UNE FLEUR DANS LES BAS-FONDS(avril 842)Livaï

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Voler tous les trois me rend encore plus heureux

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Voler tous les trois me rend encore plus heureux. Qu'on ne compte pas sur moi pour le dire de vive voix, mais c'est ce que je ressens. D'un duo, nous sommes devenus un trio. Et je nous sens invincibles.

Quand nous avons mené le dernier raid à nous trois, Isabel s'est très bien comportée. Elle est aussi habile que nous, ça ne fait plus aucun doute. Elle n'est certes pas très futée, mais son innocence a le don de nous faire sourire ; même moi, oui. Tout a toujours l'air nouveau pour elle et elle s'émerveille d'un rien.

Quand on l'a emmenée au puits de lumière pour relâcher son oiseau, c'est presque si elle s'est pas mise à pleurer. Je sais pas trop pourquoi... Parce que ce volatile lui a rappelé le fait que nous n'étions pas dotés de vraies ailes, comme lui, ou parce qu'elle a brusquement réalisé que le monde vers lequel il retournait nous serait sans doute à jamais inaccessible ? Sans doute un peu des deux. Que ça nous empêche pas de prendre les derniers rayons de la journée, je lui ai dit.

Elle se montre quand même imprudente et on doit souvent la tirer de mauvais pas. Comme la dernière fois où j'ai dû m'en mêler. Mais elle peut compter sur toute la bande. C'est la plus jeune et tout le monde la protège. Cependant, elle a un rapport particulier avec Furlan et moi. Furlan a eu une petite soeur jadis, morte de la peste, il me l'a raconté ; donc il sait comment se comporter avec une jeune fille qui l'adule. Pour ma part, c'est un peu plus difficile. Je ne sais pas toujours comment réagir au mieux à ses démonstrations d'affection ou ses crises de colère - quand elles arrivent - sans la blesser. Mais je dois bien m'y prendre car elle ne me fuit pas et cherche même ma compagnie.

Je n'ai pas toujours envie qu'elle soit dans mes pattes, quand je lis par exemple. Isabel ne sait ni lire, ni écrire, ni compter, c'est donc une occupation qu'elle ne comprend pas toujours. Furlan a essayé de lui apprendre à compter, mais elle est pas très assidue. Mais quand elle me tombe sur le dos ou m'ébouriffe les cheveux, j'ai pas envie de la rabrouer. C'est sa manière à elle de dire qu'elle est là. Elle fait partie de ces gens qui ont besoin de se montrer expansifs pour prouver qu'ils existent. Un peu tout le contraire de moi, en somme.

J'avais peur que la cohabitation me soit pénible, mais finalement, je m'y suis fait. On est très différents tous les trois, c'est vrai, mais ça veut pas dire qu'on peut pas s'entendre. Et Isabel peut aussi être prévenante. Quand elle me propose son pain en voyant que je décide de pas manger, ou quand elle me masse les épaules après un raid difficile. Elle masse très bien, je dois dire. L'utilisation du harnais 3D est douloureux pour le corps, elle ne s'en rend pas encore compte car elle ne l'utilise pas depuis très longtemps. Mais ça viendra, et quand ce sera le cas, c'est nous qui la masserons pour la soulager.

Elle est très complice avec Furlan, mais avec moi elle garde une distance presque respectueuse, comme si le moindre de mes gestes était un exploit à ses yeux. Elle m'appelle toujours "frangin", et je sais qu'elle raconte à tout le monde à l'extérieur du gang que je suis son grand frère. Ca me faisait chier au début, mais après tout, elle pense pas à mal. Elle rêve sans doute d'une famille, comme pas mal d'entre nous. La mienne, si j'en ai jamais eu une, est un vague souvenir. Je dis pas que je pense jamais à Kenny, mais ça me rend triste, car je finis par me dire qu'il est mort. Quant à maman, il me suffit de toucher son foulard pour la sentir près de moi.

Parfois, quand je suis là-haut, au-dessus des toits, aussi libre qu'on puisse l'être dans cette prison souterraine, je me demande si elle me regarde... si elle serait fière de moi...

Isabel est une fille très empathique, et qui sait quand quelqu'un va mal. Quand je vais mal...

L'autre nuit, j'ai pris le risque de m'endormir et j'ai dû faire un cauchemar et m'agiter dans mon sommeil. Je me suis réveillé avec Isabel endormie à côté de moi, roulée sous la couverture et une main sur ma tête. Je peux pas dire que ça m'a pas surpris, mais ça m'a pas du tout fait l'effet que me ferait en temps normal une fille couchée à côté de moi. J'ai juste eu envie de pas la réveiller et de la laisser me montrer son inquiétude. Et de plus, j'ai très bien dormi le reste de la nuit.

Dormir avec quelqu'un me tranquillise toujours, je le sais bien, ça me rappelle maman... Kenny faisait pas ce genre de truc, mais il est venu plus d'une fois à mon chevet pour me rassurer après un cauchemar particulièrement horrible. Et quand il restait juste à côté, sa grande main posée sur l'oreiller près de ma tête, je dormais toujours beaucoup mieux ; malgré le bruit de son ronflement...

Pourquoi ça me touche encore autant de penser à ces choses-là, malgré le temps passé ? Est-ce qu'au fond, je rêve pas moi aussi de me reconstituer une famille ? Un petit groupe de personnes en qui j'aurais toute confiance, avec qui je pourrais rire et pleurer sans me sentir gêné, pour qui je serais prêt à donner ma vie s'il le fallait ? Vivre ici avec eux jusqu'à la fin de mes jours me paraît plus si terrible, surtout depuis que j'ai le harnais.

Finalement, est-ce que je l'ai pas déjà, ce bonheur ?... Pourquoi ai-je l'impression qu'il me manque encore quelque chose ?...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant