LA RAISON DU PLUS FORT...(avril 834)Livaï

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Je me porte bien, point de vue finance

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Je me porte bien, point de vue finance. Faut dire que je me contente de peu, en ce qui concerne la nourriture et les loisirs. Quand j'ai l'impression de trop tourner en rond, je sors et je vais observer la foule.

Et je pense à des tas de trucs.

A ma vie d'abord. Je peux pas dire que je me sente seul - j'aime être seul -, mais avoir de la compagnie, seulement quand je le veux, ça reste agréable. Et puis il m'arrive de me sentir encore plus seul quand je suis entouré de monde... Je me suis toujours senti curieusement détaché de tous les autres, enfermé dans mon corps et dans ma tête. Même quand je fais l'amour, je ne donne presque rien de moi. Je sais trop ce qui finit par arriver quand je m'attache aux gens... Ils meurent ou se tirent et me laissent derrière, je veux plus de ça. Je suis le seul qui décide de ma vie, et ça me va. Je laisserai personne me dire ce que je dois faire.

Et ça me remet Clem en mémoire... Pour son dernier raid, il m'a presque supplié de leur donner un coup de main, au cas où ça tournerait mal ; pas pour tuer, juste s'assurer que le pigeon pose pas de problème. J'ai refusé. Je savais très bien où il voulait en venir. Car si j'avais pris part au raid, j'aurai demandé à être payé en retour sur le bénéfice des ventes, ce qui m'aurait propulsé dans la bande de gré ou de force. Peut-être même que j'aurai cédé... s'il avait été encore plus persuasif...

Putain, j'ai le cerveau en vrac en ce moment, je sais plus trop ce que je dois penser...

Je les envie parfois, quand je les vois rigoler tous ensemble, bras dessus bras dessous. Ils ont l'air de pas avoir peur de l'avenir et de se soutenir les uns les autres. Même cet imbécile d'Egon, à qui j'ai mis une raclée, a l'air d'avoir retrouvé la confiance des autres. Clem devrait se méfier quand même...

J'ai compris, dès notre première rencontre, qu'il était quelqu'un de bien. S'il l'avait pas été, je l'aurais envoyé balader. Je lui ai dit des choses que j'avais jamais dites à personne. Quand je lui ai raconté que Kenny l'Egorgeur avait été mon tuteur, il en revenait pas. Mais il a rien remis en doute. Je crois que c'est ce qui m'a plu chez lui ; cette totale confiance qu'il avait en moi au point de croire absolument tout ce que je lui disais sans condition. C'est pas quelqu'un à qui on a envie de mentir. Et son rire est tellement franc, tellement vrai... Il me rappelle celui de Betti... Il a beau être plus vieux que moi, il me donne toujours l'impression d'être beaucoup plus innocent...

En tout cas, hormis Egon que je sens pas, les autres m'ont l'air réglos. Il les guide avec son intégrité, pas sa sévérité. Il y a le jeune, là, aux cheveux blonds, qui tient souvent le stock au marché noir. J'ai toujours l'impression qu'il se met à transpirer quand je débarque, mais j'ai bien vu que c'était une tête. Il a du sang-froid et semble très attaché à Clem.

Je finis par me demander si je vais pas... Bah, non, je vais oublier ça. J'ai pas l'esprit d'équipe ni de camaraderie.

Je me suis remis à écrire. Je recopie de nouveau des pages de mes livres et mon écriture me semble vraiment correcte. D'ailleurs, j'ai les doigts qui me démangent. Je vais me rentrer et gratter un peu de papier. C'est vraiment une veine d'avoir trouvé tout ce qu'il me fallait au marché noir.

J'ai aussi une théière et un service à thé, achetés légalement ceux-là, dans un des nouvelles boutiques du centre-ville. Je n'y vais plus que pour voler. Ca a foutrement changé, à tel point que j'ai du mal à reconnaître les rues de mon enfance, quand elles ont pas carrément disparu.

Il n'y a que des truands dans mon quartier. Enfin non, quelques citadins qui sont pas dans le circuit y crèchent aussi, mais ils posent pas de problème. Ils doivent se dire que la présence de petits délinquants comme nous doit dissuader la grande criminalité de prendre la place. Je les vole pas, ceux-là. La bande à Clem habite quelques maisons plus loin. Je les entends parfois quand les lumières sont éteintes, ils gueulent à réveiller les morts quand ils sont ivres.

Je mets la théière sur le feu, un bon feu de bois bien chaud - la milice Rovoff l'autorise en toute saison - et je me sors une tasse. Une très belle porcelaine, avec un liseret violet tout autour... Ils ont du goût pour les beaux objets, là-haut. Je sors mon livre, et j'attrape ma plume et mon encrier. Une fois que la théière est bien bouillante, je l'attrape avec un torchon pour pas me brûler et je verse le thé noir dans la tasse. Je laisse mes mains se réchauffer au contact de la porcelaine jusqu'à ce que ce soit trop chaud, et je bois une gorgée. Aucune boisson ne m'a jamais fait autant de bien.

Je crois que finalement, je suis pas si loin de l'image que je me fais du bonheur. Un feu, une tasse de thé, un livre... Est-ce que je me vois finir ma vie dans ce cadre ? Peut-être bien. Mais alors, pourquoi est-ce que j'ai encore ce sentiment de quelque chose de... d'inachevé ? J'ai toujours l'impression d'attendre mon heure, comme si un truc allait me tomber sur le coin de la gueule sans prévenir, un truc énorme et qui changerait totalement ma vie. Bah, ça doit être mon instinct qui me fait rester sur le qui-vive tout le temps. C'est devenu une seconde nature. Mais... non, cette sensation-là est différente.

J'attrape ma plume et je la trempe dans l'encre. Sa pointe est renforcée en acier, on m'a assuré qu'elle durerait plus longtemps. J'évacue l'excédent et je commence à tracer des mots. Parfois, je me demande si je serais pas capable de faire autre chose que de recopier. Autrefois, j'ai écrit une lettre à Kenny, et la sensation de sortir mes propres mots m'avait plu. Je pourrais réessayer.

Pendant que je pensais à ça, la plume levée, l'encre a formé une petite bavure sur la page. Juste à côté, je me rends compte que j'ai écrit un mot ; un nom. Clemens...

Décidément, c'est un nom bien trop doux pour les bas-fonds...


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant