Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

COMMENT DEVENIR UN EXPLORATEUR ?(mai 844)Furlan Church

Nous voici en route pour l'inconnu. Vers ce Mur Maria, qui semble être le point de mire de tout le monde ici. L'ultime rempart entre les titans et nous...

Nous avançons en rangs un peu désordonnés, les chefs d'escouade en tête avec le major Shadis. Smith est là aussi, sur son grand cheval blanc. Avant qu'on décolle, il me semble l'avoir vu planquer quelque chose dans sa veste, mais je suis pas sûr... Depuis, ça me turlupine. Je suis bien le seul. Isabel et Livaï ne partagent pas leurs pensées avec moi. C'est comme si nous étions chacun murés en nous-mêmes, en tête à tête avec nos peurs et nos attentes.

C'est mon cas. La peur, oui, je le ressens. Car on a beau avoir eu de bons résultats à nos tests, je sais que ces exercices ne doivent refléter que de très loin la réalité. Les titans deviennent de plus en plus tangibles... Peut-être va-t-on enfin les apercevoir. Je doute de me montrer aussi émerveillé que le chef Hanji...

Le ciel était encore ombre quand nous sommes partis. Après une heure de chevauchée, il s'est éclairci, et il n'y a pas un nuage en vue. Pour quelqu'un comme moi, se soucier de l'apparence du ciel a quelque chose de comique ; j'avais très bien vécu jusque là sans m'en soucier. Mais lever les yeux en l'air chaque matin m'est à présent devenu familier. Comme un genre de réflexe naturel qui devrait être un droit pour tout être humain...

Il flotte sur les plaines un parfum étrange, celui de fleur mêlée à la rosée matinale. Il a dû pleuvoir cette nuit car les sabots de mon cheval soulève des gerbes d'eau. Le bruit que produit l'herbe mouillée est bien près de me rendormir... Pendant un moment, j'oublie le bataillon et je m'imagine chevaucher avec des êtres fantastiques par-delà des collines verdoyantes... Typiquement le genre d'histoire qu'Ilsa aimait... Moi aussi d'ailleurs...

Quand je me concentre de nouveau sur la course, le Mur Maria, l'ultime protection érigée par l'humanité pour se préserver, se dresse devant nous. On doit traverser une petite bourgade avant de l'atteindre. Ce sont essentiellement les familles des membres de la garnison stationnés ici qui y vivent. Ils nous accueillent, avec leur équipement 3D qui prend la poussière, uniquement là pour rappeler leur statut. Ils imaginent pas un instant devoir l'utiliser un jour. Je vois un groupe sortir d'un petit poste de garde ; ils étaient attablés et jouaient aux cartes. Ils nous regardent passer avec sur le visage un air un peu inquiet, ou ennuyé.

Nous sommes très loin de pouvoir nous montrer si insouciants. Demain, nous serons de l'autre côté de ce Mur, tandis qu'eux seront bien au chaud dans leurs lits. Je remarque que Livaï n'apprécie pas trop le coup d'oeil qu'ils nous ont jeté. Il se renfrogne un peu plus, tandis que le major informe le chef de la garnison qu'on leur a demandé de procéder au nettoyage des canons.

On m'a expliqué hier pourquoi il était nécessaire d'y procéder avant toute sortie. Quand le bataillon part et revient d'expédition, il n'est pas rare que des titans traînent dans les parages. Les canons sont alors nécessaires pour les neutraliser et procéder ainsi à l'ouverture et à la fermeture des portes sans danger. Ils doivent donc être en parfait état de marche.

Nous passons sous le Mur Maria, traversant des champs de magnifiques fleurs bleues, par l'arche de Shiganshina, la ville la plus au sud du territoire humain. Bien qu'il s'agisse d'une des villes les moins riches, elle paraît malgré tout plus sûre et prospère que les bas-fonds. Les gens qui vivent ici ont bien conscience que si le Mur venait à faire défaut, ils seraient les premiers à finir sous les crocs des titans. Alors on discerne sur les visages comme une sagesse résignée, et un secret espoir aussi. Ici, les gens aiment le bataillon d'exploration ; les enfants nous regardent passer avec admiration, les adultes poussent des exclamations en nous souhaitant bonne chance pour l'expédition, comme si notre heure avait déjà sonné. Il répèteront sans doute ce manège demain, en criant plus fort. Malgré moi, ceci me donne un peu de courage...

Une petite fille se met à marcher parallèlement au cheval de Livaï et il baisse les yeux sur elle. Progressivement, peut-être par pitié ou simple gentillesse de sa part, il ralentit sa monture pour que la petite n'ait pas à courir. Elle le regarde avec un grand sourire et des yeux brillants, sans pouvoir s'en détacher. Isabel se met à rire devant la scène, mais Sairam la corrige en lui annonçant que nous arrivons au Mur de Shiganshina et que nous devons bien nous conduire. La mère de la petite fille accoure enfin pour la retenir et la gamine fait un geste de la main à Livaï, qui ne lui répond pas.

Les choses sérieuses s'annoncent, mon gars. Une fois qu'on sera sur ce Mur, on verra enfin ce qu'il y a à voir, on saura ce qu'il y a à savoir. Je vais enfin arrêter de me tourmenter dans le vent et me focaliser sur du concret.