir vivant. Aucun titan à portée pour l'instant. On suit une trajectoire apparemment un peu écartée de leur route habituelle, ce qui explique notre tranquillité ; mais je me doute que tout peut arriver, alors je reste aux aguets.

Isabel s'est rapprochée et s'apprête à me dire quelque chose quand j'entends un cri venant de l'avant de la colonne.

Un titan est apparu.

Je ne vois rien de là où je suis, on est trop à l'arrière... Apparemment, ce sont les lignes avant qui vont s'y coller. Faragon nous ordonne de pas bouger et de continuer à escorter le chariot. On arrive bientôt à sa hauteur. Deux anciens sont en train de tourner autour en rond pour tenter de l'attirer...

C'est à ce moment que tout près de nous apparaît un autre titan.

Je suppose que c'est toujours à la fois effrayant et exaltant de se retrouver face à face avec une créature qui a douloureusement bercé votre enfance et qu'on croyait totalement imaginaire. Toutes les histoires que ma mère me racontait, et que le gang inventait pour se faire peur autour de la flamme de la bougie, me reviennent en mémoire, un peu en vrac. Mangeur d'homme, écraseur de corps, infatigable, insatiable, inaccessible à la raison, ce titan aux cheveux noirs et à la face grimaçante qui se dirige vers nous maintenant incarne tout ça.

Une montagne de chair de presque vingt mètre de haut - un gros modèle -, à la physionomie désagréablement humaine... C'est cette humanité déformée qui me fait tiquer en premier. Aucun titan de bois ne peut rendre avec fidélité ce bizarre assemblage de membres difformes mais indéniablement humains qui manque cruellement de coordination... Cet être semble triste et un peu perdu, comme si on l'avait façonné dans le but de se moquer de l'humanité et qu'il avait conscience malgré tout de sa condition misérable.

Je perçois la peur de mes camarades, particulièrement celle d'Isabel et Furlan ; elle fend l'air jusqu'à moi et je peux en respirer l'odeur aussi sûrement que celle de la sueur de mon cheval... Je suis habitué à sentir la peur, je l'ai respirée toute ma vie... La mienne et celle des autres... J'ai appris à la reconnaître chez mes ennemis pour savoir quand frapper au bon moment. C'est pourquoi après l'avoir décelée et fait mienne pendant quelques secondes, je la laisse passer. Elle n'est rien de plus qu'une donnée pour moi, destinée à m'informer que ma vie est potentiellement en danger et que je dois redoubler de vigilance.

Mes muscles se contractent, mon corps se tend, ma respiration s'accélère. Mon champ de vision se rétrécit, comme toujours, pour se concentrer uniquement sur cet ennemi potentiel... qui sort de la forêt et se dirige vers nous. Ses contours se mettent à luire, effaçant tous les autres. Je perçois parfaitement chacun de ses mouvements et sans y penser réellement, j'ai déjà commencé à les analyser.

Je perçois les vétérans des premières lignes qui essaient toujours d'attirer l'attention des titans, en vain. Celui aux cheveux noirs a décidé de faire sa vie et se met à gambader vers nous avec un total manque de grâce... droit sur le chariot qui file pourtant à toute vitesse.

Celui-ci est un déviant. Impossible de prévoir ses mouvements. Mais il est facile de comprendre ce qu'il compte faire. S'il détruit le chariot, c'est la merde.

Faragon envoie trois soldats sur le titan pour l'intercepter. Mon premier réflexe est de m'y précipiter aussi, mais il me manque encore des données avant d'attaquer. Je veux savoir comment ils s'y prennent, juste pour voir si c'est pareil qu'à l'entraînement.

lls plantent leurs trois câbles sur un point différent du géant et se mettent à tourner autour, cherchant une ouverture ; mais les bras du monstre sont toujours en mouvement et empêchent une approche directe. C'est mauvais, ça, il faut l'immobiliser d'abord ; frapper ses jambes, sans doute...

Un premier soldat se fait choper. Le titan l'emprisonne dans sa grosse main et le porte à sa bouche. J'y crois pas, il est réellement en train de le bouffer... Les cris de l'explorateur parvienne jusqu'à nous et je vois Furlan tenter de se boucher les oreilles pour pas entendre... On a beau être à plusieurs mètres, l'ennemi est si grand qu'on voit tout et entend tout dans le détail.

Je peux pas m'empêcher de ralentir en me demandant pourquoi Faragon nous ordonne pas d'aller les aider... Je me passerais bien de son ordre, mais en attendant, je continue de regarder. Pendant que le titan bouffe, immobile, les autres se précipitent sur sa nuque à découvert. Mais le géant se secoue violemment et ses assaillants se retrouvent brinquebalés dans tous les sens. L'un des deux meurt sur le coup, démembré par les secousses du harnais ; le second se fait happé en plein vol et sa tête jaillit d'entre les dents du monstre...

Ce qui reste de l'escouade fait demi-tour ; le chariot continue sa route sans nous. Faragon a enfin décidé de se sortir les doigts du cul ou quoi ?! La moitié de son escouade vient de clamser, et cette tronche de biais est toujours debout ! Il attend quoi pour nous ordonner de monter à l'assaut ?! Je suis prêt, moi ! Et Isabel et Furlan me suivront !

On se met à galoper parallèlement au titan qui a repris sa course derrière le chariot. Ok, ce monstre est joueur. J'ai bien envie de jouer moi aussi...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant