Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

IL PLEUT DES MORTS(juin 832)Bastian Corbinian, homme de main de Rovoff

Le patron sait ce qu'il fait. Et de toute façon, on est plus à l'abri nulle part. Au cas où je survivrais, autant me faire un max de blé.

On a pas l'intention de descendre là-dessous plus que nécessaire. Ces cadavres ambulants seront faciles à arrêter s'ils tentent de fuir les bas-fonds. On nous a pas demandé de faire autre chose de toute façon ; la criminalité est devenue quasiment nulle depuis que la peste ravage les Murs. Les gens sont plus occupés à survivre qu'autre chose. Tout au plus une poule volée ou un porc crevé pour être bouffés, c'est pas grand chose. Mais le patron voit plus loin. Il pense déjà à après l'épidémie.

Il a de bonnes sources, et on prétend déjà en haut lieu qu'un médoc serait en test dans le Mur Maria. S'il marche, il sera en priorité distribué aux habitants des trois Murs ; s'ils ont le temps, ils penseront peut-être aux bas-fonds, mais le patron fera en sorte que ce soit le cas. Il veut que les pigeons d'ici survivent pour pouvoir mettre en place la troisième phase de son plan.

La première, qui consistait à développer son trafic de drogue sous le manteau, a capoté à cause de ce gang d'amateurs. Ca a pas été plus efficace à la surface, les autorités veillent trop à la santé des bourgeois. Si ces gosses du refuge avaient pas cafardé... Enfin, les chimistes qui bossent sous les ordres du patron sont déjà en train de travailler sur un nouveau produit, tout aussi addictif mais moins mortel afin que ça passe inaperçu plus facilement. C'est presque indécent quand on sait que tous les experts de la branche médicale disponibles planchent sur un remède à cette saloperie qui tue tout le monde. Mais il faut penser à l'avenir.

La seconde phase du plan était de s'emparer de l'autorité des bas-fonds et de nous y implanter durablement afin de pouvoir y faire ce qu'on veut ; ça, c'est fait maintenant.

Si cette épidémie est éradiquée - et le patron croit qu'elle le sera -, la troisième phase consiste à garder le contrôle de l'escalier et de gérer les droits de passage afin de se faire un max de fric. L'Etat demandera sûrement sa part mais le prix sera tellement élevé qu'on le sentira même pas ! On fera aussi raquer les rupins qui voudront se payer un voyage exotique en bas, y a pas de raison. Ils seront pas contre, là-haut : les dommages de la peste seront tellement conséquents à réparer qu'ils cracheront pas sur cet argent.

Une fois que tout sera bien rôdé, le patron installera ses propres trafics dans les bas-fonds et recrutera des jeunes pour former des gangs à sa solde. Il graissera peut-être la patte de quelques fonctionnaires trop curieux, et ce sera bien. Il faudra juste faire en sorte que les autorités officielles mettent le moins possible leur nez dans les bas-fonds.

La clef de la réussite, c'est que cette épidémie soit éradiquée au plus vite afin que la jeunesse des bas-fonds puisse servir nos intérêts plus tard. Mais il faudra aussi faire en sorte que d'honnêtes gens restent en vie, pour qu'ils gardent l'espoir de sortir d'ici. D'après le dernier recensement de la garnison - ils ont fait du bon boulot jusqu'au bout, ça, on peut pas le nier -, presque la moitié de la population des bas-fonds a clamsé déjà. On se serait attendu à pire, apparemment, ils ont fait les choses du mieux possible pour éviter l'hécatombe. Tant mieux, ça fera plus de pigeons à plumer quand la vie sera revenue ici.

Ca va être l'heure de la distribution de pain. On doit s'y coller aussi, ça fait partie du contrat. Le patron estime qu'on devrait leur donner plus que ça, un bout de pain par jour, c'est insuffisant. Il est déjà en pourparlers avec un riche commerçant du nom de Reeves pour voir si on peut pas y remédier.

Même si les temps sont plus que durs, il faut bichonner la future poule aux oeufs d'or autant qu'on peut.