Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

LES AILES DE LA LIBERTE(mars 844)Mike Zacharias

Nous l'avons pris en chasse cette fois. Steffen et Greta se débrouilleront avec les deux autres. Nous devrons nous occuper de celui-ci, Erwin et moi.

Il essaie de nous perdre dans les ruines du quartier nord. Il semble bien connaître l'endroit. Et les manoeuvres tridimensionnelles n'ont plus aucun secret pour lui. Il se permet même des mouvements que je n'ai jamais osé tenter moi-même... C'est de la pure provocation. A moins que ses réserves aient été chargées à plein avant la poursuite, il tombera en rade de gaz dans peu de temps.

Il se dirige vers une arche de pierre et s'apprête à passer dessous. Il faudra plus que ça, mon petit pote... Erwin et moi nous apprêtons à nous engager sous l'arcade à sa suite, mais il prend de la hauteur au dernier moment et plante son câble dans la pierre, ce qui le stoppe net. Je me prends un jet de gaz dans la figure tandis que je corrige ma trajectoire. Il a déjà fait demi-tour et a reprit un peu d'avance sur nous. Erwin ne s'est pas trop fait distancer car il me suivait deux mètres derrière, il a pu davantage anticiper.

On dirait qu'il veut s'amuser avec nous, nous tester. Très bien, amusons-nous.

Je comprends son manège : il essaie de se dissimuler derrière l'architecture anarchique, il espère qu'on le perde de vue. Si cela devait arriver, il lui suffirait de se cacher quelque part, et il y aurait peu de chance qu'on le retrouve. Mais il a oublié un détail : mon flair. Je peux le pister à travers ces bâtiments. Erwin me fait confiance là-dessus.

Il se met à virevolter entre les bâtiments comme un démon, frôlant la mort à maintes reprises sous mes yeux. Il est bon, il y a pas de doute... Où a-t-il appris à faire ça ? Il a forcément été formé...

Il est plus rapide que nous car plus léger... Nous ne l'aurons pas au jeu de la vitesse. Il va falloir feinter. Erwin l'a compris. Il me désigne un des côtés de la rue tandis que lui-même se dissimule dans une autre. Voler en rase-motte est un exercice délicat qu'on enseigne aux recrues seulement quand elles sont douées pour le reste. Mais Erwin et moi sommes doués en tout.

Il est là, quelque part, derrière ces bâtiments. Sans doute caché dans l'un d'eux. Je m'immobilise un moment, pendu à un toit pour renifler la proie. Je n'entends pas de bruit de jet de gaz, il doit s'être arrêté. Il a dû remarquer que nous n'étions plus derrière lui, et avec un peu de chance, il a relâché sa vigilance. Je dois juste déterminer sa position avec exactitude...

Mon odorat me guide vers ce bâtiment en ruine. Je le vois ! Il le traverse en passant par les murs éboulés et les fenêtres béantes. Bien joué, mais je sais comment te choper maintenant. Je prends de la hauteur pour me placer au-dessus de lui. Il m'a sans doute vu mais il s'est coincé tout seul dans un couloir dont il ne peut sortir. Tu as encore des choses à apprendre, petit. Il n'y a aucun obstacle sur ma route et je le prends de vitesse. Seul le plafond à moitié détruit de la grande bâtisse me sépare de lui. A la première occasion...

Il se glisse par une ultime ouverture qui le fait sortir de la maison et tente de m'échapper en lançant son câble. Erwin parvient presque à l'intercepter, mais à tout le moins, il sectionne son filin. Trop tard, le truand a déjà réussi à gagner un autre bâtiment. Cette fois, je vais pas le rater. Et je vais pas attendre qu'il sorte. Je vole juste au-dessus de lui, je sens son odeur. Je ne décèle aucune peur dans cette odeur, juste le sel de la sueur et autre chose, comme un léger parfum d'excitation... On dirait que ça lui plaît...

Il passe sous une autre arche de pierre, suffisamment vieille pour que je puisse tenter de passer à travers... J'oriente les gaz pour me propulser à travers la pierre, et je tombe littéralement sur lui. Il ne s'y attendait pas mais ne se démonte pas pour autant. Il tente de me déséquilibrer avec son bras et je l'envoie bouler dans une pile de caisses délabrées qui devaient patienter ici depuis des années. Il effectue un saut périlleux arrière pour se rétablir - jamais je n'ai vu qui que ce soit faire ça avant ! - et se met en garde avec une petite lame sortie d'on ne sait où.

D'un seul balayage de sa lame minuscule, il envoie voler au loin mon épée, et j'ai à peine le temps de réaliser que je dois dégainer l'autre qu'il est déjà sur moi ! Jamais je n'ai affronté quelqu'un d'aussi rapide !... Je vois l'éclair de sa lame se précipiter sur moi...

Mais elle ne m'atteint pas. Alors que je me voyais déjà en mauvaise posture, Erwin plonge du haut des airs et s'interpose entre nous deux. Il bloque le couteau de ses lames croisées et repousse le truand en arrière. Pendant ce temps, par réflexe, je sors mon pistolet et envoie une balise de fumée pour signaler notre position - Greta et Steffen ne seraient pas de trop face à cette furie miniature...

Surpris, le truand nous refait un de ses sauts dont il a le secret - il doit pas être humain... - et se prépare à affronter Erwin. Mais mon chef se rue sur lui de toute la puissance de ses propulseurs et réussit à l'arrêter, la lame posée sur sa gorge. La main du truand crispée sur le poignet d'Erwin, et celle d'Erwin immobilisant le bras armé du couteau en l'air, j'en suis à me demander ce que je peux faire quand Steffen et Greta surgissent derrière moi.

Ils ont capturé les deux compagnons de ce nain démoniaque. Voilà une bonne chose de faite, et qui devrait faire pencher la situation en notre faveur ; si ce type est pas trop bête...

Je vois Erwin dire quelque chose au truand et celui-ci regarde ses deux amis, avant de finalement lâcher son couteau. Il baisse les mains pour montrer qu'il se rend. Enfin... je commençais à manquer de souffle...

Je sais bien qu'il faut pas se fier à ce qu'il nous montre ; il suffit de regarder son visage crispé et ses yeux assassins pour se rendre compte qu'il a pas dit son dernier mot...