ENFIN, JE TE VOIS(mai 844)Erwin Smith

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Je reviens de mon entretien avec Keith

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Je reviens de mon entretien avec Keith. Même s'il a eu l'air de prêter l'oreille à mes arguments, je ne peux être sûr du contenu de son rapport.

Je lui ai fait remarquer que la détection fonctionnait merveilleusement bien avant la venue de la tempête. Quelle que soit la formation adoptée en expédition extra-muros, nos chances de succès sont toujours réduites quand le temps s'en mêle. Nos aptitudes étant basées sur la visibilité et la précision, de telles conditions nous mettent en danger. Nous avons des experts qui sont payés pour nous remettre des prévisions climatiques avant les sorties, et elles ont été jugées bonnes avant le départ. Si j'avais eu le moindre doute, le test aurait été annulé.

Bon sang, les pertes auraient été bien pires si les lignes n'avaient pas tenu coûte que coûte les positions attribuées... Seule l'aile droite a eu des problèmes, quelques accrochages et fuites sur notre flanc gauche. Si Keith ne voit que les échecs de ce test, j'en vois aussi les bons résultats. Deux escouades, ce n'est pas si cher payé pour la déroute que nous avons subie.

Je lis toujours les rapports du major avant qu'ils ne soient remis au généralissime, mais je doute d'y avoir droit cette fois. Impossible de prévoir ce que Keith fera lire à Zackley... Et je n'aime pas trop la façon dont il m'a regardé tout à l'heure, comme si sa confiance en moi était ébranlée... Apparemment, je l'ai déçu. Mais je dois me ressaisir. Je crois en cette nouvelle formation, et par beau temps, elle peut faire des miracles. Il faut absolument la tenter de nouveau plus tard. Je laisserai Keith se remettre de cette déconvenue avant de proposer un nouveau test.

Keith a été choqué par tout ça. Il avait mis beaucoup d'espoir dans ma stratégie, aussi cet échec, aussi relatif soit-il, lui paraît immense... Je peux comprendre cela.

Je croise Mike dans le couloir menant à la salle commune. Il me demande comment ça s'est passé, et je lui réponds comme je l'avais craint. Il renifle en me tapotant l'épaule. Ca va, je sais ce que ça vaut, ne t'en fais pas. Des gémissements me parviennent tandis que nous remontons le corridor. Sur ma gauche, une petite pièce où s'entassent les blessés. Les plus graves ne seront peut-être plus avec nous demain... Je serre le poing ; cela n'aurait pas dû arriver. L'infirmier de sortie reste de garde auprès d'eux. Il n'y a rien que je puisse faire.

Le reste de mon escouade a pris ses aises dans un coin de la grande salle. Leur vêtements trempés pendent à un filin tendu pour l'occasion. Les autres soldats ont fait de même, et tous sont emmitouflés dans leur couverture en attendant l'aurore. C'est risqué car en cas d'alerte, ils ne pourront pas s'habiller assez vite. Comme d'autres, je préfère braver le risque d'un rhume plutôt que de me défaire de mon uniforme. De toute façon, j'ai tellement couru partout et me suis tant échauffé devant Keith qu'il est déjà presque sec .

Des reniflements et des éternuement troublent parfois le murmure des conversations à voix basse. Un coup de froid est vite attrapé dans ces vieilles pierres et par un temps aussi humide. Les explorateurs se serrent les uns contre les autres près de petits brasiers allumés pour l'occasion. Le bois provient du chariot. Il ne fera pas le voyage de retour, de toute façon, demain, nous seront rentrés.

Greta et Steffen me confient qu'aucun soldat ne me reproche quoi que ce soit. Je les remercie de leur soutien en m'asseyant avec eux. Ma ration n'a jamais eu aussi mauvais goût, et je l'avale difficilement... Greta m'annonce d'elle-même qu'elle a essayé de s'occuper de Livaï, mais qu'il s'est montré peu coopératif... Ah oui, je l'avais oublié pendant un moment... Où est-il, je ne le vois pas... Greta m'indique un petit recoin sombre et je m'y dirige machinalement, sans y penser. Pourquoi reste-t-il à l'écart ? Il vaut mieux le surveiller...

Je jette un regard derrière le mur et constate l'ampleur des dégâts. La réputation de Livaï en matière de propreté a déjà fait le tour du bataillon ; et la vision de ses vêtements éparpillés par terre, chiffonnés, est sans doute la meilleure preuve de son état d'esprit actuel. Chaotique... Son dispositif traîne aussi en désordre. Livaï disparaît totalement sous la masse de sa couverture et je ne peux m'assurer qu'il va bien. Je pourrais aller vérifier, mais je n'en ai pas le courage ; le droit non plus je suppose. La nourriture que Greta lui a laissée est toujours intacte... Je peux juste espérer qu'il ne fera rien de grave et se laissera vivre au moins jusqu'au lendemain. Il est fort, il ne fera pas ça...

Je me contente de ramasser ses effets en espérant qu'il n'entende rien. Puis je reviens vers mon escouade pour les étendre avec les nôtre ; au moins, ils seront secs au matin. Mike me jette un coup d'oeil entendu mais je lui intime silencieusement de ne rien dire de ce qui s'est passé. Une recrue menaçant de mort un supérieur est passible de prison, et je ne tiens pas à lui imposer ça en plus.

Je tâte avec discrétion la blessure sur mon cou ; encore un peu, et tu me tuais. C'est sans doute le pari le plus risqué que j'ai fait de toute ma vie... Mais j'ai vu juste sur toi.

Je saisis au vol les bribes de la discussion que Steffen a entamé avec Greta. Six titans ? Non, ce n'était pas autant, quatre tout au plus. Mais je suppose qu'il aurait pu en tuer bien plus encore. Oui, Livaï va faire du bataillon un régiment de premier plan. Une petite révolution qui brillera de mille feux.

Je ferais tout pour ça.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant