LES ENFANTS DE LA PESTE(juillet 833)Livaï

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L'ambiance est festive en ce moment

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L'ambiance est festive en ce moment. J'avais jamais connu un tel bain de vie sociale.

Beaucoup de jeunes se sont retrouvés sans parents après la peste, alors on a pris le contrôle de nos vies. Ceux qui ont eu la chance de garder leur famille se laissent aussi aller à ce tourbillon d'optimisme. Moi aussi. On nous appelle "les enfants de la peste". C'est comme si nous étions tous possédés par une rage de vivre impossible à réprimer ; comme si toutes les vies perdues dans l'épidémie se manifestaient à travers nous... On a réellement l'impression d'avoir une chance de tout recommencer, en mieux ; que les bas-fonds pourraient réellement devenir un lieu de vie pas trop moche. Cependant, je suis pas aussi idéaliste que certains. Il suffit d'en écouter parler quand ils ont quelques verres dans le nez pour se rendre compte qu'on a affaire à la même bande de ruffians qu'autrefois.

Les vieux gangs qui prenaient toute la place ont disparu ; que leurs membres soient morts où aient fui d'une façon ou d'une autre, on s'en fout pas mal. On a de la place et on va la prendre. En ce moment, les journées sont bien occupées, avec la reconstruction des bas-fonds qui a débuté il y a pas mal de temps. Les entrepreneurs ont pas hésité à utiliser la main d'oeuvre locale, et on a presque tous un boulot en ce moment. Un boulot honnête. C'est sûr que ça durera pas, et qu'il faudra retourner au charbon comme avant, mais en attendant, on gagne suffisamment d'argent pour s'amuser un peu.

Deux bordels ont réouvert leurs portes, une grande épicerie fournie par un marchand du dessus, et quelques troquets pour ceux qui aiment la gnôle ; pas moi, je rappelle. Ils ont eu beau me traîner là-dedans des tas de fois, ils ont jamais réussi à m'y coller. C'est définitivement pas pour moi.

Eux, ce sont mes compagnons de chantier. Pour la plupart, je les connaissais déjà d'avant la peste ; les autres viennent d'autres quartiers. Quand on a commencé à se foutre de moi à cause de ma petite taille, ceux qui étaient au courant ont bien fait de prévenir les autres sur ma réputation. Ceux que ça avait pas convaincus ont juste eu besoin de me voir soulever des charges trois fois plus lourdes que moi pour comprendre à qui ils avaient affaire.

Je ne les côtoie pas plus que ça. On nous a gracieusement offert des logements dans le quartier est, à moitié rebâti, et on vit tous un peu dans notre coin. Certains forment déjà des petits gangs, ou se préparent pour l'avenir. Le nouveau service d'ordre a l'air de s'en foutre royalement, pourquoi ils s'en priveraient ?

Quand la journée est finie, on se retrouve dans les bars, pour jouer aux cartes, au billard, bref des tas de distractions qu'on connaissait pas encore. D'autres préfèrent le bordel, mais moi j'y mettrais jamais les pieds. Jamais je paierai une fille pour faire ça. J'ai ma fierté. Les filles, ouais, parlons-en. Y en a pas tellement de notre âge sur le chantier ou dans les rues, ce sont toutes des filles à papa ou des putes. Des vagabondes, dans le genre de Betti, prêtes à intégrer un gang, ça se fait rare. Y en a bien quelques unes quand même, et elles sont pas farouches. Je fais bien attention, je sais qu'on peut attraper des mômes si on fait pas gaffe. Et puis, elles sont toujours là à vous regarder en espérant que vous allez leur promettre des tas de choses... C'est plus mon truc, les grands sentiments. Faut pas qu'elles s'imaginent quoi que ce soit.

Avec les garçons, c'est moins prise de tête, on se comprend mieux et c'est plus... imaginatif. On se plaît ou pas, on sait ce que l'autre veut, on prend du bon temps et on se sépare sans finasser. Et on risque pas de se retrouver père sans s'en rendre compte. Il me manquerait plus que ça... Je dis pas qu'il y a pas de pots de colle des fois, mais ils réalisent bien vite qu'il faut pas l'être avec moi, j'ai tendance à perdre patience rapidement... Je me suis fait harceler pendant deux semaines par Clem, qui se prend pour un chef de gang. Il voulait que je rentre dans la bande. Je lui ai fait comprendre - d'une façon très claire - que c'était pas parce qu'on avait couché ensemble deux fois qu'il fallait qu'il se croit tout permis avec moi... C'est pas un mauvais gars, je lui veux pas de mal. Mais il y reviendra pas.

De manière générale, je me fais très bien respecter. Ce genre de... relations sociales peut être un bon investissement pour l'avenir, on sait pas qui deviendra un caïd ou pas, autant avoir de bons contacts dès maintenant. Kenny m'a appris que c'est important, le relationnel... Bon, ok, il pensait peut-être pas à ce genre de méthode, mais ça me permet de pas me mettre à part. S'il faut choisir entre ça ou se forcer à se saouler à mort pour paraître sociable, c'est tout vu pour moi. Il sera toujours temps de redevenir un solitaire.

Y a bien quelques débordements en fin de soirée, quand ils sont fins ronds et qu'ils décident de faire des raids dans le centre-ville. J'y participe pas. Je préfère me rentrer et me plonger dans un bon livre. Il y a un vendeur de livres maintenant. Si je pouvais aussi me racheter une plume, la vie serait belle. Mais personne en vend dans les bas-fonds. Au moins, il me reste le thé.

Je sais toujours pas qui m'a envoyé tout ce fric, mais j'en ai pas encore dépensé la moitié. Et avec ce que je gagne sur le chantier, j'ai jamais été aussi confortable point de vue finances. Je sais bien que ça changera, je m'y prépare déjà. Si les bas-fonds deviennent plus respectables et les échanges avec l'extérieur plus faciles, je me verrais bien l'ouvrir, mon "salon de thé". J'embaucherai quelques truands pour protéger mon commerce, pourquoi pas... Eh. Doucement. Ca me ressemble pas de m'emballer. Y a toutes les chances que tout ce spectacle soit que de la poudre aux yeux, et que cette taule reste ce qu'elle a toujours été. Je crois pas que les connards du dessus en aient quoi que ce soit à foutre, de notre bien-être. Plus j'y pense et plus je me dis que ça sent pas bon, tout ça. Que c'est trop beau. Il doit y avoir une entourloupe.

J'ai commencé à y penser quand j'ai constaté les nouveaux tarifs pour le passage de l'escalier. Je pensais avoir assez avec le pactole qu'on m'avait si généreusement remis, mais non, c'est devenu encore plus cher. J'aurai pu leur casser la gueule et monter quand même. Mais si c'est pour me retrouver sans papiers et sans contact à la surface, non merci.

Je finis par croire que je sortirai jamais d'ici.

Quoi qu'il en soit, je continuerai de vivre comme ça et à m'éclater avec qui je veux tant que je le pourrais. Je l'ai pas volé.


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant